La République algérienne démocratique et populaire (RADP) a connu autant de Constitutions que de Présidents. Tous illégitimes et quasiment tous ayant accouché d'une Constitution. Tous ont essayé d'apprendre la coiffure sur nos têtes d'orphelins. Nos princes ont fait leur principe premier de ce proverbe de chez nous. Une donnée majeure et permanente : l'emprise du chef de l'Etat sur toutes les institutions, titulaire d'impressionnants pouvoirs, alors qu'il a été promis au pays un Etat sérieux et régi par une morale (proclamation du 19 juin 1965) ; en fait, nous avons eu droit à une triple dépendance, technologique, alimentaire et culturelle.La Constitution et le président Ben Bella, civil appuyé par le FLN (alors parti unique) et la direction de l'Armée, a essayé le monocratisme partisan et l'autogestion pour quelques mois, sans lendemain. Il fut déposé par un coup de force, un certain 19 juin 1965, à raison du culte de la personnalité. De la prétention à la légitimité du pouvoir à l'institutionnalisation d'un pouvoir central avec, comme bras séculier, l'Armée instrumentalisée et l'Administration hypertrophiée par la bureaucratie, de la stratégie de développement industrialiste à l'endettement excessif et la triple dépendance sus-évoquée ; il se caractérise à tout le moins par son autoritarisme. La Constitution de 1963, plutôt qu'un texte supra-légal organisant les pouvoirs publics, reflétait davantage une volonté politique dont la philosophie d'angle fut l'autogestion. L'institutionnalisation du parti unique (monocratisme partisan) et la personnalisation du pouvoir ont eu raison du projet de société véhiculé par ce texte dont les dispositions essentielles furent arrêtées par le B. P. du FLN d'alors et confirmées par une conférence des cadres du parti, faisant ainsi un pied de nez à l'Assemblée nationale constituante pourtant titulaire de la mission d'élaboration de ce texte. La Constitution de 1976 et le président Houari Boumediène, colonel à la tête d'un Conseil de la Révolution qui a tenté le socialisme spécifique ayant abouti à un capitalisme d'Etat périphérique. Une forme de bonapartisme militaro-bureaucratique qui a verrouillé tout droit à l'expression à l'opposition dont certaines têtes notoires, figures de proue du nationalisme algérien, furent retrouvées inertes sur leurs lits de sommeil à l'étranger. Au plan politique, des officiers supérieurs occupent (ont occupé) depuis des postes importants : président de la République, ministres, walis, PDG de sociétés nationales... La même situation a été suscitée dans l'Egypte du temps de Nasser dont nous continuons de cultiver le complexe. Le texte fondamental de 1976 fait pourtant de l'armée «le bouclier de la révolution» et participant, à ce titre, «au développement du pays et à l'édification du socialisme». Désormais, sa seule mission est donc la défense nationale. Elle ne manqua pas, toutefois, d'assurer à plusieurs reprises une mission de sauvegarde de l'ordre public, tâche classique dévolue aux services de police (cf. octobre 88). La Constitution de 1989 et le président Chadli Bendjedid, colonel successeur à la présidence et candidat unique du FLN élu à plus de 99% des voix ; ce primus inter pares a mis en place une forme de multipartisme ayant abouti in fine à un système de parti dominant et à un libéralisme débridé ayant contribué à la constitution de fortunes diverses (financière, immobilière et foncière). Nonobstant l'abolition de l'autorisation de sortie et l'importation des bananes, son règne se termina par une destitution présentée comme une démission en live. Parmi les points nouveaux, dans ladite loi, figurent la consécration du principe de la séparation du pouvoir, d'une part, et l'absence de référence à l'option socialiste, d'autre part. Pour mémoire, la Constitution de 1976 organisait le pouvoir en six fonctions : politique, exécutive, législative, judiciaire, constituante et de contrôle. L'Algérie de 1989 devait s'acheminer vers une nouvelle logique politique : la construction d'un Etat qui reconnaît le caractère pluraliste de la société. En effet, l'article 40 de la Constitution 1989, en son alinéa 1er, stipule que «le droit de créer des associations à caractère politique est reconnu» avec pour corollaire l'économie du marché en Algérie, s'inscrivant ainsi en faux par rapport à l'unanimisme en vogue jusque-là et à l'économie dirigée par une techno-bureaucratie. En effet, l'article 1er de la même Constitution ne fait plus référence au socialisme, quoique l'article 8 fait état de «la suppression de l'exploitation de l'homme par l'homme». l'Armée nationale populaire (ANP) n'est plus associée au projet de développement économique algérien. Elle se trouverait donc cantonnée, à la lettre constitutionnelle, à une mission de «sauvegarde de l'indépendance nationale» et de «défense de la souveraineté nationale». Cette Constitution consacre un chapitre aux droits et libertés pour parler de «Droits de l'homme et du citoyen». De la même manière, l'article 53 prévoit la création d'un Conseil constitutionnel chargé de veiller au respect de la Constitution, tandis que l'article 129 stipule que «le pouvoir judiciaire est indépendant». S'agissant du président de la République - rééligible -, l'article 71 indique que «la durée du mandat présidentiel est de cinq ans». Toutefois, cette disposition constitutionnelle a fait l'impasse sur le nombre de mandats à assumer par celui-ci, d'une part, et du nombre des candidatures à la présidence de la République, d'autre part. En effet, la logique de l'ouverture du système politique vers le multipartisme alors devait déboucher sur la résolution de ces deux questions. La pratique politique n'a pas suivi cette volonté affichée du constituant algérien. Il est à noter que l'article 85, en son alinéa 2, prévoit la possibilité pour le chef du gouvernement d'être candidat à la présidence de la République, alors même que cette faculté n'est pas ouverte au président de l'Assemblée nationale (article 84, alinéa 7). Ainsi, il apparaît bien que le président de la République est bien le centre du pouvoir, comme il le fut dans le cadre de la Constitution de 1976. Premier magistrat du pays, il nomme et démet le chef du gouvernement (article 111) qui est responsable devant lui (article 115) ; il légifère concurremment au Parlement par voie d'ordonnances pendant les périodes d'intersessions de l'Assemblée. La confusion des pouvoirs était alors à son comble ; le président de la République est le secrétaire général du parti unique et ministre de la Défense nationale, où il lui est loisible de placer ses hommes aux postes de commande et, notamment, l'affectation de ses partisans aux postes importants de l'ANP (à la tête des Régions militaires) et la mise à la retraite de certains officiers gênants, le rattachement de la sécurité militaire à la Présidence et le remplacement au gouvernement des «politiques» par des technocrates lors de différents remaniements ministériels. Un véritable Etat d'exception. Sans rupture déterminante, la Constitution de 1995 a eu tout de même le mérite de consacrer sur le texte l'alternance au pouvoir par la limitation des mandats présidentiels (deux quinquennats suffisent). En ce sens, l'Histoire devra gré au président Liamine Zeroual d'avoir tenté d'inscrire ce principe essentiel à la démocratie. La Constitution de 2008, tout en confirmant le président de la République dans ses impressionnants pouvoirs, a effacé d'un trait de plume ce principe. Stratocratie et cercle des décideurs La stratocratie semble être la définition qui convient le mieux pour qualifier le système politique algérien car dominé par l'armée et les «Services» et, dans une moindre mesure, comme une oligarchie dès lors qu'on a affaire à un pouvoir politique fondé sur la prééminence de quelques personnes (le cercle des décideurs). Depuis 1999, force est d'observer que notre système politique a plus que jamais besoin d'être réaménagé. Ainsi, après avoir laissé présager une vie politique sous-tendue par le multipartisme — certes insuffisamment structuré —, l'élection présidentielle (avril 1999) n'a pas permis de consacrer des traditions politiques durables inspirées de la démocratie en tant que nouveau concept soumis à l'épreuve des faits. L'on se rappelle qu'après une campagne électorale qui a vu plusieurs candidats se disputer la magistrature suprême du pays, quasiment tous se sont tous retirés de la compétition, estimant qu'elle était biaisée par le fait majeur que leur challenger était le candidat de l'armée (en tous cas, de la frange de sa direction, la plus influente dans la sphère des décisions de la chose politique). Ce que l'on pourrait appeler le syndrome du candidat unique. En tout état de cause, le quinquennat de 1999 à 2004 a été, pour l'essentiel, consacré aux problèmes de la sécurité du pays ; suite à l'élection présidentielle d'avril 2004, le second mandat a vu une politique dite de la réconciliation nationale ; mandat au cours duquel le Président a annoncé des réformes économiques, ce qui n'a pas empêché l'apparition d'affaires politico-judiciaires : Bouricha, ex-wali de Blida, Khalifa, Banque commerciale et industrielle d'Algérie (BCIA), et tant de scandales financiers liés tantôt au secteur des hydrocarbures comme principale valeur du pays, tantôt au secteur de l'immobilier et du foncier... Le Trésor public étant géré comme une tirelire personnelle, selon les caprices des princes du moment, il est souvent mis à contribution pour effacer en catimini l'ardoise.ln fine, il est vrai que l'assassinat de Boudiaf a mis fin à une expérience politique dont beaucoup de citoyens attendaient un certain renouveau dans un climat de confiance réelle ; la société civile a sans doute perdu là une occasion de se structurer durablement face à toutes les dérives du pouvoir qui demeure plus que jamais jaloux de son autoritarisme constitutionnalisé. Et pour cause, les principaux rouages de l'Etat (gouvernement, assemblée, armée, partis...) sont exclusivement aux mains de la gérontocratie, ce qui est suicidaire. Lacheraf a pu dire : «On s'obstine à relancer sur le marché politique les vieilles élites corrompues, usées et discréditées.» Une partie de cette dernière serait bien inspirée si elle faisait valoir son droit à la retraite, sans attendre son congédiement, signifié au demeurant par la jeunesse du pays depuis au moins octobre 88. La ritournelle opposée, selon laquelle les jeunes n'auraient aucune expérience, est largement dépassée car, d'une part, cette même jeunesse (après dix à quinze années de pratique universitaire, administrative, judiciaire, politique, journalistique) s'est largement affranchie de cette critique utilisée comme ruse factice et, d'autre part, une partie du personnel politique n'a plus rien à dire ni à apporter à l'Algérie, si ce n'est en toute probabilité répondre de ses actes délictueux - voire criminels - ayant mené l'Algérie à des situations inextricables, tant au plan sécuritaire que politique. Que faire ? Réformer sérieusement et d'urgence le système politique Réformer pour mettre un terme au système politique dominé par l'institution de la présidence de la République et la direction de l'armée - souvent son alliée principale - et une pensée unique imposée jusqu'au 5 octobre 1988, jusqu'au système actuel de parti dominant (conglomérat à plusieurs actionnaires politiques). Face à la quasi absence de l'opposition sur la scène confirmant le déficit démocratique en Algérie, il faut avoir l'audace de s'engager dans la voie de la réforme du système politique pour redessiner le profil des institutions politiques algériennes et redéfinir les prérogatives de celles-ci, en vue d'asseoir un équilibre des pouvoirs ; ainsi, il y a lieu de mettre un terme à un exécutif inutilement bicéphale, d'autant qu'il est manifeste que de la Constitution de 1963 à celle de 2008, les prérogatives dévolues à la fonction présidentielle sont exorbitantes (les pouvoirs législatif et judiciaire étant des parents pauvres de la répartition du pouvoir d'Etat entre les principaux acteurs politiques, et surtout inféodées au chef de l'exécutif). L'équilibre des pouvoirs est une nécessité vitale pour éviter de s'enfermer dans un schéma d'autoritarisme caractérisé et de mépris affiché à l'endroit des autres institutions et du personnel politique, judiciaire et administratif ; ce, d'autant plus qu'il y a irresponsabilité politique du chef de l'Etat. Ainsi, il y aura lieu de réfléchir à l'institutionnalisation d'un réel contre-pouvoir au sein de l'Etat pour permettre une émulation institutionnelle, synonyme d'une bonne santé de la gestion du pouvoir (d'aucuns diraient gouvernance) et de saines décisions démocratiques pour éviter au pays de sombrer dans l'immobilisme parlementaire, voire dans la dictature présidentielle. Pour le contre-pouvoir, la meilleure antidote ne peut être constituée que par des organisations non gouvernementales gérées par des personnalités issues de la société civile, en ce qui concerne la veille quant aux droits de l'homme, la construction de l'Etat de droit, la liberté d'expression (presse et culture)... En ce sens, le Premier ministre (souvent désigné selon des critères de connivence politique, voire par compromis) n'est, somme toute, qu'un grand commis de l'Etat chargé d'une mission par le président de la République sans aucune volonté politique et prérogatives autonomes. Peut-il en être autrement, dès lors, notamment, que les titulaires des principaux départements ministériels (Défense, Intérieur, Affaires étrangères, Economie, Justice) sont souvent des hommes liges du président de la République qu'il nomme pour leur allégeance à sa personne, en vue d'appliquer sa politique qui, faute d'opposition crédible, se révèle souvent contestable ? En la matière, la réforme serait purement et simplement de gommer l'institution du Premier ministère. Il me semble qu'il y a une dyarchie inutile. La présence soutenue du président de la République lors des Conseils des ministres, en vue d'asseoir des décisions d'obédience nationale, démontre l'inutilité de cette institution que l'on peut juger inefficace. En contrepartie, en qualité d'expression de la légitimité démocratique, le Parlement doit pouvoir bénéficier de prérogatives à même de lui permettre de contrôler de façon efficiente la politique du gouvernement franchement dirigé par le président de la République. Il s'agit-là d'un élément structurant de la vie politique et constitutionnelle du pays, les ministres devant bénéficier d'une autonomie indépendante de la volonté présidentielle, pour pouvoir mieux apprécier les solutions à apporter aux secteurs dont ils ont la charge sous la vigilance du Président, en sa qualité de chef de l'Exécutif. Là aussi, on peut s'interroger légitimement sur l'existence d'une seconde chambre. Pourquoi un bicaméralisme là où une seule chambre n'arrive pas à exercer le peu de ses prérogatives constitutionnelles (la mise en place de commissions d'enquêtes par exemple) ?La vie politique et constitutionnelle actuelle du pays s'apparente, par son caractère récidivant, à du présidentialisme où le président de la République croit avoir droit de vie et de mort sur la nation. Dans cette perspective, il paraît évident qu'il existe en Algérie un déficit chronique en matière d'équilibre des pouvoirs, dans la mesure où ce présidentialisme, sorte de technologie constitutionnelle artisanale de pays encore rivés au sous-développement politique, et ce, par la grâce d'une gérontocratie qui n'a de grand qu'une rhétorique démesurée et une attitude arrogante dont le populisme est le moindre mal. En effet, le système politique algérien qui repose sur un déséquilibre institutionnel établi au profit du président de la République, sans contrepoids réel (si ce n'est en coulisses par les «décideurs politiques» qui demeurent ses bailleurs de pouvoir), doit pouvoir évoluer par l'existence d'un Parlement qui reflète un pluralisme politique authentique, une magistrature indépendante, une presse libre et une société civile structurée. Il y a là une déviation et une dégénérescence du régime présidentiel. Aussi, pour prévenir des risques certains de l'autoritarisme et de l'arbitraire, les éléments sus-évoqués constituent le meilleur rempart afin de tempérer les abus d'un Exécutif envahissant. Il est vrai, à cet égard, que la société civile a été longtemps privée de son droit légitime à l'expression sous toutes ses formes, alors même qu'elle constitue par essence le vivier naturel pourvoyeur du personnel politique à même de décider du sort de l'Algérie.Des réformes politiques dépend notre devenir.