Par Zineddine Sekfali Habitu�s � ne voir sur les �crans de t�l�vision que Bachar El-Assad, en chef d�Etat arabe, jeune, moderne, �l�gant et, nous disait-on, bien-aim� des Syriens, c�est avec surprise que l�on a d�couvert sur ces m�mes �crans, qu�il existait aussi un peuple syrien jusqu�alors confin� au r�le de figurant, dans un sc�nario �crit par et pour d�autres. Ce peuple est depuis six mois dans les rues, r�clamant avec force cris et banderoles le d�part de ce pr�sident, de sa famille et de tout le syst�me qu�il chapeaute. En Syrie, comme en Tunisie ou en �gypte, le peuple a d�cid� d��tre l�acteur incontournable de son avenir. Il s�est rappel� au bon souvenir de l�opinion publique internationale ; d�sormais, il est, avec d�autres peuples arabes, en qu�te de libert� et de justice, au centre de l�actualit� et au-devant de la sc�ne politique mondiale. On en parle partout, du Machrek au Maghreb, � Washington, � Moscou, � P�kin, dans les capitales occidentales et arabes, au Conseil de s�curit� � New York, au Conseil des droits de l�homme � Gen�ve, � la Cour p�nale internationale � La Haye. M�me la frileuse Ligue arabe, r�unie au Caire le 27/08/2011, a fini par inscrire �la question syrienne� � son agenda, et d�cid� de d�p�cher son nouveau secr�taire g�n�ral pour dire � Damas que le sang a assez coul� ! Seule la t�l�vision publique syrienne, imperturbable et �gale � elle-m�me, continue � transmettre les images l�nifiantes des r�unions d�officiels syriens, les interviews surr�alistes des dignitaires du parti Ba�th, les d�clarations pu�riles de quelques �awlad essolta�, comme on dit l�-bas, et persiste � diffuser les images de c�r�monies fun�bres et �d�obs�ques- parades�, cens�es provoquer la col�re du peuple contre les manifestants, c�est-�-dire contre lui-m�me. Mais tous ces reportages, flashs d�information de la TV syrienne, participent de la d�sinformation et de la manipulation ; ils ne peuvent occulter la v�rit�, telle qu�elle est rapport�e chaque jour en direct, � partir de plusieurs villes, via les nouvelles technologies de l�information, par de simples citoyens qui vivent dans leur chair la brutale r�pression qui s�est abattue sur eux. L�extraordinaire �hirak ch�bi� qui secoue deuis mars la Syrie, tout comme d�autres pays arabes, et que les officiels et leurs amis imputent soit � des groupes terroristes, soit � des bandes de voyous, soit au sionisme, soit au colonialisme, soit � l�imp�rialisme, soit � une sibylline �main �trang�re � � c�est selon �a en v�rit� pour cause, et cela cr�ve les yeux, le despotisme. Le pr�sident Assad et le r�gime qu�il chapeaute en sont la cause initiale ; ils sont, en cons�quence, solidairement et conjointement responsables des graves d�rives et des exc�s s�curitaires qui se produisent quotidiennement en Syrie depuis cinq � six mois aujourd�hui. Mais ce qui choque le plus l�homme arabe, c�est le comportement de �l�arm�e arabe syrienne� qu�on a connue jadis � Kuneitra combattante et r�sistante, et qui est maintenant rabaiss�e � une police r�pressive �quip�e de chars, et � une sorte de corps de �gardes-chiourmes�, au seul service du ma�tre et de son parti le Ba�th. Se comportant en effet comme si le Golan occup� n�existait pas, et tournant le dos � l�occupant isra�lien, cette soi-disant arm�e arabe a dirig� sa puissance de feu contre son propre peuple, qui la fuit comme on fuit les envahisseurs. Elle se livre chaque jour, y compris les vendredis, sous le regard m�dus� d�une opinion publique arabe pourtant gav�e de massacres, � un f�roce combat, in�gal et sans gloire. Pis encore, elle a encore tir� le 29/08 sur les gens qui venaient d�effectuer la pri�re de l�A�d El-Fitr ! De ce drame effrayant, l�arm�e syrienne ne sortira inexorablement qu�en piteux �tat. Et l�on devine facilement � qui cela va profiter ! Ce qu�il faut cependant retenir de tout cela, c�est que le peuple syrien a sciemment et volontairement choisi d�emprunter le chemin difficile qui m�ne � la libert� et � la justice. Le pouvoir syrien, quant � lui, a d�lib�r�ment opt� pour le recours � la force brutale. L�issue de ce conflit ouvert entre un peuple pacifique qui revendique ses droits les plus essentiels et un pouvoir r�pressif � outrance qui ne cherche qu�� conserver ses avantages et privil�ges est connue d�avance. Tandis que le peuple avance vers la libert�, et ce, plus vite qu�on ne le croit, le pouvoir et ses sbires se rapprochent lentement mais s�rement des boxes des juridictions et les ge�les des prisons, syriennes et/ou internationales. Le drame s�est nou� ; la trag�die touche � sa fin ; c�est apparemment une simple question de temps. En Libye, les �v�nements sont encore plus dramatiques. Ce pays est depuis mars dernier en �tat de guerre ouverte. D�un c�t�, on a une arm�e structur�e et �quip�e d�armes lourdes et de blind�s, et de l�autre, des bandes apparemment inorganis�es de �partisans� brandissant des armes individuelles ; les deux camps se combattent avec la f�rocit� sp�cifique aux guerres civiles. Les morts se comptent par dizaines de milliers, des quartiers sont d�truits, l��conomie est � l�arr�t, les d�g�ts mat�riels sont colossaux, des milliers de Libyens ont fui le pays et se sont r�fugi�s, dans des proportions diverses, dans les pays �fr�res� voisins, en Tunisie, en �gypte et en Alg�rie� Tous les nombreux appels � la sagesse adress�s au pouvoir ont �t� vains. Ce pouvoir aux abois pr�f�re �couter les �sir�nes� et autres �cassandres� qui lui parlent �d�enlisement�, de �kerr wa ferr�, de �d�bandades� d�insurg�s mal arm�s et inexp�riment�s, qui agissent sans strat�gie ni tactique et qui sont coup�s des points d�approvisionnement en munitions. Si l�Otan arr�tait ses bombardements, les �rebelles� seraient rapidement �limin�s, pr�disaient quelques strat�ges de plateaux de t�l�vision. C�est ainsi qu�on explique les multiples appels � l�arr�t des op�rations de l�Otan, lanc�s par Ibrahim Moussa, le porte-parole du gouvernement libyen dont les propos �militants� nous ont rappel� l�in�narrable Mohamed Sahaff du gouvernement de Saddam Hussein, qui annon�ait devant la presse internationale la retraite des Am�ricains alors que ceux-ci �taient au c�ur de Baghdad et s�appr�taient � l�arr�ter � sa sortie de la conf�rence de presse qu�il venait de donner � l�h�tel de Palestine. Comme le r�gime irakien d�fait, le r�gime libyen pr�f�re ce genre de discours d�lirant. Mais � l�Otan, c�est incontestablement un autre point de vue qui pr�vaut. Pour les �tats-majors concern�s, sans une action terrestre soutenue des insurg�s, les raids a�riens resteront insuffisants et ne parviendront pas � provoquer la d�faite des forces de Kadhafi. L�Otan a pour mission d�affaiblir, autant que cela est possible, ces forces et de les rendre inop�rantes ; elle avait toutes les donn�es en main et savait qu�elle pouvait pour le reste faire confiance aux insurg�s. L�estocade doit n�cessairement provenir des insurg�s. En quelques semaines, alors qu�on les disait en d�bandade, ils ont d�val� de partout et attaqu� de Misrata � l�est, du Djebel Nefousa � l�ouest, de Tajoura au sud. Ils ont encercl� la capitale Tripoli puis l�ont prise en quelques heures. Le r�gime s�est effondr� comme un ch�teau de cartes, ses supp�ts se sont volatilis�s dans la nature, et les chefs ont disparu. C�est alors qu�est tomb�e la nouvelle et elle �tait de taille : depuis les 24/25 ao�t, Kadhafi est lui-m�me un fugitif recherch� �dar, dar, beit, beit, zenga, zenga..� ! On le savait pourtant orgueilleux et narcissique, m�me si on s��tonnait de ses multiples excentricit�s et de ses imposantes amazones qui lui servaient de gardes du corps. On savait aussi de diverses sources, que son fils Seyf est un flamboyant play-boy � dollars, que sa fille Aicha est une �anti-pasionaria� hargneuse, que ses autres fils, tous cas�s dans les structures civiles et militaires de l�Etat, n�ont pas de soucis p�cuniaires � se faire et consid�rent la Libye comme leur propri�t� priv�e... De tous ces comportements excessifs, on a souvent ri ; on le faisait cependant avec un sentiment de g�ne, voire d��c�urement. Dans les chancelleries �trang�res, les diplomates se gaussaient. Mais on continuait � faire des affaires, car l�homme avait beaucoup de p�trole � vendre et beaucoup de dollars pour acheter toutes sortes d��quipements et de biens et �arroser� les uns et les autres. Aujourd�hui, les masques sont tomb�s et les r�v�lations se suivent : cette famille est en fait pire qu�on ne le croyait ; elle s�est av�r�e, au fur et � mesure des informations rendues publiques, vindicative, haineuse, brutale et amorale ; elle est, en un mot, infr�quentable. Je n�en dirais pas plus � propos de cet incroyable clan familial : on ne tire pas sur les ambulances ! Tous les membres de ce clan sont en effet, depuis la fin du mois de Ramadan, d�chus, proscrits et en fuite. La saga des Kadhafi est termin�e en Libye. On n�insistera donc pas sur cette d�bandade, qui est pourtant r�elle. D�autant que nous avons constat� que derri�re la pitoyable pantomime kadhafienne, il y a le peuple libyen, un peuple qui a cess� de ployer l��chine et s�est dress� fier, �pris de libert� et de justice, malgr� quarante ann�es de �massification � abrutissante et de mise en �uvre sur la base de la fumeuse th�orie de la �Jamahiriya�. Et par-dessus tout, nous avons d�couvert une jeunesse libyenne vigoureuse et en armes. Nous avons d�embl�e compris que c�est bien cette jeunesse courageuse qui est la force vive et h�ro�que de la nation libyenne, et non pas la mosa�que tribale archa�que entretenue par le r�gime renvers�. C�est pour toutes ces raisons je crois, qu�on est ici et ailleurs chaque jour un peu plus nombreux et plus en empathie avec la r�volution libyenne. En tout �tat de cause, le drame libyen qui est celui d�un peuple meurtri et d�un pays saccag� est en train de s�achever. L�ancien r�gime se meurt : ses derniers soubresauts, d�sordonn�s, rappellent ceux du coq qui vient d��tre �gorg� ! Les Libyens, c�est �vident, ne s�apitoient pas sur son sort ! Mais dans le m�me temps, une nouvelle �re de libert� s�ouvre pour les Libyens. Ils en sont ravis ! Il n�y a aucune raison, � mon humble avis, de penser qu�ils se laisseront confisquer leur libert� par un autre autoritarisme, fut-il drap� des oripeaux de l�int�grisme et du fondamentalisme islamique. On ne devrait pas, sous le pr�texte de combattre les terroristes islamistes, �touffer les r�volutions libertaires et tuer dans l��uf les mouvements d�mocratiques qui traversent le monde arabe. En plus du fait que cela est irrationnel, ce serait l� en fait du cynisme � l��tat grossier.