Vendredi. Il est 14h pass�es de quelques minutes. Les b�b�s sombrent dans les bras de Morph�e. Tandis que les plus �g�s s�assoupissent le temps d�une sieste en ce premier jour de week-end. C�est � ce moment pr�cis que Abdou, la trentaine d�pass�e, mari� depuis peu et d�j� p�re d�une petite fille, se munit d�une massette, d�un burin, d�une pelle, de deux barres de fer, d�une cha�ne m�tallique, d�un peu de ciment et de sable. �Face au parking sauvage, je cadenasse ma place� En vrai-faux ma�on, il entreprend de sceller sa place de parking dans cette cit� de la p�riph�rie d�Alger. Sans avertir, sans autorisation pr�alable, il s�arroge le droit de d�limiter un espace cons�quent juste en dessous de sa fen�tre pour sa petite voiture cor�enne. A peine les premiers coups de massette donn�s que tout le quartier se perche aux balcons et fen�tres. Les b�b�s pleurent et les adultes marmonnent sans que personne n�ose interrompre le jeune homme dans son ��uvre�. C�est que les habitants s�y sont habitu�s � ces sorties qui ne surprennent plus personne. Tous observent un silence coupable car chacun sait, au fond, que le jour viendra o� il aura � entreprendre des �initiatives individuelles� sur l�espace commun du quartier. En fait, Abdou n�est pas le premier. C�est juste un suiveur. Un taxieur a �t� � l�origine de l��id�e� de s�octroyer des espaces de stationnement. Le taxieur s�est m�me arrog� le droit d�en r�server deux places, l�une pour lui et l�autre pour la voiture partag�e par sa fille et son �pouse. Il inspira, imm�diatement, les autres, parmi eux des gens consid�r�s comme �tant d�un rang intellectuel suffisamment �lev� pour s�abstenir d�agression sur l�espace commun dont des professeurs d'universit�, des m�decins, des m�decins sp�cialistes et des ing�nieurs� Et le taxieur n�est pas avare en arguments : �J�ai saisi ma place parce que je ne voulais plus payer les 700 DA mensuels du gardien de nuit du fait qu�il m�est arriv� de me r�veiller au milieu de la nuit et ne lui trouver aucune trace sinon � jouer aux cartes sous un balcon � 200 m du parking. Et puis, il ne veut pas r�gulariser sa situation en �tablissant une autorisation aupr�s de l�APC et se faire signaler � la Gendarmerie nationale.� Le gardien, gourdin � la main, a une tout autre version : �C�est un radin, au mieux il me payait un mois sur trois. Comme il est de l��ge de mon p�re, je ne veux pas cr�er de probl�mes dans le quartier.� Voil� qui s�appelle gu�rir le mal par le mal. Ainsi, en moins d�une semaine, c�est tout le parking du quartier qui arborait des guirlandes de cha�nes � maillons m�talliques cadenass�es aux extr�mit�s. Espaces communs : premier arriv�, premier servi Et notre taxieur n�est pas � sa premi�re initiative du genre. Pis encore, il s�est octroy� un espace vert commun d�environ 200 m2 pour en faire un jardin privatif. Comme le r�sume si bien un m�decin de l�immeuble d�en face : �On n�y a rien vu. Il est all� par dose hom�opathique.� Aujourd�hui, le jardin est enti�rement cl�tur�, une excroissance de l�immeuble y a �t� construite et le taxieur s�est m�me octroy� un acc�s individuel et ferm� le passage par la cage d�escalier. �C�est ce qui s�appelle une maison individuelle au rez-de-chauss�e d�un immeuble social�, constate un retrait� avant d�encha�ner : �C�est culturel. C�est de la rurbanit� aggrav�e par les rep�res architecturaux du bidonville d�o� est issue la moiti� de ce quartier.� En effet, cette petite cit� paisible �tait destin�e � accueillir des universitaires dont des cadres, des docteurs, des chercheurs et m�mes des �tudiants en post-graduation � qui le promoteur public avait am�nag� deux immeubles de F1 avec toutes les commodit�s n�cessaires � la vie estudiantine. Un melting pot fatal pour la soci�t� C��tait compt� sans les imp�ratifs de la gestion de l�urgence. A la veille du festival mondial de la jeunesse, il fallait � tout prix d�loger les occupants de deux bidonvilles par trop visibles sur l�autoroute de l�a�roport pour les h�tes de l�Alg�rie. Le reste des logements ont �t� tout aussi octroy� dans le cadre du relogement des sinistr�s du s�isme de 2003 d�un quartier populaire d�Alger. C�est ainsi que tout ce �melting pot� s�est retrouv� � vivre dans un espace commun donnant naissance � une forme de cohabitation o� ce sont les valeurs de la violence et de la force qui prirent le dessus. Dans ce m�me quartier, un stade de proximit�, am�nag� sp�cialement pour que la jeunesse puisse s�adonner � la pratique des sports collectifs comme le basket- ball, le handball, le volley-ball et bien �videmment le football, mais c�est un spectacle de d�solation qui s�offre au premier visiteur. Les filets, les paniers, les poteaux, le portail, le grillage ont �t� compl�tement arrach�s. M�me, le marquage au sol � la peinture des rep�res des diff�rentes disciplines n�a pas �t� �pargn�. �Nous les Alg�riens, ne nous jouons qu�au football�, dit �fi�rement � un adolescent adoss� � ce qui reste du portail m�tallique tout rouill�. Depuis quelques mois, le stade de proximit� est totalement impraticable. La raison ? Sous pr�texte que les jeunes qui viennent des quartiers limitrophes ne respectent pas le voisinage, particuli�rement � cause des insultes qui fusent et des bagarres qui s�y d�clenchent au quart de tour, les locataires de l�immeuble adjacent ont d�cid� de se faire justice eux-m�mes. Au lieu d�interpeller les jeunes ou au plus avertir les autorit�s ou les services de s�curit�, ils ne trouv�rent pas mieux que d�organiser une descente. Ce qui reste de l�infrastructure a �t� enti�rement saccag�. D�abord, la plateforme du terrain a �t� asperg�e de graisse pour camions et d�huile de moteur ; ensuite des gravats de travaux y ont �t� d�vers�s ; des bouteilles en verre lanc�es � partir des fen�tres rajoutent de la d�solation au spectacle. Pendant ce temps, aucune autorit� locale n�est venue les rappeler � l�ordre. Aujourd�hui, ce sont les jeunes de ce quartier qui se retrouvent sans lieu de loisir. A d�faut, des babyfoots et des billards sauvages et payants pullulent sur les trottoirs. Pour ceux qui n�ont pas de quoi se payer une partie, des paris tout aussi bruyants sont organis�s jusqu�� l�aube. Tandis que d�autres �cument les caves et les bas de fen�tres � jouer aux cartes. Mais pas pour longtemps� car l� aussi les riverains en ont marre et certains ont recommenc� � enduire les bas de leurs immeubles d�huile de moteur crasseuse pour les en dissuader de s�y adosser. R�cemment, l�Office de gestion public a refait tout le quartier : caves nettoy�es et d�sinfect�es, fa�ades raval�es, espaces verts rebois�s, d�tritus d�log�s, cages d�escalier et balcons repeints jusqu�aux portes-fen�tres et portes� mais pour combien de temps encore, s�interrogent en silence les plus respectueux des habitants ?