Par Arezki Metref Comment se peut-il, quand on �coute une voix capverdienne comme celle de Ces�ria �vora, que l'on soit intuitivement persuad� qu�elle provient de chez nous ? Et pourquoi est-on � la fois si impr�cis et si exact dans la d�finition de ce chez nous ? Eh bien, chez nous, c�est cet espace ind�fini o� la mis�re fait monter des accents de combat et d�espoir. C�est la voix cristalline de Ces�ria �vora. La �Diva aux pieds nus�, comme on l�appelle, c�est un peu une Hanifa qui a fini par percer sur la sc�ne internationale ou une Rimitti �chapp�e � la marginalit� ghetto�que pour partager, sous le soleil de la place publique, les effluves de la marginalit�. La musique � la bonne musique �, celle qui nous r�concilie avec l��me profonde de l�humanit�, est toujours un d�voilement, mais un d�voilement c�leste. Quelque chose qui vous arrache ce qui se noue en vous pour le d�nouer sous le ciel. C�est cette double sensation de douleur et de baume que l�on �prouve � �couter Ces�ria �vora. Cette voix a quelque chose de la brise oc�ane qui s�en vient donner un coup de plumeau dans les �mes empoussi�r�es de tourments. Du tourment, elle en a eu pourtant � vivre, Ces�ria �vora ! Chanteuse de boui-boui, elle a �cum� pendant plus d�un quart de si�cle les nuits glauques de sa ville natale, Mindelo, sur l��le de Sao Vincente, deuxi�me ville du pays, tenue pour la capitale culturelle du Cap- Vert. Est-ce un hasard que la ville soit fameuse pour sa musique, la morna, et ses musiciens ? N�e au milieu du XIXe si�cle, la morna, musique plaintive et nostalgique, est chant�e pour la �partida� (le d�part). Est-ce un hasard aussi, si son p�re, Justino da Cruz Evora, disparu pr�matur�ment lorsque Ces�ria avait sept ans, �tait musicien ? Est-ce un � ultime � hasard enfin si la petite fille pauvre a grandi dans une famille de cinq fr�res men�e d�une main de ma�tre par une m�re, Dona Joana, cuisini�re pour de riches blancs de son �tat ? Tout cela a s�diment� en Ces�ria �vora cet univers rauque et cristallin qu�elle allait, drap�e dans un talent fou et une folle d�tresse, faire tournoyer dans les volutes tabagiques et les rires gras des soiffards en escale. La diva a commenc� par �tre une chanteuse va-nu-pieds. Une voix descendue des cieux pour ajouter un peu de lumi�re � l��clairage glauque des estaminets insulaires o� marins en goguette et dockers dans l�expectative partagent, le temps d�une escapade bachique, le m�me voyage immobile. Ce voyage est vertical. La voix de Ces�ria �vora, une nostalgie faite m�lodie, fait grimper dans l��ther des �l�vations. On se sent planer � l��couter vocaliser sa m�lancolie qui prend, chez elle, tout le sens que lui donnait Victor Hugo lorsqu�il la d�finissait comme �le bonheur d��tre triste�. A partir de 1991, Ces�ria �vora quitte son �le et commence une carri�re internationale qui la m�nera aux quatre coins du monde r�pandre un peu de cette iode et de ce myst�re des riverains qui la constitue. Elle s�en est all�e d�sormais, mais il reste cette voix d�or comme l�iris du cr�puscule lorsque, dans une explosion chromatique, le soleil s�enfonce dans la mer.