De notre envoy� sp�cial � Tunis, Hassane Zerrouky Les Tunisiens ont vot� en masse. De longues queues s��tiraient devant les bureaux de vote du quartier Montplaisir, d�El Menzah, En Nasr� La plupart des gens rencontr�s croient dur comme fer dans l�avenir d�mocratique du pays. �C�est la premi�re fois que je vote librement, que je choisis librement le parti qui m�a convaincue�, dit Leila, enseignante. Les Tunisiens font l�apprentissage de la d�mocratie. Toutefois, la question reste de savoir de quoi accoucheront ces premi�res �lections. Certes, hier matin, Rached Ghannouchi, chef d�Ennahda, a �t� conspu� dans un bureau d�El Menzah aux cris �Ghannouchi d�gage�. Mais il faut savoir que ce quartier, habit� par les couches moyennes et sup�rieures, est acquis aux partis d�mocrates et progressistes. Dans les quartiers populaires de Tunis, Ettadhamen par exemple, il en va autrement. Ici, il est difficile aux formations de gauche et progressistes de concurrencer Ennahda. Ses militants sont partout. L�aide sociale prodigu�e aux d�munis va peser dans les urnes. A l�int�rieur du pays, notamment � Sidi Bouzid, Kasserine, Manouza, Thala, Regueb, plus de 250 km de Tunis, d�o� est parti le soul�vement ayant emport� le r�gime de Ben Ali, on est surpris dans ce coin recul� de la Tunisie profonde par la pr�sence nombreuse de femmes non voil�es, y compris dans la campagne. Les gens sont pauvres, le ch�mage touche pr�s de 40% des jeunes, mais pas de bidonvilles et encore moins de mendiants. Outre les oliveraies s��talant � perte de vue, quelques usines, une agriculture de subsistance et l��levage ovin, nombreux sont ceux qui vivent de la contrebande d�essence et de mazout import�s de l�Alg�rie toute proche. Ici, les les islamistes sont certes pr�sents, mais ils doivent compter avec ces jeunes, tr�s actifs dans la r�gion, qui avaient occup� en f�vrier dernier la place de la Casbah, � Tunis. A Manouza, 15 000 habitants, 12 km de Sidi Bouzid, Rym, 21 ans, issue d�une famille modeste, est ce qu�on peut appeler un produit du syst�me �ducatif et culturel mis en place par Habib Bourguiba. Un syst�me qui a permis � ces filles du milieu rural de faire des �tudes sup�rieures de design industriel � l�universit� de Tataouine. Son p�re, Ali, 50 ans, ouvrier dans une marbrerie, militant du Parti d�mocratique progressiste de Maya Jbiri, est formel. �Pas question que Ghannouchi passe. Ma fille ne portera pas le voile�, assure-t-il. �Chez Tarek�, l�un des caf�s du village, lieu de rencontre des jeunes militants et de syndicalistes � tous ont fait le �coup de feu� contre Ben Ali �, on affiche ostentatoirement son appartenance politique. C�est le cas de Kamel enseignant en arts plastiques dans le lyc�e du village, et de ses amis, portant des teeshirts blanc, frapp�s de la faucille et du marteau du Parti communiste ouvrier tunisien (PCOT) de Hemma Hammami, ou de Selim, membre du PDP. �Comme on n�a pas de lieu o� se r�unir, on a fait de ce caf�, avec l�accord du patron, un lieu de d�bats politiques. �Chez Tarek� est bond�. Et �a discute. Les �lections, on y croit. �Ce qui a chang�, dit Beroui, syndicaliste appartenant � la mouvance marxiste, c�est qu�avant on allait avec la peur au ventre pour retirer un simple papier administratif. Je peux parler librement. Les policiers ran�onnaient les automobilistes � l�entr�e et � la sortie du village, une sorte de taxe de 5 dinars (100 dinars alg�riens) qu�ils mettaient dans leur poche. Tout �a est fini aujourd�hui.� Partout sur les murs du village, des fresques murales comm�morant la r�volution, des banderoles rappelant le sacrifice des jeunes tomb�s en d�cembre et janvier dans la r�gion. A Thala, 15 000 habitants, pr�s de la fronti�re alg�rienne, la col�re est encore pr�sente. Ici, o� six jeunes ont �t� tu�s, il ne reste rien du si�ge du RCD. Le commissariat de police, saccag�, est devenu un �Nadi Echouhada� Le premier �tage du commissariat �tait le logement de fonction du chef de la police locale. Bessam, 25 ans, et ses amis qui occupent les lieux en assurent la s�curit�. �Quand je hurlais sous les coups des policiers, le commissaire venait me voir pour me dire de ne pas crier parce que Madame dort�, dit-il ! Bessam, qui va assurer la s�curit� des bureaux de vote, ne votera pas. �Je respecte ceux qui vont voter, mais pour nous, le vote, c�est rien tant qu�on n�a pas de travail. Il y a d�autres priorit�s.� Sofiane, d�corateur au ch�mage, portant un tee-shirt sur lequel est �crit en arabe �ma voix n�est pas � vendre�, est un jeune en col�re. �Tous ces partis sortis on ne sait d�o� veulent nous voler notre victoire �, lance-t-il. �Pas question qu�on plie bagage ou qu�on �migre en Europe, on n�a pas fait tout �a pour leur laisser la ville et le pays�, ajoute-t-il ! Kasserine, 300 000 habitants, 60 km de Sidi Bouzid, c�est la ville martyre : 47 jeunes ont �t� tu�s. Ici aussi, le si�ge du RCD, dont il ne reste plus rien, a �t� �galement transform� en �Nadi Echouhada�. Sur la place des Martyrs, l� o� la police a tir� le 13 janvier pendant que Ben Ali pronon�ait son discours, on lit sur une banderole �Rel�ve ta t�te, tu es dans la capitale des martyrs de la r�volution�. C�est dire. Les gens attendent beaucoup du scrutin d�hier. �Il y a tant de choses � faire qu�on en perd la t�te�, explique Bessam, sympathisant d�Ennahda. Il ira voter �mais, pr�vient-il, si Ennahda ne respecte pas ses engagements, il faudra qu�elle d�gage� par les urnes�. Le PDM (P�le d�mocratique moderniste), partisan de la s�paration du religieux et du politique, est tr�s actif. �Nos militants ont pay� le prix fort, ce sera dur, mais pas question qu�on laisse le terrain aux islamistes �, avertit Nassim. Dans l�ensemble, le vote s�annonce ind�cis. Ennahda est cr�dit� de plus de 20% d�intentions de vote. Rached Ghannouchi en attend plus. �En cas de falsification des r�sultats, Ennahda va opter pour la r�volte et descendra dans la rue avec le peuple tunisien �, a-t-il d�clar� jeudi dernier. Autrement dit, s�il n�a pas plus de 40% de voix, estiment ses militants, c�est qu�il y a eu fraude. A voir !