Par Moncef Benouniche, citoyen d�mocrate Comment expliquer l�extraordinaire succ�s �ditorial d�un petit ouvrage d�une trentaine de pages publi�, fin octobre 2010, par un petit �diteur de Montpellier, en France, vendu en quelques semaines � 300 000 exemplaires et naturellement bien plus aujourd�hui (plus de 3 millions en Europe, publi� en Chine, Cor�e du Sud, Liban�) Indignez vous !* C�est � cela que nous invite le cri du c�ur et de col�re de ce jeune homme de 93 ans, au sourire malicieux et � l�incroyable fra�cheur d�esprit, le r�sistant infatigable et indign� (tout naturellement, je pense � Me Abdenour Ali Yahia que j�ai la chance de c�toyer souvent et qui a publi� un ouvrage � �d. Inas � 2007 � dont le titre est : La dignit� humaine) par toutes les trahisons des promesses de solidarit�s g�n�r�es par le �plus jamais �a� de l�apr�s-Seconde Guerre mondiale. St�phane Hessel, n� en Allemagne d�un p�re juif en 1917, r�sistant contre le nazisme et coauteur de la D�claration universelle des droits de l�homme, s�interroge sur la multiplicit� des raisons de s�indigner dans son pays et dans le monde d�aujourd�hui, caract�ris� par la domination sans partage des puissances financi�res. �Je souhaite � tous, � chacun d�entre vous, d�avoir votre motif d�indignation. C�est pr�cieux. Quand quelque chose vous indigne, comme j�ai �t� indign� par le nazisme, alors on devient militant, fort et engag�.� Au demeurant, l�indignation ne peut �tre simplement r�actionnelle et subjective ; elle est le fruit de la raison et de la r�flexion qui conduit � opposer un refus d�termin� et actif � ce qui d�grade l�homme ou, en tout cas, le place dans une situation de subordination physique, morale, existentielle et fait de la nature m�me de l��tre humain un objet d�interrogation. L�indignation est, pr�cise St�phane Hessel, le motif de base de la r�sistance, r�sistance au nazisme mais aussi � tout ce qui rel�ve de l�inacceptable constitu� par la trahison du projet commun, porteur de conqu�tes sociales. �Mais dans ce monde, il y a des choses insupportables. Pour les voir, il faut bien regarder, chercher. Je dis aux jeunes : cherchez un peu, vous allez trouver. La pire des attitudes est l�indiff�rence, dire �je n�y peux rien, je me d�brouille�. En vous comportant ainsi, vous perdez l�une des composantes essentielles qui fait l�humain ; une des composantes indispensables : la facult� d�indignation et l�engagement qui en est la cons�quence. � Cinq mois apr�s ce stup�fiant coup de tonnerre �ditorial et tout logiquement, St�phane Hessel publie un nouvel � et �galement petit � ouvrage constitu� d�entretiens avec Gilles Vanderpooten, son cadet de 25 ans (��ditions de l�Aube� - mars 2011 ) : Engagez vous. S�il regrette que la jeune g�n�ration manifeste peu de r�sistance � ce qui la scandalise, il r�affirme que �r�sister, c�est consid�rer qu�il y a des choses scandaleuses autour de nous et qui doivent �tre combattues avec vigueur ; c�est refuser de se laisser aller � une situation qu�on pourrait accepter comme malheureusement d�finitive�. S�indigner, c�est r�sister et r�sister, c�est cr�er ; cr�er l�ordre nouveau et cela suppose un travail sur la dur�e fond� sur une conscience et une volont� politiques, construite sur la non-violence indiscutable et le pacifisme le plus d�termin�. A vrai dire, les motifs d�indignation ne manquent pas, partout dans le monde � certes, � des degr�s divers � et il ne fait pas de doute que ce qu�on appelle commun�ment �le printemps arabe� est une illustration de l�indignation qui soul�ve les peuples accul�s jusque dans l�intol�rable. Dans le m�me registre, il faut rappeler ce que les Indignados de la Puerta del Sol � Madrid et dans plus de 70 villes espagnoles affirment : �Nous ne sommes pas contre le syst�me ; c�est le syst�me qui est contre nous.� Et l�Alg�rie dans tout cela ? Quoiqu�en disent ses talentueux fossoyeurs, ce pays regorge de ces petits riens et de ces grandes choses qui r�vulsent ceux qui y vivent et/ou y sont �motionnellement attach�s. On apprend, sans surprise par ailleurs, que l�on compte une intervention polici�re plus ou moins muscl�e toutes les deux heures depuis janvier !! On peut, �videmment, penser que ces interventions sont destin�es � r�tablir l�ordre public �perturb� par ceux qui, de Diar Echems � la place du 1er-Mai, manifestent, g�n�ralement de fa�on tout � fait pacifique, leur m�contentement face � ces situations que, tr�s pr�cis�ment, notre jeune homme de 93 ans qualifie de scandaleuses. Scandaleuses par nature lorsqu�elles approfondissent les in�galit�s, organisent l�inculture, d�truisent le lien social et poussent la jeunesse au d�sespoir, ces situations deviennent insupportables, inacceptables, intol�rables� lorsqu�il appara�t qu�elles ne doivent rien � des conditions objectives mais qu�elles sont le r�sultat d�une volont� politique d�lib�r�e. Mais il y a plus scandaleux que le scandale, c�est s�habituer au scandale ; s�enfermer dans une vision qui interdit toute lutte non violente contre celui-ci. En effet, comment expliquer l�impossibilit� de voir les multiples col�res et contestations qui, tr�s pr�cis�ment, provoquent une intervention polici�re toutes les deux heures, de se rencontrer et f�d�rer les �nergies des Indign�s d�Alg�rie ? Qu�est-ce que cet obstacle insurmontable qui interdit � ces diff�rentes voix parlant un langage commun de se retrouver, d��changer, de pr�ciser ce qui les unit alors que, au contraire, elles sont toujours d�cid�ment r�solues � s�ignorer ? Comment admettre que de petites et mesquines querelles, qui opposent des personnes dont l�Alg�rie peut se passer, parviennent � devenir essentielles et � prendre le pas sur ce qui est primordial : le projet commun ? Que signifient ces �querelles de minarets� face � un enjeu immense dans la mesure o� il s�agit du lien social, du vivre-ensemble et donc de l�avenir de la nation. Comment admettre cette maladie infantile, mais aussi archa�que, du politique ? Une telle attitude est indigne ; c�est une faute grave et les �partis � qui choisissent d�lib�r�ment ces exclusions portent une tr�s lourde responsabilit� quant � la possibilit� d�une contestation politique non violente de la situation qu�ils ne cessent de d�noncer. Pourtant, chacun a du mal � d�terminer les oppositions politiques qui animent les opposants tant il n�cessaire, et m�me indispensable, de f�d�rer des �nergies, insignifiantes parce que �parpill�es, autour de ce qu�on peut appeler un �minimum d�mocratique� et sur ce point, l�urgence est absolue. Il est vrai qu�un parti politique d�mocrate est construit sur un projet politique et non sur la rencontre d�all�geances, qu�il ne s�agit pas de secte ou encore de zaou�a mais de l�expression d�un engagement citoyen pour une R�publique d�mocratique et sociale. Nul doute que, de cela aussi, il faut s�indigner. M. B. * Indignez vous de St�phane Hessel, Editions Indig�ne - coll. �Ceux qui marchent contre le vent.� - octobre 2010.