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Syst�me national de sant� et cancer
Publié dans Le Soir d'Algérie le 12 - 11 - 2011


DR Ameur Soltane (chirurgien thoracique)
�Tous les animaux sont �gaux, mais certains sont plus �gaux que d�autres.�
In La ferme des animaux(1945) G. Orwel
Depuis quelque temps, un certain nombre de d�clarations et de t�moignages concernant la prise en charge des patients atteints de cancer dans notre pays s��talent � la une d�un certain nombre de m�dias. Ce qu�il en ressort de prime abord, c�est qu�en 2011, cette prise en charge se situe en terme de qualit�, tr�s loin des standards internationaux, mais aussi, et c�est probablement ce qui chagrine le plus le citoyen alg�rien, tr�s loin de ce que les potentialit�s, humaines et financi�res de notre pays, auraient pu permettre. Ce d�bat pourra-t-il �tre men� � terme ?
Si oui, alors il devrait avoir de nombreux effets positifs pour l�ensemble du syst�me de sant�. Car, en prenant l�opinion publique � t�moin, les intervenants, quelle que soit leur motivation ou du moins celles que d�aucuns leur pr�tent, ont permis d�initier une confrontation d�id�es sur les conditions de prise en charge non seulement des canc�reux mais aussi par extension, de certaines autres pathologies, qu�il serait criminel d��touffer en partant � la recherche d��ventuels boucs �missaires � crucifier sur la place publique. L�heure ne nous semble donc plus �tre celle des simulacres et des fusibles que l�on fait sauter quand n�cessit� oblige, tant les probl�mes li�s � cette prise en charge sont r�els, reconnus par tous et plus seulement confin�s � ceux qui les vivent dans leur chair et quelques initi�s. Aujourd�hui se pose clairement la question de savoir si le nouveau syst�me de sant� qui est en train d��tre enfant� sous nos yeux est objectivement � m�me d��tre �quitable, et si le concept d��quit� lorsqu�il est accol� au syst�me de sant� n�est pas en train de devenir une simple construction s�mantique dont la destin�e est de servir un discours � vocation strictement id�ologique en rupture totale des r�alit�s que connaissent nos patients au quotidien. Les m�dias, en faisant faire irruption dans l�espace public aux graves probl�mes li�s � l�insuffisance qualitative de la prise en charge des cancers dans notre pays et en les faisant sortir des orni�res feutr�es des couloirs minist�riels, des amphith��tres et des salles de cours, vont peut �tre permettre, du moins nous l�esp�rons, une prise de conscience � tous les niveaux de la soci�t� alg�rienne et en particulier � celui des d�cideurs pr�sents ou futurs, sur les mutations profondes que conna�t actuellement notre syst�me de sant� et contribuer � l�emp�cher de se transformer en un syst�me inique o� seuls les plus fortun�s pourront avoir acc�s � des soins de qualit� prodigu�s en Alg�rie que ce soit dans le secteur public ou dans le secteur lib�ral ou ailleurs, en particulier dans les pays voisins, voire outre Atlantique. Les plus d�munis restant en rade dans l�attente d�un rendez-vous plus ou moins lointain, ou de traitement hors de port�e de leur bourse. S�avancer sur le terrain mouvant des strat�gies de lutte contre le cancer surtout dans un pays � revenus interm�diaires (selon la classification OMS) comme le n�tre, et qui r�cemment (septembre 2011) par la bouche d�une personne autoris�e nous a rappel� que notre d�pense de sant� nationale repr�sentait 8% de notre PIB alors que notre d�pense de sant� per capita �tait �gale � 200 dollars par individu et par an. Ces sommes peuvent para�tre d�risoires mais elles repr�sentent probablement plusieurs milliards de dollars par an pour un pays dont les recettes en devises fortes ne proviennent pour l�essentiel que des hydrocarbures qui ne sont pas �ternelles et encore moins extensibles � souhait malgr� le pseudo mythe du �peack-oil�. Ce qui nous classe tr�s loin des pays �conomiquement avanc�s qui eux ont une d�pense de sant� de l�ordre de 2 500 � 4 500 dollars par an et dont la seule d�pense par habitant et par an d�volue au m�dicament est de l�ordre de 400 dollars, soit deux fois plus que ce que nous d�pensons pour l�ensemble de notre sant�. La question est donc de savoir s�il nous est r�ellement possible de fournir les m�mes prestations de soins en termes de qualit� de soins et d��quit� � nos citoyens que ceux des pays �conomiquement avanc�s avec l�enveloppe financi�re qui serait la n�tre. Si l�on prend pour exemple la prise en charge des cancers dans notre pays telle qu�elle est expos�e actuellement dans les m�dias par quelques-uns de nos meilleurs experts nationaux, la r�ponse � la question pr�c�dente est clairement non. Ainsi, lorsque l�on prend la peine de bien lire et relire ce qui a �t� produit en cette occasion, l�on constate qu�il y a, en fait, une quasi-unanimit� sur le constat, mais que les divergences ne surgissent qu�au moment o� il faut aborder le chapitre �solutions propos�es pour sortir du mar�cage actuel�. Entre le cri du c�ur qui consiste � proposer (et, pourquoi pas ?) que tous nos canc�reux aillent se faire soigner � l��tranger et les promesses laissant penser que tous les probl�mes rencontr�s par nos canc�reux en mati�re de prise en charge th�rapeutique ne sont qu�un petit incident de �d�r�glages administratifs� qui vont �tre tr�s rapidement r�par�s en resserrant simplement sur P-V quelques boulons lors de �r�unions de haut niveau�, il y a une marge dont les citoyens et plus particuli�rement les patients et leurs familles per�oivent de mani�re aigu�. Que disent les chiffres ? Les chiffres avanc�s dans les m�dias quel que soit leur niveau de fiabilit�, par les uns et les autres (m�decins et autorit�s de sant�) au cours de ces derni�res ann�es, parlent d�eux-m�mes et ne peuvent concourir qu�� un seul et m�me diagnostic, � savoir que la situation est actuellement catastrophique et qu�il ne semble apparemment pas exister de solution miracle � m�me de tout r�gler en quelques mois ou m�me ann�es sans de profonds changements dans la gouvernance du secteur de la sant� dans notre pays. Ainsi, la pr�valence des cancers toutes localisations confondues, c'est-�-dire le nombre de cancers vivants en Alg�rie tournerait autour de 250 000 cas avec une incidence d�environ 35 000/40 000 cas nouveaux par an. R�pondre � pareille demande de soins imm�diatement et sans plan Orsec serait une mission impossible. Car il faut savoir que d�apr�s ces m�mes d�clarations (qui, rappelons-le, proviennent toutes d�experts dans le domaine), cela n�cessiterait plus de vingt huit mille (28 000) places � trouver dans les services de radioth�rapie par an alors que l�Alg�rie ne peut, pour le moment, n�en offrir que 8 000. Par ailleurs, pour ce qui est des traitements m�dicaux (chimioth�rapie), il est tout aussi clair que nous sommes tr�s loin du compte si l�on consid�re les innombrables articles parus dans la presse au cours de ces derni�res ann�es. Cette situation �tait pr�visible depuis longtemps puisque nous-m�mes avec un certain nombre de confr�res avions, d�s les premiers balbutiements de ce si�cle, commenc� � plaider pour la n�cessit� de se doter d�un plan cancer en Alg�rie, d�en combattre les facteurs de risque, en particulier le tabagisme et l�amiante. Ainsi, d�s 2006, un vaste programme d��quipement en infrastructures de sant� a �t� annonc� et m�me commenc� � �tre mis en chantier � l��poque par le minist�re de la Sant�. Cette politique de lutte contre le cancer centr�e sur des centres anti-cancer avait eu l�aval du comit� m�dical national cancer qui regroupait l�ensemble des oncologues dits �exclusifs� du pays. Il comportait en particulier la construction de plus d�une dizaine de centres anti-cancer dans le pays dont la majorit� auraient d� �tre op�rationnels � la date d�aujourd�hui. Dans le m�me temps, la formation en post-graduation dans certaines sp�cialit�s est pass�e en surmultipli�e ce qui a permis l��rection de nombreux nouveaux services d�oncologie m�dicale et a abouti aujourd�hui � un essaimage de cette sp�cialit� dans l�int�rieur du pays en particulier � l�Ouest. Enfin, dans le m�me chapitre, un d�cret portant cr�ation d�une agence du m�dicament datant de 2008 n�a toujours pas trouv� d�but de mise � ex�cution. Mais � c�t� de ces projets, permettez la comparaison, car malheureusement en mati�re de cancer, la mort et la souffrance qui sont la cons�quence d�une insuffisance de prise en charge, sont souvent au rendez- vous, � l�image de ce qui s��tait pass� pour le m�tro ou l�a�roport d�Alger, il faut bien avouer que la situation tra�ne en longueur.
1. Puisqu�aucun centre anti-cancer parmi ceux qui ont �t� programm�s, � l�exception notable de celui de Ouargla, n�a ouvert ses portes.
2. Exemple de ces situations ubuesques, le choix du terrain concernant le centre anti-cancer de Annaba se serait fait dans les ann�es 1999/2000, sans pour autant que les patients de cette r�gion tr�s peupl�e n�aient d�autre choix en 2012 que d�aller se faire traiter � Alger, Constantine, Marseille ou Tunis. Peut-on leur reprocher quoi que ce soit ? D�autant plus qu�ils le font le plus souvent avec leurs propres dinars.
3. Ces retards dans l�avancement des diff�rents projets, contrairement � ce que l�on pourrait penser, ne sont pas dus qu�� des contraintes locales, puisqu�il a fallu attendre 2010 pour qu�enfin l�on sache de quels types d��quipement de radioth�rapie (Cobalt Vs Acc�l�rateurs) allaient �tre �quip�s les centres anti-cancer, et ce, bien qu�il nous ait sembl�, d�apr�s ce que la presse avait rapport�, que le packaging de ces centres avait �t� arr�t� d�s 2005.
4. Enfin, pour certains observateurs, il est �vident que lorsque l�on parle de 54 acc�l�rateurs sur la base des normes retenues en 2005, il est clair que ce chiffre ne refl�te absolument pas obligatoirement la r�alit� des besoins d�aujourd�hui et encore moins ceux de 2020 si l��tat d�esprit qui pr�vaut dans la mise en place de ces centres ne change pas de mani�re radicale. Attendre du secteur priv� et lib�ral qu�il puisse pouvoir compenser totalement la non-pr�sence du secteur public dans ce domaine ne me para�t pas �tre r�aliste vu les contraintes li�es aux types d�investissements n�cessaires � la r�alisation d�un tel projet. Mais comme le disent certains, on l�a bien fait pour la chirurgie cardiaque. Reste � savoir ce qu�en penseront l�OMS et l�AIEA dont une mission �tait r�cemment en Alg�rie pour �valuer, semble-t-il, ce en quoi ils pourraient �ventuellement nous aider en mati�re de mise en place d�un programme de lutte contre le cancer.
5. Dans le domaine du m�dicament, il est certes n�cessaire de cr�er de nouvelles structures de soins, mais encore faut-il veiller � les approvisionner toutes avec les m�mes mol�cules, y compris les plus on�reuses, tout en leur assurant un approvisionnement r�gulier, sans rupture, f�t-elle momentan�e, pour �viter une canc�rologie � deux vitesses et porterait atteinte au principe d��quit�. Ce qui pose le probl�me de la n�cessit� de voir l�agence du m�dicament commencer � travailler le plus rapidement possible. Certes, une agence de ce type, et nous l�avons vu dans d�autres domaines, ne pourra �videmment pas �tre la panac�e tant les maux qui rongent le monde du m�dicament sont nombreux, vari�s et importants. L�absence de toute l�gislation concernant les conflits d�int�r�ts dans ce domaine n�en �tant pas le moindre. Mais au moins, elle pourra peut-�tre avoir le m�rite, si elle est g�r�e en toute transparence, de permettre un plus grand contr�le des diff�rents m�canismes qui font que le m�dicament est ce qu�il est actuellement tout en les corrigeant �ventuellement. Elle pourra probablement aussi peut-�tre permettre de mieux cerner les responsabilit�s des uns et des autres en cas de dysfonctionnements qui appara�traient dans la gestion du m�dicament en Alg�rie
6. Enfin, comment clore ce chapitre sans aborder le fait qu�en 2012, l�on ne sait toujours pas en Alg�rie ce que co�te une journ�e d�hospitalisation, ou ce que payent dans la r�alit� les m�nages en mati�re de d�penses de sant�. La strat�gie retenue par notre pays qui est un peu � l�image de se qui s�est fait en France en 1945 sous la f�rule du g�n�ral de Gaulle est articul�e sur la construction de centres anti-cancer dont quatorze devaient �tre construits et �tre fonctionnels avant 2014 dont six avant la fin 2010. Il est �vident que la situation �pid�miologique des cancers dans notre pays a �volu� depuis lors du fait que notre population a encore vieilli, que les maladies chroniques sont de plus en plus pr�valentes et que les politiques de pr�vention et de d�pistage sont toujours quasiment inexistantes dans notre pays alors que les facteurs de risques tel le tabagisme sont en pouss�e constante, en particulier chez les plus jeunes d�entre nous.
Autant de raisons de penser d�s cet instant � �largir ce programme � d�autres centres anti-cancer si l�on d�cide de rester sur cette strat�gie, qui peut �tre, de l�avis de nombreux experts, non seulement discut�e mais aussi discutable. Cependant, il nous semble �vident que construire des b�timents et les �quiper tout en formant des escouades de professionnels pour les faire fonctionner s�av�rera vite insuffisant pour vaincre le cancer dans un pays. Le combat contre ce fl�au doit sortir des murs en b�ton pour aller en amont et essayer, si possible, de le vaincre avant qu�il n�apparaisse ou du moins lorsqu�il a r�ussi � contourner les d�fenses du patient, � le d�tecter � un moment de sa progression o� il peut �tre facilement trait�. C�est pour cela qu�il est n�cessaire de doter notre pays d�une strat�gie compl�mentaire � ce qui est en train d��tre r�alis� par les diff�rentes institutions pour agir sur d�autres cibles que celle constitu�e par les cancers d�j� malheureusement avanc�s. Ce plan ne saurait �tre la panac�e pour la prise en charge imm�diate des patients atteints de cancer, dont la responsabilit� premi�re est du ressort du syst�me de sant� tel qu�il existe aujourd�hui. Son r�le n�est pas d�importer des m�dicaments ou de surveiller la construction d�un centre anti-cancer mais de pr�parer l�avenir y compris proche puisque les progr�s en termes de diagnostics pr�coces � un stade utile o� il est encore possible de gu�rir avec des gestes relativement simples et peut co�teux peuvent se faire ressentir rapidement en tr�s peu d�ann�es � la condition que la volont� politique de faire avancer ce plan soit r�elle. Cet ensemble d�actions planifi�es de mani�re coh�rente auraient pour objectif central la mise � niveau de nos connaissances sur cette terrible maladie et de ce qu�elle p�se exactement du point de vue �pid�miologique dans notre pays mais aussi de d�velopper de mani�re int�gr�e la pr�vention, le d�pistage, le diagnostic pr�coce et de mettre en place des r�f�rentiels th�rapeutiques le tout sous la forme d�un plan op�rationnel quantifiable et �valuable. A situation exceptionnelle, solutions exceptionnelles. Si pour nos politiques, la lutte contre le cancer est vraiment une priorit� alors ils doivent sauter le pas et ne pas s�arr�ter � des consid�rations bureaucratiques en dotant ce plan d�un organe de gestion et pourquoi pas �une agence de lutte contre le cancer� qui soit ind�pendante des structures de soins tout en �tant autonome ou du moins autant faire se peut vis-�-vis des tutelles qui exerceraient alors, entre autres, un r�le de contr�le sur cette institution. De plus comme nous avons essay� de le montrer plus haut, il est clair comme l�eau de roche que si nous ne modifions pas en profondeur notre mode de vie et que nous restons tributaires de nos exportations en p�trole pour nous nourrir, nous soigner et maintenant acheter de nombreuses et belles voitures en attendant les jets priv�s, il sera impossible, financi�rement parlant, de conserver un caract�re �quitable � notre syst�me de sant� notamment en mati�re de prise en charge th�rapeutique des cancers du fait que les nouvelles mol�cules sont de plus en plus on�reuses et les canc�reux de plus en plus nombreux, en l�absence de plan cancer fond� sur la pr�vention, le d�pistage et le diagnostic pr�coce, et alors, tenir � ce moment-l� un discours �galitaire rel�vera forc�ment de la d�magogie.
A. S.
N. B. : � ceux qui ne l�ont pas encore lu, je ne saurais que recommander la lecture du livre de Georges Orwel La ferme des animaux que personnellement je n�ai d�couvert que tardivement.


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