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ABDELHAFID IHADDADEN
Le premier ing�nieur atomicien alg�rien
Publié dans Le Soir d'Algérie le 16 - 07 - 2011


Par M�hand Kasmi
�Une centrale atomique n�est pas un jouet que l�on calcule sur du papier. Il faut la voir et conna�tre tous ses rouages pour que demain je sois capable seul de la guider et m�me de concevoir tous les �l�ments pour sa construction��
(Lettre � son fr�re Zahir dat�e du 26 avril 1961, deux mois et demi avant son assassinat)
La salle de conf�rences attenante au sympathique et tout nouveau Mus�e de l�eau de Toudja s�av�ra d�cid�ment bien trop exigu� en ce d�but de matin�e du 5 juillet 2011, date de comm�moration du 49e anniversaire du recouvrement par l�Alg�rie de son ind�pendance. Elle r�ussit difficilement le pari d�accueillir, l�espace d�une conf�rence, la dense et bigarr�e assistance qui a tenu � r�pondre � l�invitation lanc�e par l�APC de Toudja, aux fins d�honorer la m�moire du chahid Abdelhafid Ihaddaden, premier ing�nieur atomicien alg�rien, assassin� le 11 juillet 1961 par les services sp�ciaux fran�ais dans le ciel marocain. Tout le village en r�alit� voulait, pour une fois, avoir le c�ur net et surtout tout savoir sur l�itin�raire r�el de cet enfant prodige, dont ils entendent r�guli�rement le nom �voqu� � demi-mot par les ain�s et dont la famille est l�une des plus anciennes et les plus connues du lieu. Malgr� cette apparente notori�t�, il faut se l�avouer, Hafid est quasi-inconnu dans son propre village, qu�il a �t� amen� � quitter tr�s t�t et de mani�re d�finitive dans les ann�es quarante du si�cle dernier, juste apr�s ses �tudes primaires. Un long cursus secondaire et universitaire l�a par la suite men� � B�ja�a et S�tif pour les �tudes secondaires, � Paris (1952-1956) et Prague (1956-1962) pour les �tudes universitaires et la sp�cialisation en �nergie atomique. C�est donc dans un silence quasi religieux que d�buta la conf�rence donn�e par l�auteur de ces lignes, intitul�e �Cinquante ans : Toudja se souvient du chahid Abdelhafid Ihaddaden�. Compos�e en majorit� de moudjahidine, de fils de chouhada, d�anciens compagnons de classe du martyr et de nombreux jeunes, la salle de conf�rences vibra intens�ment et � plusieurs reprises � l��vocation de certains moments forts de la vie du chahid. A d�autres moments, bien plus p�nibles, elle tenta � son honneur d�fendant d�accuser le coup, face � l�incompr�hensible, l�innommable et inadmissible chape de plomb qui a pes� un demi-si�cle durant sur l��vocation du martyre de ce valeureux chahid. Et des moments d��motion vraie, il y en eut ce jour-l�� Le premier frisson qui traversa la salle de part en part, quasi perceptible � l��il nu, prendra au fil des minutes l�allure d�un lourd malaise qui finit par poss�der toute l�assistance. Il peut �tre r�sum� dans cette sourde, douloureuse et lancinante interrogation : pourquoi ce chahid, dont les cendres reposent pourtant, depuis leur rapatriement du Maroc au milieu des ann�es 1980, au carr� national des martyrs du cimeti�re d�El-Alia, est-il si m�connu chez lui en Alg�rie et plus grave, quasi inconnu ici m�me, dans son propre village ? Cette interrogation d�inspiration essentiellement patriotique a fini par acqu�rir, apr�s un demi-si�cle d�oubli s�apparentant � un deuxi�me assassinat du chahid par les siens, une irr�fragable l�gitimit� qui nous interpelle tous fortement, surtout lorsqu�on sait maintenant et � partir de la lecture des propres correspondances de Hafid, les ambitions �atomiques � qu�il formulait pour son pays pour ses lendemains d�ind�pendance (voir citation en exergue au d�but de cet article). Autre question : Pourquoi la qualit� de chahid ne lui a �t� finalement reconnue qu�un quart de si�cle apr�s sa mort, malgr� la reconnaissance de son engagement par des personnalit�s nationales de premier plan comme R�dha Malek, formul�es pourtant par �crit et dans un document avec en-t�te officiel de l�organe central de la r�volution alg�rienne El Moudjahid? Ecoutons R�dha Malek pleurer la disparition de Hafid : �(�)Le d�c�s de Hafid m�a frapp� de plein fouet. Depuis 1956, Hafid n�a cess� d��uvrer avec application pour arracher ses dipl�mes et se rendre utile � son pays. A chacun de mes passages � Prague, j�ai trouv� en lui un fr�re d�vou� et consciencieux. Il �tait tr�s estim� de nos amis tch�ques� (lettre du 17 ao�t 1961 de R�da Malek �crite � partir de Tunis apr�s qu�il eut appris l�assassinat de Hafid). Ces lourdes questions demeurent malheureusement, et � ce jour, sans r�ponse ! Un autre moment particuli�rement douloureux heureusement vite �rattrap� par un instant de pure gr�ce et de grande fiert� s�empara subitement de la salle. La douleur, c�est la vue de la photo des d�bris de l�Ilyouchine 18 de la compagnie tch�que dont le �crash� fut minutieusement orchestr� par les contr�leurs a�riens fran�ais encore utilis�s � ce moment-l� par le Maroc �ind�pendant�. Ils se livr�rent ce jour-l� dans le ciel marocain � une assassine partie de punchingball a�rien entre les a�roports de Rabat, Casablanca et la base militaire am�ricaine de Nouaceur. Chaque fois que l�avion, neuf et pilot� par l�un des meilleurs pilotes tch�ques, se pr�sentait devant une piste d�atterrissage, ces contr�leurs militaires fran�ais habill�s en civil, lui signifiaient l�ordre de prendre de l�altitude devant l�impossibilit� d�atterrir... pour cause de brouillard au sol, alors qu�on �tait en juillet ! Tout a �t� entrepris pour que les restes de l�avion, une fois le forfait accompli, ne puissent pas d�border au moment de leur recueil au sol, les dimensions et le volume d�un banal sac de jute pour pomme de terre, c�est-�-dire moins de deux m�tres cubes de �restes�. Ceci pour la douleur, indicible, inexprimable. Quant � la fiert�, c�est celle de quasiment tous les participants � la conf�rence (une seule participante, une vieille moudjahida) de d�couvrir dans le diaporama, la copie de la �une� du journal colonial La D�p�che de Constantine du 13 juillet 1962, qui avait annonc� dans un encart arrogant bien mis en page : �Le premier africain dipl�m� de science nucl�aire a trouv� la mort dans l�accident de l�Ilyouchine.� Comme signature du crime par la France officielle, on ne pouvait pas trouver mieux ! Sans na�vet� aucune et sans � alg�ro-centrisme� mal plac�, encore une interrogation majeure : qui en dehors de la France officielle, avait la capacit�, que dis-je l�int�r�t strat�gique, � tenir un fichier des atomiciens africains ? A l��vidence, l�orgueil fran�ais ne pouvait supporter une seule seconde que l�Alg�rie puisse compter sur la science �atomique� de Abdelhafid, moins d�un an seulement apr�s l�exp�rimentation de sa premi�re bombe atomique � Reggane, en Alg�rie ! De l��motion, toujours de l��motion, notamment lorsque les derni�res diapos �talant le contenu de la lettre d�adieu r�dig�e par le chahid deux mois seulement avant son assassinat, passe. �J�ai v�cu triste et solitaire et n�ai pas de place sur cette terre�, conclut-il la missive adress�e � ses parents. Pourquoi une lettre d�adieu un an seulement avant l�ind�pendance, quand on a vingt-neuf ans ? Hafid se savait-il d�j� �trait� et �fil� par les services fran�ais ? D�cid�ment, l� encore nous resterons sur notre faim. En l�absence d�un r�el travail de recherche sur ce v�ritable h�ros national, ces questions demeureront certainement et pour d�autres quarts et demi-si�cles encore sans r�ponse ! Mais les participants � la conf�rence ne reconnurent r�ellement l�enfant du village que quand il leur fut donn� l�occasion de d�chiffrer dans la carte postale qu�il envoya en 1955 � son fr�re a�n� Zahir � partir de Paris o�, �tudiant � l�Ecole des arts et m�tiers, il se plaignait de la pression trop forte du papa, qui l�exhortait � s�appliquer davantage dans ses �tudes : �Tous ces probl�mes me poussent � abandonner compl�tement et � rentrer � Toudja pour faire cultivateur. Peut-�tre ce travail sera-t-il un peu rentable ?� s�interroge- t-il dans ce rare moment de doute �existentiel�. La salle se d�ride. Des applaudissements fusent, spontan�s� Ils redoublent d�ardeur quand l�assistance prend connaissance de l�ing�niosit� bien alg�rienne dont est contraint de faire preuve Hafid dans ses nombreux moments de nostalgie du pays : �J�ai re�u le colis (caf�, couscous, pois chiches). Je l�ai d�ball�, mais le probl�me demeure. Pas de couscoussier ! Alors en tant qu�ing�nieur atomicien, mais n�anmoins technicien bricoleur, je m�en suis carr�ment fabriqu� un !� Dans la salle, c�est l�hilarit� g�n�rale ! La salle se ressaisit en se faisant plus s�rieuse et studieuse quand le conf�rencier �gr�ne, les unes apr�s les autres, les citations patriotiques des derni�res correspondances de Hafid : �Actuellement, il faut tout accepter, pour rendre le succ�s plus proche.� Cette derni�re citation sonna comme une mise en garde contre tous les apprentis sorciers de tout temps et de tout lieu. C�est le v�ritable testament que nous laisse Hafid, le miroir de son r�el temp�rament d�acier de militant aux positions politiques toujours tranch�es et sans concession : �Les coulisses ne rapportent rien et elles sont faites pour les apprentis diplomates et les sorciers. L�ind�pendance s�arrache. Elle ne se donne pas !� Seraitce l� la piste que les chercheurs doivent emprunter pour conna�tre les raisons de la deuxi�me mort de Hafid ? Peut-�tre. Le diaporama de la conf�rence s�ach�ve ainsi sur ces mots forts sous forme de testament pr�monitoire en ce jour anniversaire de recouvrement de cette ind�pendance que Hafid n��voquait que comme �tape pour �le travail futur chez nous�, disait-il. En guise de conclusion, le conf�rencier d�roule maintenant et dans un mouvement descendant de g�n�rique de fin de film, la c�l�bre citation de Didouche Mourad : �Si nous venions � mourir, d�fendez nos m�moires� et l�appel suivant : �A quand un v�ritable hommage national au chahid Abdel-Hafid Ihaddaden ?� La salle applaudit � tout rompre. Elle venait de d�fendre la m�moire d�un immense scientifique, d�un ardent patriote, d�un homme vrai, tout simple, qui a tout donn� � son pays, sans rien avoir re�u en retour ! Toudja et l�Alg�rie sont fiers de toi Hafid. Paix �ternelle � ton �me et celle de tous les chouhada ! Les tentatives du conf�rencier d�engager un d�bat avec la salle s�av�r�rent vaines, tout autant que celle qui a consist� � tenter de faire parler un vieux retrait� des Douanes, voisin de table du chahid � l��cole Maurice- Donain du village, � l��poque. Ancien moudjahid,
octog�naire comme Hafid s�il avait v�cu, malade reclus chez lui, il a tenu � �tre l�. Il refuse de parler, de t�moigner parce qu�il ne voulait pas se trahir : il pleurait d�j� depuis quelques bonnes minutes � chaudes larmes, comme de nombreuses autres personnes dans la salle d�ailleurs ! Pour exorciser la salle de ses d�mons et la rass�r�ner en attisant l�ardeur et la fougue patriotique des pr�sents, rien de mieux qu�une citation du grand �crivain fran�ais Jules Roy, colonel aviateur de r�serve de surcro�t, fils de colon n� � Sidi Moussa, qui reconnaissait dans son livre La Guerre d�Alg�rie et d�j� en 1960, que le village de Toudja avait perdu tout bonnement un quart de sa population masculine, depuis 1954 ! �Est-ce assez clair !� s�exclame-t-il apr�s avoir eu, lors de son long passage dans ce village en 1960, tout le loisir de consulter des statistiques officielles et d�analyser la pyramide des �ges de la population. Le nombre officiel des martyrs que la petite bourgade de Toudja a recens� jusqu�� cette veille de la c�l�bration d�un demi-si�cle d�ind�pendance est de 582 martyrs ! Et on continue de d�couvrir chaque jour les oubli�s de l�Histoire� comme Hafid ! En d�but de soir�e, l��me en peine r�incarn�e d�Abdelhafid continua sa �tourn�e �. Elle d�cida de se poser pour r�appara�tre furtivement au Th��tre r�gional de B�ja�a, situ� juste en face de l�ex-coll�ge de Bougie aujourd�hui Ibn Sina o� le futur chahid, selon un t�moignage recueilli dans la salle de th��tre le m�me jour, �tait d�j� incollable en physique et math�matiques. L�exposition install�e dans le hall du TRB et la conf�rence eurent, l� encore, beaucoup de succ�s en pr�sence de nombres membres de la famille du d�funt. L� encore, l��motion et le sentiment d�ingratitude �taient au rendez-vous, comme � Toudja le matin ! A la fin de la conf�rence pr�sent�e par votre serviteur, une seule lancinante et patriotique question taraudait l�esprit des pr�sents : a quand un v�ritable hommage national au chahid Abd-Hafid Ihaddaden � hauteur de l�homme, du patriote et du scientifique pionnier qu�il f�t ? Nous sommes des milliers � souhaiter ardemment que cette question re�oive pour une fois r�ponse. C�est possible et c�est urgent pour le repos de la m�moire de Didouche Mourad, de Hafid et de tous les chouhada !


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