Entretien r�alis� par Brahim Taouchichet Frustr�e de son adh�sion � l�Union europ�enne, la Turquie de Recep Tayyip Erdogan entend jouer les premiers r�les dans la r�gion proche-orientale, notamment sur la question palestinienne, d�o� une confrontation in�vitable avec l�Etat d�Isra�l. L�attaque de la �Flottille de paix� marquera le point de rupture dans des relations entre les deux pays pourtant de haut niveau, surtout dans le domaine de la d�fense. Le �printemps arabe� l�a amen� � r�viser ses positions traditionnelles de soutien pour une d�marche pragmatique, mondialisation oblige. Le probl�me de Chypre vient de refaire brusquement surface avec le lancement des forages offshore dans la zone chypriote grecque. Les gisements de gaz offshore sont estim�s � 700 milliards de m�tres cubes. Si avec l�Alg�rie l�excellence des relations est mise en exergue, l�ambassadeur turc � Alger exprime l�impatience d�Ankara d�aller plus vite dans la coop�ration bilat�rale, surtout depuis la signature du trait� d�amiti� en mai 2006. La suppression du visa d�entr�e en Turquie n�est pas � l�ordre du jour, par contre le nombre des visas devrait �tre port� � 70 000 cette ann�e. Halwate loukoum, caf� turc de rigueur chez l�ambassadeur qui, � l�issue de l�entretien, avoue sur un ton confidentiel : �Les Alg�riens sont difficiles.� Voire.Le Soir d�Alg�rie : Excellence, le fait du jour c�est la demande de l�admission de la Palestine en tant qu�Etat de plein droit � l�ONU. Votre commentaire ? Ahmet Necati Bigali : C�est tout � fait l�gitime. Cela fait plus d�un demi-si�cle que dure la trag�die palestinienne. En 1947, le Conseil de s�curit� de l�ONU a pris la fameuse d�cision 181 qui pr�voyait l��tablissement de deux Etats en Palestine. L�Etat d�Isra�l a �t� cr�� en 1948. Malheureusement, depuis cette date, la Palestine n�a pas eu son ind�pendance. Isra�l est la source de l�instabilit� dans la r�gion du Proche-Orient. C�est un Etat qui ne respecte pas le droit international. Il y a des centaines de r�solutions du Conseil de s�curit� et de l�Assembl�e g�n�rale de l�ONU qui demandent le retrait des forces d�occupation isra�liennes des territoires occup�s apr�s la guerre de 1967, le retour des r�fugi�s palestiniens et l��tablissement de l�Etat de Palestine. C�est en vain. Le blocus de Ghaza est contraire au droit international. Nous soutenons la cause palestinienne qui est tr�s ressentie chez nous. Les 23 et 24 ao�t dernier, nous avons organis� une conf�rence des ambassadeurs palestiniens � Istanbul et nous travaillons pour faire aboutir cette qu�te d�ind�pendance de l�Etat de Palestine. Depuis une trentaine d�ann�es, les pourparlers directs ou indirects entre Palestiniens et Isra�liens continuent, les efforts du quartet aussi mais sans r�sultat. Sans le r�glement de la question palestinienne, il n�y aura pas de paix dans cette r�gion. Votre commentaire ? Elle est tout � fait l�gitime, je le r�it�re. Le refus du Conseil de s�curit� ne signifie pas l�arr�t des pourparlers. Tous les pays membres du Conseil de s�curit� doivent accepter cette demande. En cas de refus ? Vous savez, les Etats-Unis ont mis leur veto. C�est dommage ! Il faut 9 pays du Conseil de s�curit� pour que la demande aille � l�Assembl�e g�n�rale o� un vote favorable ne pose pas probl�me : la Palestine aura un statut d�Etat observateur, on ne parlera plus d�entit�. L�Etat de Palestine participera dans toutes les instances internationales de l�ONU et c�est d�j� quelque chose. La Turquie d�ploie une grande activit� diplomatique dans le soutien de la cause palestinienne. Les observateurs politiques sp�culent beaucoup quant � ses r�elles motivations ? Les fondements de la politique ext�rieure de la Turquie c�est la paix et la coop�ration, le principe de z�ro probl�me avec les voisins et le r�glement de tous les probl�mes dans la r�gion du Moyen-Orient. Toutes les initiatives que nous prenons sont bas�es sur ce principe. C�est pourquoi nous voulons la paix arabo-isra�lienne mais qui passe par le r�glement de la question palestinienne. La solution c�est deux Etats vivant en paix. Des observateurs pr�tent � la Turquie une volont� de puissance. Elle entend, selon eux, de plus en plus s�affirmer au double plan r�gional et international, notamment � travers sa position sur la Palestine � en ayant en m�moire la sortie avec fracas de M. Erdogan du forum �conomique de Davos en 2009, c�est-�-dire au moment fort du bombardement de Ghaza... Nous ne sommes pas � la recherche d�un r�le sp�cifique dans la r�gion, par contre, nous voulons que pr�vale la stabilit�. Plut�t que l�ambition d�une h�g�monie dans la r�gion, nous voulons la paix et la coop�ration, moyen pour que la r�gion se d�veloppe. Concernant Davos, notre Premier ministre Erdodan n�a pas b�n�fici� du temps n�cessaire pour s�expliquer. Fin 2008, d�but 2009, l�attaque de Ghaza �tait un massacre, un crime contre l�humanit�, de crime de guerre. L�arm�e isra�lienne a bombard� les �coles, les h�pitaux, les ambulances. Le 31 mai 2010, l�arm�e isra�lienne a attaqu� le navire Mavi Marmanaqui faisait partie de la �flottille de la paix� qui allait � Ghaza. Dans ce navire qui transportait une aide humanitaire dont des jouets pour enfants, il y avait des gens de 32 nationalit�s, parmi eux des d�put�s alg�riens. Ce n��tait donc pas une initiative purement turque mais de la communaut� internationale. Depuis la cr�ation de la r�publique turque en 1923, c�est la premi�re fois qu�une arm�e �trang�re tue des civils turcs. Nous avons pos� trois conditions pour la normalisation de nos relations avec Isra�l : des excuses officielles, l�indemnisation des familles des victimes et la lev�e du blocus contre Ghaza. Nous rejetons le rapport Palmer qui stipule que l�attaque n�est pas contraire au droit international. Isra�l doit r�pondre positivement � ces trois demandes sinon il n�y aura pas de normalisation de nos rapports. De plus, il ne s�agit pas d�une question entre la Turquie et Isra�l mais avec la communaut� internationale. Notre repr�sentation diplomatique est ramen�e au rang de deuxi�me secr�taire, les relations militaires sont suspendues, donc aussi en mati�re de d�fense. Je voudrais dire que nous n�avons pas de probl�me avec le peuple isra�lien dirig� par un gouvernement fanatique. L�entr�e de la Turquie dans l�Union europ�enne tarde � se concr�tiser quand bien m�me la Turquie a r�pondu � un certain nombre de crit�res d�adh�sion. Comment expliquez-vous la farouche opposition de certains pays comme la France du pr�sident Sarkozy ? Depuis des ann�es, monsieur Sarkozy s�oppose, il dit que la Turquie ne fait pas partie de l�Europe, de la culture europ�enne. La chanceli�re allemande aussi, ainsi que l�Autriche et l�administration de Chypre du Sud que nous appelons d�ailleurs l�administration grecque du Sud. L�Union europ�enne a exig� de nous des r�formes politiques et �conomiques que nous avons r�alis�es. Certes, il reste encore du travail � faire � ce niveau. Il faut savoir que ces r�formes nous les avons faites d�abord pour nous-m�mes : d�mocratie, droits de l�homme sont des valeurs universelles. Le peuple turc d�sire fortement entrer dans l�Union europ�enne. Dans quelques ann�es, il n�en voudra peut-�tre plus. L�enthousiasme dans l'opinion publique turque s��mousse. Je peux vous dire que l�Union europ�enne n�a pas �t� honn�te et correcte avec nous dans ses engagements. Les relations alg�ro-turques sont depuis longtemps inscrites sous le sceau de la qualit�. Qu�est-ce qu�il serait opportun d�entreprendre aujourd�hui pour les hisser � un niveau d�excellence ? Nous avons d�excellentes relations politiques et �conomiques avec l�Alg�rie. Mais vu l�immense potentiel de nos deux pays, ces relations restent en de�� des attentes. Nous sommes pr�ts � travailler dans le transfert technologique, partager notre savoir, notre exp�rience mais aussi profiter de votre exp�rience. L�Alg�rie a beaucoup d�exp�rience dans plusieurs secteurs. Nous travaillons beaucoup ensemble dans les institutions internationales, par exemple dans le forum mondial contre le terrorisme copr�sid� par les Etats-Unis et la Turquie. Dans quels domaines pr�cis ? Nous d�sirons depuis longtemps un accord de libre-�change, mais nos amis alg�riens ont leurs r�serves suite aux ennuis avec l�Union europ�enne. Nous voulons accro�tre les vols quotidiens de Turkish Airline. Nous attendons le feu vert de nos amis alg�riens depuis des ann�es. Actuellement, il y a 1 vol par jour et nous voulons le porter � 3 et ajouter de nouvelles dessertes Istanbul-Oran et Istanbul- Constantine. Cela accro�tra les contacts de nos deux peuples. Je dois rappeler qu�en mai 2006, lors de la visite de notre Premier ministre Erdogan, nous avons sign� le trait� d�amiti� et de coop�ration avec l�Alg�rie. Ce trait� est d�importance en ce qu�il fait des deux pays des partenaires strat�giques, l�Alg�rie ayant ce type de trait� avec seulement 4 pays dans le monde : l�Italie, l�Espagne, le Portugal et la Turquie. Nous souhaitons relancer ce trait� par la tenue de r�unions de haut niveau. Nous attendons l�accord des autorit�s alg�riennes pour ouvrir un centre culturel turc � Alger. Je suis d��u, la demande a �t� introduite cela fait 8 mois. Nous esp�rons une r�ponse favorable. La Turquie est devenue une destination privil�gi�e pour les touristes alg�riens et cette ann�e encore plus avec les �v�nements de Tunisie. Quelle appr�ciation faites-vous de cet afflux et va-t-il pousser � la prise de mesures nouvelles telle que la suppression du visa ? Les peuples alg�rien et turc sont tr�s proches parce que dans le pass� lointain nous avons partag� le m�me destin. Aujourd�hui, ils partagent les m�mes valeurs culturelles, spirituelles, culinaires, etc. Lorsque le touriste alg�rien est en Turquie, il n�est pas d�pays�. Les mosqu�es et leurs minarets, la modernit� constituent les deux faces de la Turquie d�aujourd�hui, c�est pourquoi les Alg�riens se sentent chez eux comme nous nous nous sentons ici chez nous. L�h�tellerie est dans les standards internationaux, tr�s d�velopp�e et pas tr�s ch�re. En 2010, nous avons d�livr� 57 000 visas pour les touristes alg�riens. Nous allons porter ce chiffre � 70 000 visas. Nous sommes tr�s contents des touristes alg�riens en Turquie. Historiquement, et parce que partageant la m�me religion avec les pays arabes, la Turquie leur est tr�s li�e, voire impliqu�e dans tout ce qui les touche. Quelle est aujourd'hui la vision de la Turquie sur les �v�nements qui se d�roulent dans le monde arabe ? La position du gouvernement turc est que les r�gimes des pays comme l�Egypte, la Tunisie, le Y�men, la Libye, la Syrie doivent r�pondre aux aspirations de leurs peuples et ne pas utiliser la force contre les manifestants pacifiques. Nous croyons au changement d�mocratique dans ces pays par la tenue d��lections libres et justes au suffrage universel, le respect des droits de l�homme, la supr�matie du droit. Ce sont des valeurs universelles. Nous souhaitons que ces pays y parviennent par des r�formes pacifiques. Les r�gimes autoritaires oppresseurs ne peuvent pas exister dans le monde d�mocratique d�aujourd�hui. Sans le soutien du peuple, aucun r�gime ne peut survivre. M. Erdogan est le premier chef de gouvernement � visiter officiellement la Libye du CNT, il se d�solidarise du pr�sident Bachar El-Assad apr�s l�avoir soutenu. Ces prises de position d�tonnent aux yeux des observateurs politiques. Qu�en dites-vous ? Notre Premier ministre s�est d�abord rendu en Egypte puis en Tunisie et enfin en Libye, les trois pays du printemps arabe, pour soutenir les nouveaux r�gimes. Nous sommes pr�ts � coop�rer dans tous les domaines. La prospection du gaz offshore � Chypre projette �galement la Turquie sous les feux de l�actualit�. La tension monte. Qu�en est-il au juste pour le gouvernement turc ? C�est une histoire longue et complexe qui dure depuis 50 ans. Dans l��le de Chypre, il y a deux autorit�s, deux Etats distincts. La partie grecque pr�tend qu�elle est l�unique repr�sentant de l��le. Dans les faits la partie sud n�a pas d�autorit� sur le nord. Il y a un Etat qui dispose d�un Parlement �lu, malheureusement reconnu seulement pas la Turquie : c�est la r�publique turque de Chypre du Nord depuis 1983. Avec l�Angleterre et la Gr�ce nous sommes garants de l�ind�pendance de l��le. Mais la Gr�ce a voulu l�annexer. En 1974, il y a eu le coup d�Etat militaire en Gr�ce, ce qui nous a pouss�s � intervenir pour sauver de l�extermination le peuple turc de Chypre. La question du gaz va-t-elle rendre encore plus difficile la solution au probl�me de Chypre ? La question chypriote est entre les mains des Nations unies. Le secr�taire g�n�ral a fix� une date butoir jusqu�� la fin de cette ann�e pour trouver un terrain d�entente. C�est donc pour faire diversion que la partie grecque a cr�� ce probl�me. Les prospections de gaz ont lieu dans une zone qui rel�ve des droits de la r�publique de Chypre du Nord. Nous avons d�p�ch� des navires sur place. Nous avons fait savoir que nous nous retirons si les recherches s�arr�tent. Une derni�re question, Excellence, il est beaucoup question de mod�le turc avec l�arriv�e au pouvoir de l��quipe Erdogan et de l��ventualit� pour les pays musulmans de l�appliquer chez eux. Peut-on savoir ce qu�une telle hypoth�se vous inspire comme commentaire ? Dire que le r�gime turc peut �tre pris comme mod�le c�est de l�exag�ration et l�ignorance des sp�cificit�s de chaque pays qui a sa propre histoire. En 1946, nous sommes pass�s au multipartisme. N�anmoins, il pourrait �tre une source d�inspiration pour le monde arabe. La Turquie a rendu possible la compatibilit� islam et d�mocratie.