En ce XXIe siècle, il réunit en lui des paradoxes rares. Il est à la fois riche et pauvre. L'impasse tragique dans laquelle se trouve le peuple palestinien, l'Irak agressé et livré à la descente aux enfers, la nature archaïque de la plupart des régimes arabes, la persistance du phénomène réactionnaire et voué à l'échec qu'est l'extrémisme politico-religieux, la dépendance économique qui s'amplifie chaque jour, le désert culturel et le chômage dans lesquels se débattent les jeunes et l'absence de bonne gouvernance, sont les reflets d'une situation qui a dépassé toutes les limites. Le monde arabe est confronté à des défis sans précédent. Cependant, il semble pratiquer la fuite en avant, refusant d'assumer son temps. Il n'est plus acteur de son histoire et des changements mondiaux. Il subit. Depuis cinq siècles, sauf exception, et malgré sa juste cause et un certain nombre de réalisations et d'acquis, il ne cesse de se débattre dans des problèmes. En ce XXIe siècle, il réunit en lui des paradoxes rares. Il est à la fois riche et pauvre. A l'exception, pour certains, de la période de la lutte anticoloniale, dont la plus significative a été l'épopée algérienne du 1er Novembre, le monde arabe reproduit des pratiques dépassées et rétrogrades. De plus, il est redevenu une région visée par le néocolonialisme, les grandes puissances et les politiciens bellicistes. Alors que l'humanité est une, les politiques expansionnistes et hégémoniques des grandes puissances, leur négation du droit à la différence et le refus de reconnaître les apports des autres cultures à la civilisation mondiale sont source de graves dissensions. Les Arabes de par leur héritage et spécificités, apparaissent comme les derniers dissidents au désordre mondial, mais leur résistance semble irrationnelle et anarchique. Les peuples arabes sont soumis à rude épreuve. Ils sont pourtant riches de leur spiritualité, de leur histoire et lumineuse civilisation, nantis de richesses naturelles et d'une position géographique et stratégique favorables. Mais le facteur déterminant est politique, ils sont pratiquement les seuls dans le monde à être privés de démocratie, de bonne gouvernance, de débats d'idées constructifs et de politiques de recherches scientifiques conséquentes. Former un citoyen responsable Pour cerner les causes objectives de cette situation de sous-développement, préoccupante, marquée par la dépendance, la marginalisation des élites et des citoyens; et tenter de la redresser, les études scientifiques et les actions politiques concertées et conséquentes sont peu visibles. Dans la sérénité, car toute opposition violente, verbale ou matérielle, et tout dénigrement sont contre-productifs et négatifs, Il est urgent de rappeler les causes internes et endogènes du sous-développement politique, culturel et économique. Hier, chacun selon sa vision, Malek Bennabi et Mostefa Lacheref pour l'Algérie, Taha Hussein et Ahmed Amin pour l'Egypte, et d'autres au Maghreb et ailleurs, ont tenté, par exemple, de sortir leur société du «alam» la douleur du dominé, pour s'inscrire dans «amal», l'espoir, travail de «ceux qui connaissent en ces moindres recoins le pays de la souffrance» comme disait Aimé Césaire. D'éveiller les consciences et de tenter de les amener à la réflexion, de les faire sortir de la torpeur et la propension à vivre dans l'imaginaire et la subjectivité, de sortir de l'emprise, de la paralysie et de l'attentisme. En somme, oser innover dans la production des idées à partir de nos sources, en tenant compte des transformations et métamorphoses, et les faire partager, pour contribuer à former un citoyen responsable, capable d'affronter les réalités avec objectivité, réalisme, rigueur et détermination. En somme, à produire des richesses sous toutes ses formes et à forger un Etat de droit, facteurs clés, sans qui il n'y a ni stabilité, ni sécurité, ni rapport de force favorable face aux prétentions et ingérences étrangères. Il faudrait se référer à nos réalités pour définir nos intérêts concrets, notamment ce dont nous devons absolument garder la maîtrise et en conséquence fixer les objectifs de façon rationnelle. Ensuite, y consacrer tous les efforts de communication et de mobilisation pour les réaliser. Le monde arabe est à la croisée des chemins. La solution à ses problèmes viendra du dedans par la démocratie et la bonne gouvernance, et non pas du monde techniquement développé, aveuglé par sa volonté de puissance, occupé à généraliser sa domination de manière faustienne. Reste à discerner, car, d'une part, les administrations et régimes ne sont pas les peuples, et, d'autre part, nous avons des amis dans le monde occidental, reste à consolider ces liens. La situation est complexe, car tous les problèmes se posent en même temps. D'où l'importance, non de s'enfermer dans des oppositions stériles, mais d'aider l'Etat à se renforcer par la démocratie, et le citoyen à s'impliquer de manière constructive. Au niveau social, en l'absence de projets clairs, de programmes cohérents et de canaux de communication, la population est livrée à elle-même, soumise en permanence à une pression et une sorte de harcèlement dans sa vie quotidienne, non-respect de ses droits élémentaires, politiques économiques, sociaux, culturels, précarité, chômage, difficulté, voire impossibilité de participer au développement et au progrès. En conséquence, il y a rupture des liens sociaux, absence de consensus, démobilisation de la société face aux défis multiples, avec, pour corollaire, l'apparition d'une violence sourde et généralisée et d'une insécurité interne et externe de tous les instants. Depuis longtemps, les plus anciens de la planète et illégitimes, dans des sociétés pourtant jeunes et assoiffées de justice, les pouvoirs en place n'ont pas d'autres réponses aux crises, en dehors de la fuite en avant, l'immobilisme et le pourrissement, malgré des efforts et parfois de bonnes intentions. Le tout est aggravé par le carcan bureaucratique, fait d'un mélange contradictoire de laxisme et de répression, de démagogie et de soupçon envers tous les citoyens. L'absence de confiance entre la base et le sommet n'a jamais été aussi grande. Les forts taux d'abstention aux différentes élections en sont le reflet. Le système colonial, si abject, en vigueur au XIXe siècle et au siècle dernier semble se perpétuer et s'appliquer sous des formes différentes, pour réduire les citoyens à des «indigènes» passifs et soumis à l'ordre dominant. Le fossé se creuse entre les groupes sociaux, et entre les gouvernants et les gouvernés, le désespoir s'amplifie. Les puissances étrangères profitent de la situation et perpétuent à leur manière le déclin de nos sociétés pour mieux exploiter nos richesses et laminer toute velléité de réelle indépendance. Dans la plupart des pays arabes, les choix fondamentaux opérés de manière autoritaire à l'indépendance n'étaient pas conséquents. Ils se positionnaient par rapport à des lignes de clivages idéologiques et politiques qui traversaient les sociétés occidentales tel le binaire socialisme/capitalisme. Ces choix sont arrivés à leurs limites, avec le «triomphe» du Marché et du libéralisme. Comme le reste du monde, les sociétés arabes subissent les nouvelles règles du jeu, mais ne sont pas préparées à y faire face. Elles appliquent, car naviguent à vue, des recettes conjoncturelles et un système bureaucratique et parfois volontariste, sans s'appuyer sur l'essentiel: la bonne gouvernance et la valorisation des ressources humaines. La raison est simple, en l'absence de démocratie et de respect de l'échelle des valeurs, les régimes arabes ne peuvent pas valoriser les compétences, ni appliquer les règles de la bonne gouvernance. Ils les considèrent comme des obstacles à leur pérennité. L'obsolescence de ce type de système conduit à mille dérives, fragilise les sociétés et produit la violence et l'intégrisme avec son cortège de misères, de fractures et de traumatismes. Les régimes en place semblent actuellement incapables de définir les intérêts essentiels de leurs pays, tant au plan politique qu'économique, social et culturel. Encore moins concevoir une stratégie de développement global et d'intégration régionale et mondiale. Ils persistent dans la voie sans issue de la marginalisation des compétences et du renforcement du despotisme, fut-il parfois éclairé. Les «élites» au pouvoir semblent incapables de s'amender et de réformer en profondeur. Pourtant, en leur sein, des bonnes volontés et des compétences existent. En conséquence, seule une prise de conscience de la société civile, à partir de débats et d'un travail de communication éducatif, peut générer des modes de réflexion, d'organisation et d'action à même d'engager, hors de toute violence et surenchères, un sursaut salutaire pour une refondation. Telle que pratiquée jusqu'à présent dans le monde arabe, l'action politique est souvent absente, ou à sens unique, paternaliste, populiste et cynique. Même si la raison d'Etat est une valeur noble et universelle, et que des expériences encourageantes et bien réelles sont enregistrées ici ou là, car la situation est hétérogène, cette politique figée consiste à intimider et embrigader les citoyens, les neutraliser pour la réalisation d'objectifs étroits, parfois, voire antinationaux. La politique à laquelle aspirent les peuples arabes est d'un autre ordre. Il s'agit de donner l'exemple, de traduire les soucis des citoyens, de respecter les règles universelles de la démocratie, sans démagogie. Concevoir les voies et moyens du développement, et pour les réaliser, unifier les efforts et les orienter vers la mobilisation, résultante de volontés et d'aspirations librement exprimées et consciemment décidées, c'est engager des processus de démocratisation progressifs, accompagnée et balisée, mais bien réelle, c'est cela la politique au sens réaliste, raisonnable et efficient. Au plan économique et culturel, les pratiques apparaissent plus orientées vers l'imitation de modèles importés et l'enrichissement de clans et des puissances étrangères que la promotion des citoyens et la spécificité de chaque pays. Prise de conscience de la société civile L'émergence, l'organisation et la mise en place d'une culture et d'une économie au service du plus grand nombre tardent à voir le jour, pourtant les possibilités existent. Que faire pour rendre les citoyens acteurs de leur devenir, capables de réaliser la synthèse entre l'authenticité et le progrès moderne, producteurs de biens et d'idées et maîtres de leur élévation dans la hiérarchie sociale? Cela ne peut se faire sans leur éducation, un devoir, et leur participation à la vie politique, un droit. La démocratie et la bonne gouvernance ne sont pas un mythe, ni une revendication mineure. Les pouvoirs arabes, à quelques exceptions, faute de règles et de mécanismes fondés sur l'Etat de droit, sont souvent monopolisés par des acteurs politiques coupés de la réalité. Ils sont parfois de bonne foi, mais leur ignorance et leur coupure avec les citoyens les conduisent à se comporter parfois comme le colonisateur féodal d'hier. L'Algérie si riche dans tous les domaines, et forte de ses acquis, comme la liberté d'expression, est le pays vers lequel les regards devraient être tournés. Si le pays de Novembre ne donne pas l'exemple, qui le donnera? Il dispose des atouts pour devenir une société émergente, un pôle d'attractivité, capable de réaliser la cohérence entre le progrès et nos racines, entre la base et le sommet, entre l'unité et la pluralité, entre la démocratie et la discipline citoyenne, entre l'efficacité et la justice sociale. Le pays d'Ibn Khaldoun, de l'Emir Abd El Kader et de tant de fondateurs de la culture de l'Etat, de la perspicacité, de la dignité et de la résistance, peut rouvrir l'horizon, pour lui-même et par ricochet, pour tout le monde arabe. www.mustapha-cherif.com