Par Bencherif Mohamed-Mostefa* Une forme tout � fait neuve de r�volution est en train de voir le jour ; elle n�est pas aliment�e par un carcan id�ologique quelconque ; elle est nette de tout assujettissement mais elle reconfigure une �tape de la lutte anticoloniale : ses porte-flambeaux sont les jeunes. Je voudrais justement faire une approche de la situation qui pr�vaut actuellement dans ce monde arabe en proie � toutes les diatribes, mais en tant que citoyen �pris de cette d�mocratie n�e d�un souffle �d�gage !� face � un Satan qui par un immense orgueil ne veut pas s�y incliner, et lui fils du feu ne veut dispara�tre que par le feu d�une r�volution radicale, que n�a pas encore vu le fils d�Adam et qui dira �va-t-en !� � l�ignorance, au sous-d�veloppement, � l�obscurantisme sous toutes ses formes, � la d�magogie, � la r�pression, � l�intol�rance, � la corruption� Je ne suis pas journaliste et je ne voudrais pas m�y substituer, cela exige des attributs sacrificiels et un immense talent, qui font la diff�rence justement entre une vision m�diocre tr�s limit�e du traitement de l�information par certains, et celle prompte d�autres, dont le professionnalisme tient le haut du pav�, courageux critiques et clairvoyants dans leurs hypoth�ses et leurs analyses et, qu�on le veuille ou non, ils sont les fers de lance qui luttent au quotidien pour l�instauration d�une d�mocratie, et ils sont l�objet de toutes les pressions, de toutes les exactions� Les nationalismes ont connu l�av�nement d�une g�n�ration d�hommes nouveaux, totalement �pris de libert�, qui pour certains, utopistes jusqu�� en perdre quelquefois la raison, ont entra�n�, une fois acquise l�ind�pendance, dans leurs folles pens�es vers les projets les plus fous, un peuple au d�part g�n�reux mais ensuite barricad�, quadrill�, r�prim� Projets qui n�ont m�ri que dans une seule t�te � orientation et � vision unique : par exemple, Bourguiba �tait presque � m�me d�offrir � son pays la premi�re d�mocratie arabe s�il n��tait �touff� par un trop grand d�sir d��tre l��ternel za�m. C��tait un homme politique qui s�est attaqu� � des tabous tels que ceux concernant la femme par exemple et qui agissait en tant que tel aid� par sa formation d�avocat, par sa faconde quasi naturelle, par un peuple subjugu� par son courage ; il pouvait s�il avait eu le bon sens du d�clic historique, miraculeux, amorcer les assises d�une r�elle d�mocratie. Mais dans tous les autres cas �la lib�ration nationale monopolis�e par un petit groupe exige et obtient une participation qui exclut la discussion et s��puise dans l�acclamation� et nonobstant les questionnements du philosophe Raymond Aron sur le sens tout relatif des �libert�s�, une fois d�tach�e du joug colonial qu�adviendrait- il de cette libert� ch�rement acquise entre les mains d�un pouvoir assujetti par mim�tisme � l�ancien ordre colonial ? � car les gens qui ont particip� � la lutte et qui ont tenu un comportement politique conforme � leurs premiers engagements sont soit en exil int�rieur ou ext�rieur, soit physiquement inexistants. Cela suppose que la r�pression continue et conna�t au gr� de l��volution sociale et politique des mutations multiformes. Cette r�volution est une forme de r�ponse la plus inattendue � un comportement qui n�a pas su assimiler les le�ons des nations qui ont souffert de la dictature depuis l�av�nement du monde moderne et la mont�e du n�ocolonialisme. La soci�t� est une totalit� : la politique, l��conomie, la religion ou les relations de travail sont les diverses facettes d�une m�me soci�t�. L�homme est � la base de la soci�t�, il ne fait que la rendre possible mais le fait social est ext�rieur � l�homme comme la vie est ext�rieure aux min�raux. Ce sont des �vidences que l��tudiant en sociologie politique assimile rapidement. Comment alors est-il possible de se comporter comme si on �tait sur un tr�ne moyen�geux en s�appuyant sur des institutions modernes et en ignorant totalement l��vidence des faits sociaux qui se jouent devant nous ? La force ne convainc personne, la r�pression ne fait que jeter dans le d�sarroi des pouvoirs qui n�gocieraient avec le diable pour continuer � disposer comme ils veulent de l�Etat. Claude Lefort dit dans un entretien accord� � la revue Esprit : la d�mocratie, personne n�en d�tient la formule et qu�elle est profond�ment elle-m�me en �tant d�mocratie sauvage� et c�est dans la contestation ou dans la revendication de ceux qui sont exclus que celle-ci trouve son ressort le plus efficace. Bien s�r ici, il s�agit de d�mocratie occidentale, et derri�re la soi-disant d�mocratie des pays sous-d�velopp�s, il y a tout le d�cor pour la camper et cacher le d�tournement moral de tout un peuple � travers une id�ologie et le cin�ma de carton des films western des partis en des duels o� tous les d�s sont d�s le d�part pip�s. Et justement ceux qui sont la plupart du temps exclus, ce sont les jeunes. Le jeune Arabe qui s��l�ve contre le syst�me parce qu�il est �touff�, parce qu�il ne vit pas assez sa jeunesse, parce qu�il vieillit, esp�re un bonheur qui tarde � venir comme ce quinquag�naire, montr� en boucle par les cha�nes de t�l�vision, qui dit avoir vieilli sous la r�pression du r�gime Ben Ali ; et paradoxe du comportement, le jeune Arabe est soit face � de jeunes gouvernants soit c�est une oligarchie de grabataires qui le m�nent � la baguette. La vie d�un homme, et de surcro�t s�il est jeune, est si �ph�m�re que la nation qui l�ignore court � sa perte, et cette jeune nation arabe est toujours face � ses vieux d�mons : une religion et une nostalgie qui d�teint sur tout ce qui bouge. On n�arrive pas � d�coller de nos superstitions, de nos ent�tements, de notre vision � sens unique� Peut-�tre qu�on peut oser dire que les jeunes se fichent pas mal de qui dirige quoi, s�il le fait bien ou mal mais ce qui les int�resse en premier lieu et c�est avec pragmatisme qu�ils le pr�nent : leur libert�, c'est-�-dire, le travail, l�application de la loi, de la consid�ration� Le jeune veut �tre � m�me de comprendre les probl�mes �conomiques et sociaux. Cette attitude rationnelle caract�rise la jeunesse moderne, c�est peut-�tre d� � une instruction plus compl�te, � cette fameuse fen�tre magique qu�est Internet� Depuis leur tendre enfance, ils sont servis par une d�magogie, qui n�arr�te pas de leur servir contradiction sur contradiction. Maintenant, seul le travail pour le jeune fait partie int�grante de sa vie et il aspire � trouver celui qui convienne le mieux � son profil, mais il n�aura pas le temps ni les moyens de faire la fine bouche, il n�a pas une panoplie de choix. Et justement, l� o� le b�t blesse, ce qui manque le plus c�est une v�ritable politique du travail qui aspirerait � se hisser en dehors du champ magn�tique du sous-d�veloppement : le �travaillez, prenez de la peine�� n�est plus moralisateur que dans sa dimension scolaire. En Syrie, des jeunes meurent parce qu�ils ont os� braver le syst�me d�occultation qui caract�rise le totalitarisme. Au Maroc, les jeunes esp�rent une vie meilleure avec plus d��coute, moins de favoritisme et plus de transparence tout en int�grant sciemment la monarchie dans leur r��valuation du monde futur. Nous sommes peut-�tre le seul pays arabe � poss�der tous les ingr�dients pour entamer le d�but d�une d�mocratie sereine, il suffit de commencer et s�il y a concomitance crise �conomique et crise politique, notre embellie financi�re conjoncturelle nous permettra une �institutionnalisation plus pouss�e des proc�dures de dialogue et nous facilitera de meilleures conditions d�exercice des libert�s politiques�. Le fait de conserver les forces politiques existantes pour red�marrer un dialogue national sur les sc�narios possibles d�un changement politique est tout simplement � mon avis, sans impact sur une �pacification� du changement souhait�. D�s le d�part, on est face � un dilemme : le vieux parti unique n�incarne-t-il pas � lui seul cette r�sistance, qui caract�rise son essence m�me, � tout changement qui pourrait le mettre en p�ril ? Et comment dans son sillage ne retrouve-t-on pas les autres partis de l�Alliance pour d�fendre la primaut� de la d�mocratie, et donc continuer leur bonhomme de chemin vers un pouvoir qui resterait, quand m�me qu�on le veuille ou non, � red�finir, dans l�exercice qui le lierait � la nation et donc au peuple, c�est le premier pas vers un nouveau contrat social qui nous lib�rerait des bras ankylos�s du syst�me de �l�gitimation anticip�e� vers un syst�me de �l�gitimation altern�e� ? Et puis, il ne suffit pas d�instaurer les institutions et les grands principes de la d�mocratie pour obtenir un r�gime d�mocratique, il manquerait �la vertu civique� : transformer les citoyens en sujets actifs, susciter les qualit�s de participation politique pour que les institutions d�mocratiques ne soient pas confisqu�es par une oligarchie� Il faut aussi des r�gles op�rationnelles telles que celles concernant les attitudes politiques (il ne faut pas qu�elles soient min�es par l�extr�misme sous toutes ses formes), les normes de comportement, le m�canisme de prise de d�cisions� Si le rapport est, au pr�alable, �tabli entre d�veloppement et d�mocratie, sous-d�veloppement et dictature, il faut beaucoup de bonne volont� pour agir sur les esprits, changer les mentalit�s et am�liorer cette relation gouverneur/gouvern�s, en vue justement de sortir de cette vision � sens unique, seul moyen pour assurer un d�collage �conomique pour lequel le temps presse, pour l�ensemble des pays arabes. Il y a lieu de surmonter ce que Ren� Girard appelle �la crise d�indiff�renciation �, c�est la dilution ou la disparition des rep�res d�ordre moral ou juridique, on ne respecte plus ce qu�on respectait hier ( comme sacr�), on s�habitue m�me au crime de masse, chacun m�conna�t les r�partitions de comp�tences, les distinctions de statuts et de rangs ne sont plus op�rants ; cette crise fait na�tre le besoin d�une victime �missaire ; pour �viter la violence de tous contre tous, on constitue alors une violence de tous contre un. Les Arabes sont en face d�un h�ritage farfelu des temps imm�moriaux : le culte du chef parce que lui seul sait, parce que lui seul incarne tout un projet de soci�t� ; son effet est tel qu�il draine derri�re lui les �motions de tout un peuple� pour les chefs de file de l��poque de la d�colonisation et de la construction d�un Etat aux institutions modernes. Cette �re �voque pour beaucoup une nostalgie, qu�il faut pourtant d�passer sereinement, en rejetant cette conception rigoureuse de la V�rit� qui ne tol�re ni les doutes ni les discussions en accusant d�obscures forces externes de complots ourdis contre �notre bon sens� et de pervertir les forces vives du peuple. Ce r�flexe d��liminer tout ce qui est susceptible d�entraver la dynamique d�emprise sur la soci�t� par les syst�mes absolutistes ne doit plus caract�riser la ligne de conduite des ex�cutants en chef et donc continuer l�influence du culte du chef. Ce syst�me fonctionne sur les incriminations p�nales et la terreur, personne n�est � l�abri des incriminations pour sabotage, pour complot contre le r�gime, et la cat�gorie des suspects est d�abord d�finie sur la base de principes id�ologiques et l�hypertrophie de l�appareil policier tend � faire de chacun le d�lateur possible de son voisin. Une attitude s�culi�re, enfin, est la seule capable de rafra�chir les visions et de redonner vie � toute dynamique d�mocratique, tout le reste n�est que politique. B. M.-M.