Mohamed Ghannouchi est, depuis hier soir, le nouveau pr�sident de la R�publique de la Tunisie en remplacement de Zine El Abidine Ben Ali. Coup d�Etat ? Arrangement ? Hier, en d�but de soir�e, ce v�ritable coup de th��tre restait une �norme �nigme. Kamel Amarni - Alger (Le Soir) - C�est d�autant plus ambigu, que Ghannouchi, Premier ministre jusqu�� hier vendredi, annon�ait lui-m�me son accession au pouvoir supr�me � la T�l�vision tunisienne dans une d�claration confuse et �nigmatique. En substance, Ghannouchi dit ceci : �J�assume � partir d�aujourd�hui, la charge de pr�sident de la R�publique et ce, en raison de l�incapacit� temporaire du pr�sident Ben Ali � assumer sa fonction. � Ghannouchi a donc parl� d�une �incapacit� temporaire � de Ben Ali, et n�a � aucun moment parl� de son propre int�rim � lui comme rapport� par les agences. Mieux, dans sa d�claration, il ne s�est fix� aucune limite dans le temps, comme c�est d�usage dans pareilles circonstances, mais s�engage �durant la p�riode o� j�assurerai mes fonctions, � respecter la Constitution�. Mais aussi �� mettre en �uvre toutes les r�formes sociales et politiques qui ont �t� annonc�es en collaboration avec les partis politiques et les composantes de la soci�t� civile�. Les m�mes r�formes qu�annon�ait Zine El Abidine Ben Ali la veille ? Ghannouchi cite l�article 56 de la Constitution tunisienne pour l�gitimer cette passation de pouvoir. Un article qui stipule en substance que c�est le pr�sident, Ben Ali en l�occurrence, qui peut, en cas d�incapacit� temporaire d�exercer ses fonctions, charger le Premier ministre de le remplacer temporairement. Hier soir, en tout cas, des constitutionnalistes et des juristes tunisiens n�ont pas manqu� de crier � l�arnaque. Ce qui ajoute � la confusion g�n�rale, c�est bien s�r le fait que Ben Ali ne s��tait pas, lui, exprim� hier pour annoncer son d�part et officialiser sa d�mission. L�homme avait pourtant pris de nombreuses d�cisions d�une extr�me importance durant toute la journ�e de vendredi : dissolution du gouvernement, instauration de l��tat d�urgence � travers l�ensemble du territoire tunisien, annonce d��lections l�gislatives anticip�es dans les six mois et durcissement du couvre-feu, d�cr�t� � partir de 17h. Toutes ces mesures ont �t� annonc�es par la T�l�vision tunisienne et non pas par Ben Ali ou quelque autre responsable. Et, en fin d�apr�s-midi, une rumeur qui se confirmera par la suite : Ben Ali a quitt� le pays. Mais selon la Constitution tunisienne, il demeure le pr�sident l�gitime ! Car, la m�me constitution �voque explicitement la �la vacation du pouvoir� dans son article 57. Auquel cas, c�est au pr�sident de l�Assembl�e qu��choit la charge de l�int�rim, pour une p�riode allant de 45 jours � 60 jours et au terme de laquelle seront organis�es des �lections pr�sidentielles. D�o�, certainement, la r�action de Washington qui, par la voix du porte-parole du Conseil de s�curit� national, Mike Hammer, estimait que �le peuple tunisien a le droit de choisir ses dirigeants�. Sous-entendu, cela n�a pas �t� le cas. �Nous suivons de pr�s les derniers d�veloppements en Tunisie�, ajoute le m�me responsable am�ricain. Hier soir, la Tunisie a entam� une autre phase dans sa crise ouverte depuis la mi-d�cembre : � la situation insurrectionnelle g�n�rale, s�ajoute donc une confusion politique et un imbroglio constitutionnel qui rend la situation davantage ouverte � tous les sc�narios. Surtout qu�entre-temps, l�arm�e prend possession de toutes les grandes villes. K. A. Chronologie de la chute d�un r�gime D�cembre 2010 -19-20 : D�but du mouvement social contre le ch�mage et la vie ch�re � Sidi Bouzid (centre-ouest) en r�action � l'immolation, le 17, d'un jeune vendeur ambulant, Mohamed Bouazizi, qui protestait contre la saisie de sa marchandise par la police. Violents affrontements entre forces de l'ordre et jeunes manifestants. D�but d'une vague d'arrestations. - 24 : la police tire sur des manifestants � Menzel Bouzayane (60 km de Sidi Bouzid): deux morts. - 28 : le pr�sident Zine El Abidine Ben Ali d�nonce une �instrumentalisation politique�. Janvier 2011 - 3-7 : Violences � Sa�da et manifestations � Thala (centre-ouest) marqu�es par des saccages et l'incendie de b�timents officiels. - 8-10 : Emeutes sanglantes � Kasserine (centreouest), � Thala ainsi qu'� Regueb (pr�s de Sidi Bouzid): 21 morts selon les autorit�s, plus de 50 selon une source syndicale. Affrontements � Kairouan (centre). - 10 : Le pr�sident Ben Ali d�nonce des �actes terroristes � perp�tr�s par des �voyous cagoul�s� et promet la cr�ation de 300 000 emplois suppl�mentaires d'ici 2012. - 11 : Premiers affrontements � Tunis et sa banlieue, poursuite des violences � Kasserine. Fermeture des �coles et des universit�s. - 12 : Le Premier ministre annonce le limogeage du ministre de l'Int�rieur, la lib�ration des personnes arr�t�es, sauf celles �impliqu�es dans des actes de vandalisme �, et une enqu�te sur la corruption. Plusieurs morts dans des manifestations � travers le pays, notamment un Franco-tunisien � Douz (sud). L'arm�e se d�ploie dans Tunis et dans la banlieue populaire de Ettadhamen. Arrestation du chef du Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT, interdit) Hamma Hammami. Couvre-feu nocturne � Tunis et sa banlieue o� des affrontements font huit morts (F�d�ration internationale des ligues des droits de l'homme, FIDH). Les manifestants ciblent les symboles du pouvoir et de l'argent. - 13 : Retrait de l'arm�e � Tunis qui reste quadrill�e par les forces sp�ciales. Un manifestant est tu� par balles. La France se dit inqui�te de �l'utilisation disproportionn�e de la violence�. Destructions et pillages dans la station touristique de Hammamet (60 km au sud de Tunis). Dans un discours � la nation, Ben Ali s'engage � quitter le pouvoir en 2014 et ordonne la fin des tirs contre les manifestants. Il promet la �libert� totale� d'information et d'acc�s � internet et annonce une baisse des prix. Treize morts � Tunis (sources m�dicales), deux � Kairouan pendant l'intervention t�l�vis�e. Al-Qa�da au Maghreb islamique (Aqmi) appelle au renversement du r�gime (Service am�ricain de surveillance des sites islamistes, SITE). - 14 : Des milliers de manifestants, aux cris de �Ben Ali dehors�, se rassemblent � Tunis et en province, notamment � Sidi Bouzid. Violents heurts dans la capitale entre des groupes de manifestants et des policiers anti-�meutes. Des blind�s de l'arm�e se d�ploient devant les minist�res de l'Int�rieur et des Affaires �trang�res ainsi que devant la T�l�vision et Radio nationales. Ben Ali limoge son gouvervement et appelle � des l�gislatives anticip�es dans six mois, annonce le Premier ministre Mohammed Ghannouchi, qui indique avoir �t� charg� de former le nouveau gouvernement. Rapatriement de milliers de touristes europ�ens. L'�tat d'urgence est d�cr�t� dans tout le pays. L'arm�e contr�le l'a�roport, l'espace a�rien est ferm�. Le Premier ministre Mohammed Ghannouchi annonce � 17h GMT � la t�l�vision qu'il assure l'int�rim de la pr�sidence en remplacement de Zine El Abidine Ben Ali, qui a quitt� le pays apr�s 23 ans de pouvoir. M. Ghannouchi lance un appel � l'unit� des Tunisiens et s'engage au respect de la Constitution. 23 ans de pouvoir sans partage Le pr�sident Zine El Abidine Ben Ali, qui a fui hier la Tunisie, a r�gn� sur le pays pendant 23 ans d'un pouvoir sans partage, b�tissant son r�gime sur un �quilibre entre poigne de fer et prosp�rit� qui s'est finalement rompu, causant sa chute. Consid�r� � l'ext�rieur comme un rempart efficace face aux islamistes en d�pit de critiques � souvent timides � sur la lenteur de la d�mocratisation et les atteintes aux droits de l'homme, l'incontournable pr�sident, 74 ans, avait �t� r��lu pour un cinqui�me mandat en octobre 2009 avec pr�s de 90% des voix. Un scrutin critiqu� par l'opposition et qui avait �pr�occup� les Etats- Unis. Lorsqu'il d�pose Habib Bourguiba, p�re de l'ind�pendance malade et reclus dans son palais, le 7 novembre 1987, tous les Tunisiens, y compris les islamistes, saluent une prise du pouvoir �sans violence ni effusion de sang�, bien que d�crite par certains comme un �coup d'Etat m�dical �. Ses partisans saluent en ce militaire �le sauveur� d'un pays alors � la d�rive et lui reconnaissent d'avoir jet� les bases d'une �conomie lib�rale et �touff� dans l'�uf le parti islamiste Ennahdha, accus� de complot arm�. D�s son arriv�e au pouvoir, M. Ben Ali supprime la �pr�sidence � vie� institu�e par Bourguiba et limite dans un premier temps � trois le nombre de mandats pr�sidentiels. A son actif, une politique sociale dite de �solidarit�, avec la cr�ation d'un fonds sp�cial destin� aux plus pauvres ou le d�veloppement d'un syst�me de S�curit� sociale, et la poursuite des politiques favorables � l'�mancipation des femmes et � l'�ducation initi�es par son pr�d�cesseur. Ces avanc�es, qui conqui�rent une classe moyenne montante, s'accompagnent d'un durcissement du r�gime face � toute force d'opposition, �manant de la gauche ou des islamistes, arr�t�s par milliers dans les ann�es 1990, et d'une mainmise sur la presse et les syndicats d�nonc�e par des adversaires pour la plupart en exil. Issu d'une famille modeste n� de la ville c�ti�re de Hammam Sousse, c'est un militaire de carri�re form� � l'Ecole inter-armes de Saint-Cyr en France et � l'Ecole sup�rieure de renseignement et de s�curit� aux Etats-Unis. Devenu rapidement g�n�ral, il est nomm� patron de la S�ret� nationale apr�s des �meutes en 1984, puis ministre de l'Int�rieur, poste qu'il cumule en mai 1987 avec celui de Premier ministre jusqu'� la destitution de Bourguiba. Se disant favorable � une d�mocratisation �sans pr�cipitation�, M. Ben Ali introduit en 1994 le pluralisme � petite dose au Parlement et organise en 1999 la premi�re pr�sidentielle pluraliste de l'histoire de la Tunisie. Rev�tant parfois la �jebba� traditionnelle, il encourage un islam mod�r�, prot�ge le juda�sme et se dit attach� � la modernit�. P�re de six enfants, dont trois d'un premier mariage, il appara�t souvent accompagn� de son �pouse Le�la, dont la pr�sence dans la vie politique et sociale est de plus en plus remarqu�e, alors que sa belle-famille est accus�e de mainmise sur l'�conomie. En 2002, il fait sauter le dernier verrou emp�chant son maintien au pouvoir en faisant adopter par r�f�rendum une modification constitutionnelle lui permettant de se repr�senter. A la fin des ann�es 2000, son r�gime est d�nonc� comme �autoritaire� par les organisations de d�fense des droits de l'Homme. En juin 2008, notamment, il fait mater par l'arm�e des �meutes sur fond de ch�mage et de n�potisme, dans le sud-ouest frondeur. Pour ses alli�s occidentaux, M. Ben Ali incarne la stabilit� dans un pays pris� par des millions de touristes europ�ens et pour lequel l'ancienne puissance coloniale fran�aise reste un partenaire privil�gi�. Il aura finalement chut� sur un nouveau mouvement de r�volte d'abord sociale, parti du suicide mi-d�cembre d'un des nombreux dipl�m�s ch�meurs du pays, emp�ch� d'exercer comme marchand ambulant par les forces de l'ordre. Face aux �meutes qui s'�tendent, jusqu'� gagner la capitale, Zine El Abidine Ben Ali aura tent� tour � tour la r�pression sanglante puis les promesses, d'abord �conomiques et enfin d'ouverture politique. En vain.