L�histoire de l�Occident musulman et du Maghreb central, telle que brillamment revisit�e par Fatima-Zohra Bouzina- Oufriha dans sa trilogie, nous donne � lire un deuxi�me ouvrage consacr� cette fois-ci � deux figures embl�matiques du XIIe si�cle gr�gorien : Sidi-Boumedi�ne et Ibn Rochd. Dans l�esprit de l�auteur, les deux personnages font partie de ces immortels qui survivent (et doivent survivre) �ternellement dans la m�moire des hommes. Par ailleurs, ce livre pr�c�de celui centr� sur l�histoire de Tlemcen, ses rois et ses monuments, sauf que les deux essais se compl�tent. Mais comment parler de deux immenses personnages que rien ne semble relier l�un � l�autre? T�che ardue, a priori. Et pourtant, Fatima-Zohra Bouzina- Oufriha a os� une recherche. Elle s�est hasard�e �� �crire sur ces deux �monuments� de la pens�e arabe m�me s�ils sont aux antipodes, et m�me si l�un a tr�s peu �crit et l�autre �norm�ment �. C�est ainsi qu�elle arrive � trouver l'indispensable fil conducteur qui fait tout l�int�r�t de son travail d�historienne. En effet, rel�ve-telle, les deux immortels �appartiennent au m�me si�cle, aux m�mes pays (El-Andalous et le Maghreb). Mieux, ils sont n�s, tous deux, la m�me ann�e : 1126 (520 H) et sont d�c�d�s aussi la m�me ann�e 1198 (594 H). Ce que personne ne semble avoir remarqu� et que je d�couvris fortuitement�. Autre point commun : les deux sont issus de familles d�origine arabe et sont n�s � El-Andalous (Sidi-Boumedi�ne � S�ville et Ibn Rochd � Cordoue). Tous deux ont aussi v�cu au Maghreb o� ils sont d�c�d�s, un Maghreb auquel ils ont donn� un �clat incomparable au XIIe si�cle. Celui-ci, souligne l�auteure, �ne correspond nullement � un quelconque moyen-�ge du Maghreb. Bien au contraire, c�est son si�cle d�or, son si�cle d��panouissement politique, id�ologique, culturel, spirituel, scientifique, architectural... L�Europe �tait encore balbutiante et se mettait � l��cole de la civilisation arabe. Elle �tait encore tr�s loin d�avoir �tabli son h�g�monie politique, id�ologique et culturelle sur l�ensemble du monde�. D�o� l�absolue n�cessit� (une th�se qu�elle a toujours d�velopp�e dans ses �crits) pour Fatima-Zohra Bouzina-Oufriha de renouer avec notre histoire, de nous la r�approprier, de m�me pour notre culture et notre civilisation. Car, h�las, nos �lites ont tourn� le dos � notre histoire, elles ne la connaissent pas et n�ont ni conserv� ni vivifi� leurs racines. R�sultat, aujourd�hui, �cela permet au Maroc de s�approprier, ind�ment, l�ensemble de l�h�ritage hispano-mauresque�. Pour Sidi-Boumedi�ne, par exemple, cette inculture a fait en sorte que �les g�n�rations actuelles, m�me celles de Tlemcen� ne le connaissent pas. Aussi, l�auteure nous invite � remonter le temps. Elle nous fait r�ver tout en produisant du sens, pour aller � la rencontre de ces deux �immortels de l'Occident musulman�. Dans son essai, elle commence par situer les deux personnages dans leur contexte historique, politique et intellectuel. Deux autres parties de l�ouvrage sont consacr�es, chacune, � l�un et � l�autre de ces grands hommes du savoir. A la naissance de Choaib Ibn El- Hacen (Sidi-Boumedi�ne) et Abou El-Walid Ibn Rochd en 1126, c�est alors le r�gne de Ali, le second sultan almoravide. C�est pr�cis�ment sous l�empire almoravide qu�a commenc� la symbiose andalousomahgr�bine, avec le d�veloppement d�un intense courant intellectuel, artistique et architectural. A partir de 1144, les offensives des royaumes chr�tiens (la Reconquista a �t� lanc�e en 1009) conjugu�es � la mont�e en puissance du mouvement almohade emportent le pouvoir almoravide. Avant de s�effondrer � son tour, apr�s la terrible bataille de 1212 et les autres coups de boutoir ass�n�s par les arm�es de la Reconquista, l�immense empire almohade avait atteint le point d�orgue de la civilisation arabo-berb�re. Ce qui fait souligner � Fatima-Zohra Bouzina-Oufriha : �Le Maghreb et El-Andalous vont b�n�ficier, pendant ce douzi�me si�cle gr�gorien, d�un �ge d�or sans pr�c�dent et qui n�allait plus jamais se reproduire.� C�est dans pareil contexte qu��mergent puis brillent de toute leur aura nos deux personnages. �Sidi-Boumedi�ne : le plus grand des saints musulmans du Maghreb. La source, l�origine, le p�re du soufisme comme pure spiritualit�, �l�vation de l��me�, �crit l�auteure s�agissant du premier. Quant � Ibn Rochd (Averro�s), au contraire, �nous avons affaire au plus grand repr�sentant de la raison et de l�exercice des fonctions mentales et intellectuelles�. Et si Sidi-Boumedi�ne demeure le p�re du mysticisme maghr�bin et son plus illustre repr�sentant, Ibn Rochd se distingue, lui, par une extraordinaire et vaste culture. Celui-ci est non seulement le philosophe par excellence, mais il est aussi d�un apport non n�gligeable en sciences juridiques, en �conomie et en m�decine. L��uvre d�Ibn Rochd a �t� consid�rable par sa port�e. L�Europe ne s�y est pas tromp�e, elle qui avait entam�, � partir du XIIe si�cle, une �lente et longue appropriation de la philosophie gr�co-arabe� notamment. C�est pourquoi, conclut Fatima-Zohra Bouzina- Oufriha, le monde musulman actuel doit absolument se r�approprier la pens�e r�volutionnaire d�Ibn Rochd. Voil� donc un livre d�une br�lante actualit�, qu�il faut lire et faire lire pour mieux gu�rir de cette amn�sie et de cette paresse intellectuelle qui font qu�on soit colonis� dans sa t�te. Au moins pour savoir ce que la culture et la science doivent aux musulmans d�Espagne, et au g�nie arabo-berb�re durant le r�gne des deux empires almoravide et almohade. Hocine T. Fatima-Zohra Bouzina-Oufriha, Sidi-Boumedi�ne-Ibn Rochd. Deux immortels de l�Occident musulman, �ditions Dalimen, avril 2011, 202 pages