Par Ahmed Halli [email protected] La r�volution tunisienne a sa l�gende, elle a ses h�ros et ses martyrs, ceux tomb�s sous le gouvernement transitoire sont aussi consid�r�s comme tels, elle se devait de faire ses premi�res victimes. Le sang a encore coul�, mais sans Ben Ali, dont les hommes sont encore en place, mais qu'un coma prolong� met personnellement au-dessus de tout soup�on. En effet, au lendemain de la fuite du tyran, des barbus, invisibles durant toutes les journ�es de protestation, ont charg� un cort�ge de femmes(1) qui manifestaient pour leurs droits. Incident isol�, a-t-on comment� dans les milieux tunisiens, o� la seule urgence est de rassurer le monde et de faire revenir les touristes. Vendredi dernier, jour b�ni d'entre les jours, un pr�tre catholique a �t� assassin�, et des barbus ont tent� de prendre d'assaut la �rue de la joie� de Tunis. Bien entendu, il n'y a aucun lien � �tablir entre l'agression contre les manifestantes, le meurtre du cur� et la tentative d'attaque contre des prostitu�es. Que Ghannouchi, le leader islamiste, se taise devant les pulsions misogynes de ses ouailles, cela se comprend, mais qu'il ne pipe mot sur l'assassinat d'un homme d'�glise, voil� qui est �trange. Il y a quelques semaines, peu avant de rentrer d'exil, Ghannouchi avait cit� comme r�f�rence id�ologique le Premier ministre islamiste turc Erdogan. Cela dit, il y a encore dans cette Tunisie postr�volutionnaire des hommes qui n'ont pas peur de se dire la�ques et de proclamer leur attachement � la la�cit�. Il faut leur savoir gr� d'utiliser encore des mots sur lesquels on a jet� un voile pudique, ou qui sont en voie de disparition du lexique politique alg�rien(2). Nos la�cs frileux ne semblent pas se r�signer � l'id�e d'�tre assimil�s � des m�cr�ants par la mouvance islamiste et ses alli�s, convertis du moment. Il faut �viter, bien s�r, tout pessimisme h�tif concernant la Tunisie qui a beaucoup plus de ressources et de capacit�s de r�sistance que les autres pays arabes. Seulement, il semble que les d�mocrates tunisiens doivent composer avec ce gouvernement de transition autoproclam� et dirig� par l'autre Ghannouchi. Ce dernier a promis qu'il se retirerait de la vie politique apr�s les �lections, mais il est difficile d'oublier qu'il a �t� le collaborateur direct de Ben Ali durant des d�cennies. Sp�cialiste incontest� des probl�mes arabes dans la presse internationale, notre confr�re Robert Fisk le d�crivait il y a quelques semaines comme �un satrape de M. Ben Ali pendant pr�s de 20 ans, une paire de mains s�res qui a nos int�r�ts � plut�t que les int�r�ts de son peuple � � c�ur�. Quand il parle de �nos int�r�ts�, le correspondant de The Ind�pendant pense bien s�r � ceux des Occidentaux qui n'accepteront jamais, selon lui, qu'il y ait �trop de d�mocratie� en Tunisie. Ni du reste dans les autres pays arabes o� Robert Fisk pr�dit l'apparition d'autres tyrans dont �l'Occident financera les arm�es et qui feront la paix avec Isra�l�. Et le journaliste de conclure par cette sentence sans recours : �Non, tout compte fait, je ne pense pas que l'�re des dictateurs arabes soit termin�e. Nous veillerons � ce que ce ne soit jamais le cas.� Ce qui signifierait que ce qui se passe en �gypte n'est pas une r�volution victorieuse, mais une contre-r�volution en marche. On peut, en effet, le croire en voyant les trop nombreux ralliements � la r�volution des supp�ts et suppl�tifs de Moubarak, parmi lesquels des policiers matraqueurs d'hier. Hassane�n Heykal aurait-il eu raison d'affirmer il y a quelques jours que l'�gypte �tait dirig�e � partir de Charm Al-Cheikh, retrait pr�sum� de Hosni Moubarak. Consciente que la partie n'est pas encore gagn�e, notre cons�ur Nouara Negm a appel� hier � une marche sur Charm Al- Cheikh. Elle se propose de mobiliser des dizaines d'autobus pour transporter gratuitement des milliers de marcheurs jusqu'� la r�sidence Moubarak sur la c�l�bre station baln�aire. L'objectif est d'obtenir que Moubarak soit jug� et qu'il restitue leur argent aux �gyptiens. La blogueuse, tr�s courtis�e ces temps-ci par les cha�nes satellitaires, veut aussi demander des comptes � Omar Sule�man, le �vice-pr�sident � en titre de l'�gypte. Elle l'accuse d'�tre � l'origine du lancement de la pol�mique concernant l'article 2 de la Constitution de l'�gypte. Cet article dispose que l'Islam est religion de l'�tat et que la Charia est la source de toute l�gislation. Ce qui ne serait pas du go�t des coptes qui ont particip� activement � ce qu'il est convenu d'appeler la r�volution du 25 janvier. Or, c'est pr�cis�ment cet article 2 qui est le premier examen de passage de la nouvelle d�mocratie �gyptienne. Le r�formateur Djamal Al-Bana, fr�re cadet de Hassan Al- Bana, est intervenu, d'ores et d�j�, pour affirmer que l'abrogation de l'article 2 ne pouvait que servir les int�r�ts de l'Islam. Se basant sur des exemples historiques, il a soulign� que la religion ne devait pas �tre pollu�e par la politique ni instrumentalis�e � son service. Toutefois, les m�dias d'�gypte semblent se d�sint�resser de ce d�bat crucial, pr�f�rant consacrer leurs efforts aux r�v�lations sur les crimes de Moubarak et de ses hommes de main, ou �baltaguias�(3), durant les manifestations. Certains animateurs de t�l�vision sont apparus, arborant sans pudeur le c�t� doublure de leurs vestes, sans �tre g�n�s aux entournures. La semaine derni�re Al Jazeera nous a montr� plusieurs fois l'un des plus c�l�bres, Imed Eddine Adib, souriant et mielleux � souhait devant Moubarak il y a peu, et le vitup�rant apr�s sa chute. De son c�t�, le chroniqueur du quotidien londonien Al- Quds,Bessam Al-Badarin, a d�clench� un tir nourri contre Amrou Adib, un autre enfant g�t� du r�gime. Les Alg�riens connaissent bien ce pr�pos� aux vocif�rations qui s'�tait d�cha�n� contre eux, apr�s le match d'Oum- Dourman. Peu avant le d�part du �Ra�s�, Amrou Adib n'h�sitait pas � traiter avec m�pris les manifestants d�sign�s comme les �gamins� du Meydan-Al-Tahrir. Depuis, il s'affiche sans vergogne sur toutes les cha�nes satellitaires et chante les louanges de la r�volution triomphante. Il avait oubli� que, de nos jours, les enregistrements audio et vid�o ont rendu caduc le proverbe latin �Verba volent, scripta manent� qui proclamait la pr��minence des �crits sur les paroles. Ce qui n'emp�che pas certains de nos journaux de continuer � insulter les opposants, comme s'ils �taient assur�s de la p�rennit� du pouvoir, ou de leur propre impunit�.