« Plus encore que de discours et de colloques, nous avons besoin, en matière de droits de l'Homme, d'actions et de dévouement, et plus encore que de philosophes, de juristes ou de ministres, nous avons besoin de militants ! » (Robert Badinter) L'indignation est à son comble sous toutes les latitudes. Ici est dénoncé un Etat terroriste, qui en toute impunité, procède à l'éradication d'un peuple. Là, c'est avec véhémence et efficacité que la rue est investie pour chasser un dictateur corrompu. Ailleurs, ce sont les horreurs bureaucratiques et de la corruption qui sont mises à l'index. Malgré cela, Stéphane Frédéric Hessel constate que les gens hésitent ou ont peur de réagir, même lorsque le «légal» se fait manifestement illégitime. Son appel «Indignez-vous !»1, est, on ne peut plus clair. Le citoyen du monde, le militant sans frontières, donne une admirable leçon d'espoir, en affirmant que c'est l'indifférence qui est la pire des attitudes. «Il m'a semblé juste, et c'est pourquoi j'ai publié «Indignez-vous» ! de faire réfléchir, notamment les jeunes, à ce qui les choque, à ce qu'ils peuvent faire, dans presque tous les domaines. Le livre, bien sûr, est un peu court sur les remèdes. Mais c'est une incitation à pousser la réflexion à l'engagement vers l'action». Ce qui manque le plus, nous confiera Stéphane Hessel, c'est la mise en commun des indignations. D'où l'importance des organisations non gouvernementales et du travail en réseau, face aux nouveaux périls. C'est certes, peu de choses par rapport à ce qu'il y aurait lieu de faire pour le développement. Nul ne peut rester indifférent aux propos de ce grand jeune homme de 93 ans, infatigable résistant, intellectuel militant et diplomate courageux pionnier de l'ONU. Sa volonté de fer, sa détermination à se battre pour la liberté et à sa foi en la démocratie et aux vertus du dialogue, émergent en permanence de ses discours. Aujourd'hui, membre actif du tribunal Russel sur les crimes de guerre en Palestine, l'homme de tous les engagements poursuit inlassablement son combat sur la scène internationale pour la défense les droits de l'Homme, la dignité des peuples, la coopération avec les pays en développement, la justice sociale, les libertés, toutes ces valeurs dont certains voudraient s'affranchir de l'exigence. Dans des sociétés en demande de valeurs, de libertés fondamentales et d'un Etat de droit, la désobéissance civique a parfois, du sens, surtout lorsque la responsabilité des Etats fait défaut. C'est l'avis de Stéphane Hessel, l'ancien résistant français contre les crimes nazis, l'avocat des causes humanitaires, le défenseur acharné de la paix, le diplomate hors du commun, qui a été l'un des rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948 qui énonce précisément, les valeurs fondamentales de la civilisation humaine. S'il considère qu'elle n'est pas toujours respectée, que son programme est loin d'être achevé et que beaucoup de graves dénis de droits économiques et sociaux sont recensés, ici ou là, il précisera que cette plateforme reste formidablement utile et audacieuse et qu'elle demeure, plus que jamais, nécessaire. Ainsi, pour Stéphane Hessel, la question des droits de l'Homme a pas mal progressé depuis son adoption en 1948. Il citera, par ailleurs, comme autres avancées importantes, le pacte relatif aux droits civils et politiques en 1966, le pacte de Genève en 1967, l'adoption de la Convention des droits de l'enfant et la création d'un Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda. Stéphane Hessel, lors des débats qu'il a animés à l'IDRH, au CCF, à l'université et avec les jeunes du lycée Lotfi à Oran, a tenu à souligner le rôle positif des Institutions internationales (Banque mondiale, FMI...). Question qui n'a cependant pas fait l'unanimité car, préciseront certains intervenants, le FMI, la Banque mondiale, l'OMC et même l'ONU, ne sont pas toujours appréhendés comme des défenseurs des droits économiques des pays en développement. Un morceau de bravoure en matière de prise de position politique Le succès d'édition du petit fascicule (un million d'exemplaires vendus) a valu à Stéphane Hessel, toutes les animosités du monde. La paranoïa du CRIF, à l'encontre de la moindre allusion contre Israël fait que plus personne n'ose critiquer les exactions de ses dirigeants au risque d'être taxé d'antisémite, ce qui constitue un comble pour Stéphane Hessel, né à Berlin d'un père juif allemand et d'une mère française. Copieusement invectivé, depuis des années, en raison de son engagement sans faille aux côtés des Palestiniens, l'auteur qui ne consacre dans son opuscule que deux pages au conflit israélo-palestinien a été, encore une fois férocement vilipendé. Pour avoir osé manifester son indignation contre les bombardements barbares de la population palestinienne, pour avoir dénoncé l'insupportable et inhumain blocus imposé aux Gazaouis, pour avoir manifesté sa réprobation, lors de l'assaut sanglant de la flottille humanitaire internationale, pour s'être, enfin, révolté contre l'incarcération arbitraire du franco-Palestinien Salah Amouri, Stéphane Hessel est constamment pris à parti par la meute menaçante, à la solde des nouveaux fascistes qui usent de formules incendiaires, de diatribes virulentes et même de menaces pour terroriser tous ceux qui osent dénoncer les exactions des autorités d'Israël. Stéphane Hessel, l'homme dont les coups de colère et les coups de gueule contre les dirigeants d'Israël sont bien connus, persiste et signe : «Israël a commis un acte indiscutablement contraire au droit international». Il faut être soit naïf soit pervers pour penser que de lourdes menaces pèsent sur le pays le plus puissant de la région. Ce n'est pas l'écrivain nobélisable, icône de l'intelligentsia israélienne de gauche, Amoz Oz, présenté comme défendant des thèses diamétralement opposées à celles de l'establishment israélien, qui nous contredira, lui qui après l'opération « Plomb Durci » contre Gaza, a rejoint les rangs en déclarant haut, fort et sans ambiguïté, que l'usage de la force était vital pour Israël. Il rejoint ainsi les Alain Finkielkraut, Elisabeth Levy, Bernard-Henri Lévy, entre autres, inconditionnels d'Israël qui squattent en permanence les plateaux des télévisions. Stéphane Hessel qui a milité contre la Gestapo et toutes les forces oppressives et qui a consacré sa vie à la défense des droits de l'Homme, n'est pas impressionné par ceux, nombreux, qui font preuve d'une férocité exemplaire à son égard et qui entretiennent des relations quasi-passionnelles avec les dirigeants israéliens. Même les Israéliens qui donnent l'impression d'être assez intransigeants à l'égard de leurs dirigeants, tels Amos Gitaï qui a évoqué la spoliation dont ont été victimes les Palestiniens, Keren Yedaya qui a dénoncé les disparités sociales et la condition faite aux femmes, Raphaël Nadjari et David Volach qui ont mis en garde contre la montée de l'intolérance religieuse et les cinéastes, Ari Folman auteur de «Valse avec Bachir», qui dénonce, à sa façon, la guerre au Liban et Samuel Maoz, réalisateur de «Lebanon» , font, lorsqu'il le faut, preuve d'une solidarité sans faille avec l'Etat hébreu, quelles que soient ses turpitudes. Il arrive parfois que les exactions d'Israël provoquent une réprobation mondiale. Des artistes, des écrivains et de hommes politiques se sont beaucoup indignés, ces dernières années, certains ont même commencé à réagir. Ken Loach, Jane Fonda ont appelé au boycottage de festivals occidentaux qui mettent en valeur des films israéliens. Henning Mankell, écrivain à succès qui se trouvait à bord de la flottille, veut interdire la traduction en hébreu de ses ouvrages. D'autres ont annulé leur voyage à Jérusalem ou à Tel-Aviv. Pour sa part, Stéphane Hessel, qui s'est rendu à plusieurs reprises à Gaza, et qui a vu de près les camps de réfugiés où survivent des milliers d'enfants, a cité le 30 décembre 2009, Israël dans une liste d'Etats «tyranniques», parmi la Chine, la Russie et l'Iran, avec lesquels le commerce ne doit pas primer sur les droits de l'Homme. Le 15 juin 2010, il appelle à participer au mouvement de boycott contre Israël, ce qui va déclencher les foudres des inconditionnels d'Israël. Non content de faire la «une» des médias avec son arrogance et sa suffisance et d'être salué par le fameux Lionnel Luca et Jean Marie Le Pen, lorsqu'il persécute les Noirs et les Arabes, tous trafiquants potentiels à ses yeux, Eric Zemmour récidive, cette semaine, en se moquant de Stéphane Hessel qu'il qualifie de gâteux parce que ce dernier a osé s'en prendre aux responsables d'Israël. Il citera même De Gaulle pour bien préciser sa pensée, qui disait que «l'âge était un naufrage». Dernier outrage enfin contre l'auteur de «Indignez-vous» qui fait face à une répression féroce, commanditée par le tout puissant patron du Conseil Représentatif des Association Juives de France (CRIF) Richard Prasquier, aidé pour la circonstance, par plusieurs associations juives, l'Ecole Normale Supérieure (ENS) de Paris où devait se réunir Leilà Shahid, représentante de la Palestine à Bruxelles, Michel Warschawski et Nurit Peledou, pacifistes israéliens, Benoist Hurel, secrétaire adjoint du syndicat de la magistrature et Elisabeth Guigou, la député socialiste, a, sous la pression, annulé la conférence que devait animer, ce mardi 18 janvier, Stéphane Hessel. Ravi par ce succès, M. Prasquier a tenu à saluer Valérie Pécresse et le rectorat de l'université de Paris pour leur aide. Affaire à suivre, car les indignés ne vont pas en rester là. «Le Quotidien d'Oran»: Le monde d'aujourd'hui semble de plus en plus instable, de plus en plus insupportable. Comment l'homme de paix au parcours impressionnant, appréhende-t-il l'avenir ? Dans «Indignez-vous» vous lancez un appel. Pensez-vous qu'il sera entendu ? Stephane Hessel: Je dis : cherchez un peu, vous allez trouver. La pire des attitudes est l'indifférence, dire «je n'y peux rien, je me débrouille». En vous comportant ainsi, vous perdez l'une des composantes essentielles qui fait l'humain. Une des composantes indispensables est la faculté d'indignation dont la conséquence est l'engagement. Aux jeunes, je dis : regardez autour de vous, vous y trouverez les thèmes qui justifient votre indignation le traitement fait aux immigrés, aux sans papiers, aux Roms. Vous trouverez des situations concrètes qui vous amènent à donner cours à une action citoyenne forte. Cherchez et vous trouverez. Il faut savoir que dans ce monde qui s'est laissé envahir par des violences, le terrorisme et des contre violences, ce qui est acquis ne l'est jamais. Il y a énormément à faire. La résistance, bien que souvent minoritaire, finit toujours par apporter ses fruits. Le monde est vaste et complexe. Pour le voir, il faut bien regarder, chercher. De nouveaux problèmes et grands risques ont surgi : terrorisme, dégradation de l'environnement. En fait, je n'ai fait que peu de choses dans ma vie mais avec une volonté permanente : ne pas laisser à la barbarie le dernier mot. Tout reste à faire. Nous n'avons toujours pas, pour une bonne partie du monde, ni l'application des droits civils et politiques, ni celle des droits économiques, sociaux et culturels. Cela conduit à des situations graves comme au Darfour, en Somalie ou en Palestine qui est l'une des situations qui me préoccupe le plus. Q.O.: A ce propos, vous étiez en poste à l'ONU au moment de l'élaboration du plan de partage de la Palestine et de son adoption en 1948. Comment voyez-vous les choses, soixante ans plus tard ? S.H.: Je n'étais pas dans l'équipe qui s'occupait du plan de partage. Moi, je travaillais sur la Charte universelle des droits de l'Homme. Mais quand j'ai entendu : «Ça y est, on a enfin trouvé une solution acceptable pour tous les pays membres». Donner 55 % du territoire de la Palestine à Israël et 45 % à la Transjordanie, ça paraissait relativement juste. Il fallait que ces terres attribuées à Israël soient prises sur des terres habitées déjà par des juifs, et qu'elles soient une terre démocratique, comme les Ben Gourion et autres, nous le promettaient. J'avais trouvé, à l'époque, qu'on avait réussi une négociation remarquable, qu'on avait réussi à mettre tout le monde d'accord ! Aujourd'hui, je me dis que nous avons sous-estimé l'intelligence sournoise des gouvernants israéliens qui étaient des sionistes convaincus qui s'étaient dit : «on commence avec 55 % et on ira jusqu'à 100 %.» La victoire israélienne lors de la guerre des Six Jours les a rendus ivres de gloire. Là, j'ai commencé à penser que la politique israélienne était contraire aux droits de l'Homme. Il fallait appliquer les conventions de Genève, il fallait imposer le retrait derrière les lignes de 1967. Q.O.: Vous avez signé un appel contre les frappes israéliennes au Liban, en août 2006 et vous avez qualifié de crime de guerre et même de crime contre l'Humanité, l'offensive israélienne dans la bande de Gaza. Cela vous a valu pas mal d'ennuis. Aujourd'hui, vous subissez une répression féroce parce que vous soutenez le BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) des produits israéliens des colonies. Votre indignation n'est-elle pas source de préoccupations permanente ? S.H.: Ma plus grande préoccupation est la situation au Proche-Orient. La Palestine, la bande de Gaza, la Cisjordanie, sont ma principale indignation. Il faut absolument lire le rapport Richard Goldstone de septembre 2009. Le juge sud-africain, juif, qui se dit même sioniste, accuse l'armée israélienne d'avoir commis des «actes assimilables à des crimes de guerre et peut-être, dans certaines circonstances, à des crimes contre l'humanité» pendant son opération «Plomb durci». J'ai pu à Gaza, vaste prison à ciel ouvert pour un million et demi de Palestiniens, étudier de visu ce que ce rapport disait. Je partage les conclusions du juge. Que des juifs puissent perpétuer eux-mêmes des crimes de guerre, c'est insupportable. L'impunité d'Israël est un drame, une catastrophe, elle a duré beaucoup trop longtemps. Le rapport Goldstone est parfaitement objectif. On sait qu'il serait juridiquement nécessaire, moralement indispensable et politiquement très souhaitable de faire pression et de prendre des sanctions contre le gouvernement israélien. Mais qui aura aujourd'hui le courage de mettre un terme à cette impunité ? L'Europe porte une part de responsabilité en laissant faire un gouvernement israélien très violent. Ce ne sont pas les résolutions successives qui suffisent : il faut les mettre en œuvre. C'est là que l'attente vis-à-vis d'Obama est forte. Les choses sont lourdes à faire bouger. Il faut garder confiance ! L'Algérie est un grand pays et un pays de jeunes et ces derniers ont de grands défis à relever. Battez-vous pour cela ! Q.O.: Aujourd'hui existe un Tribunal Russel sur la Palestine. Comment fonctionne-t-il ? S.H.: Selon les mêmes règles de rigueur absolue que celui qui a siégé sur le Vietnam, sous la présidence de Jean Paul Sartre, en 1967. Le TRP a à juger les violations du droit international dont est victime le peuple palestinien. L'avis consultatif rendu par la Cour Internationale de justice de la Haye résume l'ensemble des violations. Le TRP réaffirme la primauté du droit international comme base de règlement du conflit israélo-palestinien et se charge d'identifier les manquements à l'application de ce droit et d'en condamner tous les auteurs devant l'opinion publique internationale. Entre autres membres importants de ce tribunal, le grand cinéaste Ken Coates, Leila Shahid et Nurit Peled, Israélienne qui milite de manière résolue et constante, pour les droits des Palestiniens. Cette dernière a perdu sa fille âgée de 14 ans, dans un attentat suicide commis par un kamikaze palestinien. Comme membre du comité de parrainage, nous avons, Boutros Boutros-Ghali, Ahmed Ben Bella, Henri Alleg, Noam Chomsky, Eric Cantona, Gisele Halimi, Mohammed Harbi, Eric Rouleau, jean Ziegler et beaucoup d'autres. 1- «INDIGNEZ-VOUS» de Stéphane Hessel. Ed. Indigène. Décembre 2010. 3 euros. 30 pages.