Par Mohamed Ma�rfia, moudjahed 8. L��chec Les causes objectives de l��chec de Tahar Zbiri n�ont pas d�autres raisons que son option, d�s le d�but sur le dialogue, les appels � la raison et la persuasion. Cette option n��tait pas inspir�e par la peur d�affronter par la force Boumedi�ne et ses moyens, mais par la crainte de voir le pays replonger dans les d�chirements qui ont pr�c�d� et suivi le cessez-le-feu de 1962. Il �tait convaincu que �la table rase du 19 juin� �tait une bonne chose pourvu que ses promesses soient tenues. C�est cette illusion, nourrie jusqu�au bout, qui le m�nera � l��chec. La meilleure preuve que sa d�marche �tait pacifique est l�ordre qu�il donne au 1er bataillon de chars de quitter la capitale, qu�il tient sous le feu de ses canons, pour un cantonnement � El- Asnam, � 200 km de l�. D�s lors qu�il d�montre qu�il ne nourrit aucune vell�it� de prise de pouvoir par la force, il d�mobilise ceux de ses partisans qui sont pr�ts � aller plus loin � ses c�t�s. Il paralyse les mains du plus efficace et du plus d�termin� de ses officiers, en l�occurrence le commandant Amar Mellah, lequel ne peut plus �laborer un plan coh�rent et une liaison efficace avec les divers �l�ments de son dispositif, sans heurter de front le parti pris de Zbiri, en l�occurrence la concertation avec les autres chefs militaires et les appels � la raison en direction de Boumedi�ne. Le d�part d�Alger du 1er bataillon de chars, pivot central autour duquel doit s�articuler l�intervention des autres unit�s favorables au mouvement, est compris par les partisans de Zbiri comme la fin de la crise et le d�but de la solution politique. Zbiri n�a pas d��quipe. Il ne veut pas en constituer. Il ne veut pas appara�tre comme quelqu�un qui se pr�sente en alternative � Boumedi�ne avec une sorte de cabinet fant�me. Il d�courage ceux qui, plus lucides que lui, le voient courir vers l�ab�me. �Je n�ai fait de contrat avec personne et je n�ai demand� � personne de me suivre�, jette-til � ceux, parmi ses proches, qui tentent un expos� r�aliste des choses. Abdelaziz Zerdani, l�ami des jours difficiles, quand dans l�Aur�s, Adjoul tenait d�une poign�e sanglante la grande Idara, Abdelaziz Zerdani tant injustement accus� et tant recherch� par les services de s�curit� n�a jamais pr�tendu � un r�le national futur. Il s�est born�, une ou deux fois � sans �tre �cout�, h�las � � dire ce qu�il pense des assurances de Sa�d Abid. Quelques jours apr�s ces mises en garde, les �v�nements lui donneront raison. Une �quipe aurait �t� utile pour �valuer froidement � tout en convaincant Zbiri de garder ses atouts militaires � chaque proposition, chaque avanc�e pour transcrire imm�diatement dans le concret les engagements du chef du CR. Mais encore une fois, Zbiri n�avait pas d��quipe ! Il n�avait pas d��quipe parce qu�il n�a jamais �t� question pour lui de faire un coup d�Etat. Zbiri n�a fait aucun effort pour expliquer ses intentions, laissant dans l�incertitude ceux qui, dans l�arm�e, auraient pu faire une autre lecture que celle qui semblait �vidente : un simple ��tes-toi de l� que je m�y mette�. Les turbulences de ce mois de d�cembre 67 semblaient � beaucoup une querelle dont le pays pouvait faire l��conomie. Le pouvoir aura beau jeu, une fois l��chec consomm�, de travestir la v�rit�. Ses relais tentent d�accr�diter la th�se de �la conjuration d�officiers ignards et ambitieux li�s par des liens tribaux�. Comme aucun responsable ni au niveau national ni au niveau r�gional ne s��tait d�termin� publiquement en faveur des th�ses de Zbiri, la configuration r�gionaliste deviendra cr�dible. Cherif Mahdi, secr�taire de l��tatmajor g�n�ral, courageusement, refusera d�avaliser les mensonges officiels et remettra les choses � leur juste place par ses �crits chez les services de s�curit�, par ses d�clarations lors de l�instruction et par son cri du c�ur devant la cour. Quand, �c�ur� par les d�robades, les d�fections, les reniements, les l�chet�s et les trahisons de certains membres du Conseil de la r�volution y compris les militaires, Cherif Mahdi dit les choses telles qu�elles se sont pass�es, un silence respectueux plane dans la salle. Le commandant Abdelghani qui pr�side le tribunal, mal � l�aise, essuie les verres de ses lunettes, �trangement embu�es. Mais ce qui est arriv� apr�s l��chec est une autre histoire. Revenons � cette soir�e du 13 d�cembre. La rencontre du 13 d�cembre 1967, au soir, au domicile du chef de la 1re R�gion militaire, laquelle a r�uni autour de ce dernier Mohamed Salah Yahiaoui, le colonel Abb�s ainsi que Abderrahmane Bensalem et Zbiri (respectivement chef de la 3e R�gion militaire, responsable de l�Acad�mie de Cherchell, commandant du quartier g�n�ral et chef d��tat-major) a �t� provoqu�e par Sa�d Abid pour signifier � Zbiri que Houari Boumedi�ne oppose une fin de non-recevoir � toutes ses demandes. Il conclut qu�ayant, lui, �chou� dans sa m�diation, il ne peut plus rien tenter. Les chefs militaires pr�sents semblent, par leur silence, partager la position de Sa�d Abid. Sont-ils conscients que leur �neutralit� soudaine, affich�e au m�pris des engagements pris � l��gard du chef d��tat-major, livrait ce dernier, pieds et poings li�s, � la vindicte de Boumedi�ne ? Zbiri fait � enfin � la seule lecture � faire : Boumedi�ne l�a d�sarm� par la ruse et les faux-fuyants. Il lit sur le visage ferm� de ses vis-�-vis que pour Boumedi�ne l�heure de la cur�e est arriv�e, et que eux s�en accommodent� Il est effondr�, il constate � trop tard � qu�il n�a pas mesur� correctement la d�termination de son vis-�-vis � ne rien c�der sur rien. Il n�a tout simplement pas voulu comprendre que ce dernier avait une d�marche et un but en opposition totale avec ceux qu�il voulait, lui, imposer. Il a sur�valu� �le poids sp�cifique� et la solidarit� des chefs militaires qui s��taient port�s garants de la parole de Boumedi�ne. Il n�a enfin, et jusqu�au bout, jamais dout� de la sinc�rit� de Sa�d Abid. Ce m�me Sa�d Abid qui, pendant longtemps, bien avant juin 1967, n�avait cess� de pousser � la roue, qui avait incit� Zbiri a r�agir contre les faits accomplis de Boumedi�ne, Sa�d Abid qui a d�truit Chabou de r�putation et qui, soudain, freine des quatre fers. Pour Zbiri, le chef de la 1re R�gion militaire est, objectivement, l�homme qui lui �t� des mains tous ses atouts avant de l�enfermer dans l�impasse. Sa�d Abid, que certains ont accus�, � tort, d�avoir �t� un agent provocateur, une cr�ature cynique de Boumedi�ne, �tait tout simplement un brave homme qui a �t� audessous de l�enjeu, lorsque les hasards de l�Histoire avaient mis entre ses mains le sort de l�Alg�rie. Sa�d Abid, ancien petit employ� de banque, bard� d�un modeste certificat d��tudes, �tait venu � la r�volution au d�but de l�ann�e 1957 par le soupirail de Tadjerouine (� l��poque un peu le Kandahar tunisien de la r�volution alg�rienne). Il n�a jamais connu d�autres �preuves que celles que procure le relatif inconfort des bivouacs pr�caires de la fronti�re. Il n�avait pas le cumul historique, le substrat des exp�riences, la solidit� des convictions qui font les r�volutionnaires matures et qui osent. A l�heure de la d�cision, il est redevenu tout simplement Abid Sa�d pris de vertige par l�acc�l�ration du man�ge qu�il avait imprudemment mis en branle. Plac� entre les extr�mes, ind�cis, h�sitant, bouscul� par deux impatiences, il a jou� le r�le d�un sage de village s�usant � r�concilier deux coqs de quartier s�par�s par une querelle subalterne. Il payera de sa vie, dans quelques heures, ses entrechats sur le fil du savoir. Devant la nouvelle donne, il ne reste plus � Zbiri que deux alternatives : se soumettre ou r�agir. L�ordre qu�il donne de faire converger les unit�s vers Blida, ordre qui met litt�ralement Sa�d Abid entre les m�choires de l��tau, est ob�i. C�est de cet �tau que jailliront les balles qui tueront l�infortun� chef de la 1re R�gion militaire. Il importe peu de savoir qui a appuy� sur la g�chette. Objectivement, la d�marche du chef de la 1re R�gion militaire �tait suicidaire. Le deuxi�me but du chef d��tat-major est de provoquer une r�union (m�me restreinte) des membres du Conseil de la r�volution favorables � son option politique et faire prendre conscience � Houari Boumedi�ne de la responsabilit� qu�il prendrait en faisant ouvrir le feu sur ses adversaires politiques et sur une partie de l�arm�e. Les al�as du terrain font que les forces qui s��taient �branl�es vers le si�ge de la 1re R�gion militaire ne pourront jamais atteindre leur objectif. Le maquisard transparent, fid�le � ses id�aux, artisan d�un 19 Juin fondateur, a �t� vaincu par celui qui �tait venu de trop loin pour reculer et qui avait r�gl� le calendrier et l�heure � son propre chiffre. 9. Epilogue Tahar Zbiri pourra �chapper � Houari Boumedi�ne m� par une terrible vindicte. Il lui �chappera gr�ce � la mobilisation des chefs de la Wilaya IV historique dont, surtout, le commandant Lakhdar Bourag�a. D�Alger � T�bessa, des moudjahidine, anciens compagnons d�armes de Zbiri (Lakhdar Gouasmia, Mohamed Elhadi Reza�mia, Mohamed Haba, etc.), des hommes de c�ur (A�ssa Meguellati et ses deux fils Nadir et Djamel, Abdelmalek Bouma�za, Hamou Sta�fi, Abdeljalil Ayat, Hamid Chakbouni, le docteur Harmouche et tant d�autres) risqueront leur carri�re, leurs biens, leur libert�, leur vie pour le prot�ger et le guider sur sa route vers l�exil. Tahar Zbiri �voquera-t-il leurs noms un jour ? La secousse sanglante du 14 d�cembre 67 sera ressentie � tous les niveaux de l�ANP. Beaucoup de cadres en seront traumatis�s. Terribles seront les cons�quences pour l�Alg�rie. Le d�lestage du Conseil de la r�volution, d�une mani�re aussi radicale, permettra � Houari Boumedi�ne d�asseoir d�finitivement sa dictature sur le radier massif de la police politique pour pouvoir monologuer pendant longtemps, face � son miroir, � mille lieux des r�alit�s de son pays.