C'est à un scrutin historique que les Tunisiens sont convoqués pour élire l'Assemblée constituante plusieurs mois après la chute de Ben Ali. C'est parti! Les Tunisiens se rendront tôt ce matin dans les bureaux de vote pour les premières élections libres de l'histoire du pays. La première élection démocratique des pays entrés dans la vague des révoltes. C'est la Tunisie qui ouvre le bal. Plus de 7 millions d'électeurs sont appelés à départager quelque 11.000 candidats en lice pour occuper l'un des 217 sièges que comptera la future Assemblée constituante. Une Assemblée qui va poser les jalons d'un Etat démocratique en Tunisie. Alors que la campagne électorale s'est achevée vendredi soir, à la veille du scrutin, une bonne partie de la population reste indécise sur le choix à effectuer. Pourtant, tout le monde espère une participation massive au vote. A se balader dans les rues de la capitale, rien ne se dégage des visages des Tunisiens que quelque chose d'historique va se passer dimanche 23 octobre. A J-1 du scrutin, l'ambiance est étrangement calme dans la capitale. Sur l'avenue Habib-Bourguiba, dont on n'est pas près d'oublier les images de ces foules entassées le 14 janvier 2011, le jour de la fuite de Zine el Abidine Ben Ali, chacun vaque à ses occupations. Les gens semblent avoir l'air ailleurs, distraits même. En dehors des quelques panneaux publicitaires de l'Isie, l'instance indépendante chargée de l'organisation des élections, affichés aux quatre coins de la ville, les traces de la campagne électorale qui vient de s'achever sont déjà effacées. Le sujet sur les élections est plutôt débattu sur les terrasses des cafés et salons de thé de l'avenue Bourguiba et celles qui la jouxtent. Là, on comprend un peu mieux que l'élection n'est pas perdue de vue et hante quelques esprits. Hommes, femmes, vieux comme jeunes, tous en parlent. L'élection constitue le principal sujet de discussion. Nous sommes allés à la rencontre de certains d'entre eux pour savoir comment ils appréhendent ces élections. Ziad, cafetier, déclare: «Hormis Ennahda, il n'y a aucun autre parti valable. J'espère que les deux jours qui viennent se passeront bien. L'important n'est pas tel ou tel parti mais qu'il y ait des dirigeants qui gèreront les affaires du pays en toute démocratie et transparence. Si la confiance est établie entre le peuple et le prochain gouvernement, les Tunisiens donneront toute l'aide qu'il faut pour remettre le pays sur pied.» Ali, 67 ans, qui a vécu la période Bourguiba en côtoyant parfois ce dernier, est plus ferme. «Les partis sont venus pour accaparer le pouvoir et l'argent. Seul le parti Ennahda est valable. Nous sommes musulmans et n'avons confiance qu'en un parti islamiste», dit-il. Rabeb, opticienne dans une boutique à la rue de Rome, est carrément out. «Pour moi, tout est flou. Je n'ai aucune idée sur les partis d'autant que je n'ai pas fait de recherche pour mieux comprendre leur programme. Une chose est certaine. J'irai voter demain mais sans savoir pour qui. Ce soir je réfléchirai. La nuit porte conseil», dit-elle. Mehdi, ce jeune musicien rencontré également à la rue de Rome, semble serein et a au moins opté pour un parti dont on n'a pas trop entendu parler.«Sincèrement, je n'ai pas confiance aux partis tant qu'il n'y a pas de garantie qu'ils appliqueront leurs programmes respectifs. Mais tout de même, je voterai pour le parti le Mouvement pour la IIe République. Un parti que j'ai suivi de près depuis sa création au mois de mai dernier. Il m'a attiré car son discours est direct, clair et transparent à travers lequel on ressent son authenticité.» Mais parmi un millier de listes, représentant 150 tendances, le choix est vraiment ouvert. Des communistes, des libéraux, des islamistes et même des baâthistes inspirés de la doctrine de Nasser, brandissant des portraits de Saddam Hussein, sont en lice. La ferveur pré-électorale a embrasé tout le pays et pas seulement la capitale. Femme, laïcité et place de la religion ont été des thèmes qui ont fait sensation et pas seulement sur les plateaux des télévisions tunisiennes qui ont invité de nombreux représentants de la société et de responsables de partis politiques pour des débats afin de faire campagne à l'occasion de ces élections. Au niveau du siège de l'Isie situé au quartier La Fayette, un bon nombre de journalistes étrangers, notamment européens arrivés, pour la plupart, hier à Tunis. Ils se bousculaient au bureau de réception de cette instance pour récupérer leurs accréditations ou demander à être accrédités. Jesus Rodriguez, journaliste établi depuis deux ans à Tunis et manager à Montamedia.tv (espagnole) appréhende assez bien ces élections. Il lâche en vrac: «Je peux dire que j'appréhende bien ces élections. Je ne fais pas totalement confiance aux partis politiques, mais j'ai entièrement confiance au peuple. Ils ne sont pas dupes en tout cas. S'ils ont déchu l'ex-président, ce n'est pas pour revenir à un système corrompu. Ils veulent, peut-être, aller trop vite mais la démocratie ne s'apprend pas en 9 mois. D'autant plus qu'ils ont été muselés pendant 23 ans. Alors, il faut qu'ils apprennent à s'exprimer et à donner leur opinion.» Jacopo Granci, un autre journaliste italien qui a séjourné pendant quatre mois à Alger en 2008, déclare: «L'ambiance, par rapport à la rue, est très calme contrairement à ce qu'on entendait de l'extérieur. Alors qu'au contact direct avec la population, j'ai relevé qu'il y a un bon pourcentage qui est sceptique. Les gens disent ouvertement qu'ils ne vont pas voter. Au niveau de certains quartiers, les avis en faveur du parti Ennahda sont nombreux. S'agissant des élections, j'estime qu'elles vont se dérouler dans de bonnes conditions et sans irrégularités.» Mazan Essayed, ce journaliste libanais du quotidien Essafir, reste plutôt évasif: «Pour moi, les grandes questions qui se posent sont liées à l'Islam politique et quel rôle il jouera dans la Tunisie de demain et voir finalement le bilan de la révolution sur le plan politique et représentatif. Je suis ici pour voir la dynamique sociale, économique et intellectuelle au lendemain de la révolution.» Enfin, tous les yeux sont aujourd'hui braqués sur la Tunisie, notamment des pays voisins et gageons qu'au soir du 23, les résultats ne donneront à voir aucune hégémonie. Le champ de bataille a opposé durant toute la campagne électorale, le parti Ennahda, revenu sur le devant de la scène après de longues années d'interdiction, et les partis progressistes. Le suspense reste entier jusqu'à ce soir à minuit. Une victoire écrasante de quelque parti que ce soit laissera planer le risque d'un pouvoir absolu que les Tunisiens ne sauraient accepter.