Par Arezki Metref [email protected] Ouallah, c�est vrai, j�te dis ! Il existe. Quoi ? Le m�tro ! M�me que je l�ai pris. On m�aurait dit �a il y a trente ans, vingt ans, dix ans, je n�en aurais pas cru un mot. Tiens, m�me il y a quelques jours, j�aurais r�torqu� : t�fous pas de ma pomme, d�accord ! Ce truc-l�, c�est trop bal�ze, tu vois, jamais on y arrivera ! Et depuis le temps, �a a fini par devenir une fatalit� ! Les douze travaux d�Hercule sans Hercule, �videmment. Le m�tro, ce n�est pas pour nous. Faut pas r�ver. Le m�tro, c�est pour les gens d�velopp�s, qui savent travailler et se tenir, deux choses bannies de chez nous ! Le m�tro, c�est� Et puis, c�est tout ! Je repense � ce copain qui avait �tudi� aux �tats-Unis. Il �tait revenu au pays avec le d�sespoir de ne jamais voir un m�tro rouler sous la terre d�Alger. La d�r�liction qui s�est saisie de l�Alg�rie avait fini par avoir raison de son nationalisme. Il avait repris son b�ton de p�lerin et sa dignit� �corch�e par un chefaillon qui voulait casser du cadre instruit, dans l�entreprise nationale o� il avait atterri, pour s�en aller bourlinguer. C�est le premier que j�ai appel� dans sa retraite australienne pour lui dire que j�avais pris le m�tro ! Et tiens-toi bien ! Tu sais o� ? Eh bien � Alger, �a t�en bouche un coin, hein ? Ah �a ! Pour s�r que �a lui en a bouch� un coin ! Le temps qu�il d�glutisse son �bahissement, j�en ai profit� pour ajouter une couche en lui rappelant qu�avant, il fallait aller jusqu�� Paris pour prendre le m�tro et que maintenant, en sortant de chez moi � Ha�-El-Badr, ex-Lotissement Michel ex-fief d�Ali Benhadj et de cheikh Zebda, je fais � pinces � peine quelques centaines de m�tres en rasant les bagnoles � tant il y en a dans le coin dont les passagers viennent admirer la nouvelle merveille de chenille de fer souterraine � et je m�engouffre dans la bouche de m�tro� Tu ne me crois pas ? T�as peut-�tre pas tort, quoi que ! C�est impossible que tu dis ? Eh bien reste dans ton scepticisme� Selon toi, il y aurait une antinomie radicale entre le m�tro et Ha�-El- Badr. Ce serait comme deux droites parall�les condamn�es � ne jamais se rencontrer. Eh bien, justement, on a fait de ce pays le lieu �tonnant o� les droites parall�les se coupent, et ce, au point que �a donne du grain � moudre aux matheux ! Et pas que les droites, d�ailleurs. L��conomie parall�le rencontre forc�ment l�autre �conomie parall�le� Plein d�autres parall�les se rencontrent, boivent ensemble le th� puis reprennent seules, leur chemin. Faut dire aussi qu�en embarquant sur l�escalier m�canique qui descend vers la modernit�, j�avais fait un plein de pr�jug�s que je comptais bien passer au portillon poin�onneur. La liste ? �a va �tre d�gueu � n�en plus pourvoir, si tu vois ce que je veux dire. Pas de raison que le sous-sol ne soit pas aussi r�p� par les ordures que le sol. Terrain, sous-terrain, m�me combat ! Terre, sous-terre, destin commun. Les sachets en plastique noir qui constituent le blason de l�Alg�rie ind�pendante trouveront le cimeti�re id�al et dans les tunnels de la voie obscure, ils ne d�tonneront pas. Tu trouveras, comme un tapis de joyeuset�s, les canettes de sodas et de jus abandonn�es sur les quais et les si�ges comme la signature inimitable d�un pays o� tout le monde s�en tape. De plus, une arm�e de ploucs d�monstratifs et tapageurs, hypercontents d��tre eux-m�mes dans les rames qui glissent en g�n�rant ce bruit feutr� du m�tro fon�ant vers l�inconnu, te fera regretter jusqu�aux bus d�glingu�s de l�Etusa ahanant vers les hauteurs qu�ils boudent. Evidemment, si sous le soleil de Dieu et le r�gne de Bouteflika, en plein centre d�Alger et en plein jour, on peut te piquer ton portable, ta montre, ta serviette, arracher une cha�ne � une femme, et chercher noise � un flic, qu�en est-il alors dans les profondeurs de la terre, l� o� l�on est livr� � soi-m�me dans l�obscurit� et la solitude ? Le m�tro, me suisje dit, �a va �tre un coupe-gorge. D�s que tu y auras mis l�orteil, une bourrasque de d�linquants jubilatoires, contents qu�on leur ouvre de vrais bas-fonds, s�abattra sur leur proie toutes griffes dehors. C�est avec tous ces a priori que je m�appr�tais donc � prendre le m�tro � Ha�-el-Badr vers le centre d�Alger. Et puis non, me dis-je, mon premier m�tro doit partir du centre vers la p�riph�rie et non l�inverse. Alors, je me suis fait d�poser � la Grande-Poste par un pote volontaire � qui j�ai fait croire que, comme Neil Armstrong foulant la lune, un petit pas sur le quai de m�tro alg�rois �tait un grand pas pour le peuple alg�rien tout entier. C�est � Tafourah que j�ai aluni. L�, j�ai pris une des entr�es de m�tro et me suis laiss� bercer par l�escalier qui m�a conduit par palier vers le c�ur de la centrale nucl�aire, accompagn� de la sensation que j�allais prendre contact avec une innovation technologique de premier plan, un peu comme le noyau de quelque d�couverte futuriste. Plus les marches m�caniques m�enfon�aient sous la terre d�Alger, plus mon c�ur battait un peu, j'imagine, comme celui des astronautes dans l�ascenseur les conduisant au vaisseau qui les propulsera dans le vide cosmique. Escalier �tincelant, comme la rampe, les parois et les portillons. Les vitres du guichet de vente des tickets condensent, comme un d�fi narquois, toute la propret� absente par ailleurs dans le pays. On e�t dit qu�une autorit� avis�e avait d�cid� qu�il fallait mettre le paquet en cet endroit pr�cis. Qu�importe si ailleurs� Bref, �a sent le propre, le neuf, l��trenne ! J�ai eu tort �videmment d�appr�hender les petites frappes. A vue d��il, dans le hall, il y a autant de flics que de passagers. C�est le r�ve. Un pays o� la moiti� de la population est faite de flics qui veillent sur l�autre moiti� ! Il ne se passe rien ! J�ach�te un ticket : 50 DA. Je pr�cise �a pour mon copain d�Australie car c�est la premi�re question qui lui est venue � l�esprit. Je le passe � la lecture laser. Le tourniquet se d�verrouille tout seul comme un grand. �a marche du diable ! Je prends un autre escalier qui me d�pose sur le quai. Tout est toujours aussi propre. Les plans sont bien fichus, aux si�ges sur les quais il ne manque pas une vis. Pas une ampoule ne fait d�faut � l��clairage ing�nieux. Vraiment chapeau, les cousins ! J'ai � peine le temps de me pincer pour r�aliser que je ne r�ve pas et l�engin arrive. Le voil� mon premier m�tro � Alger ! Toutes celles et ceux qui ont connu le m�tro dans d�autres pays, et qui se sont dit mille fois pourquoi pas nous, auront sans doute la m�me sensation d�irr�alit� en le voyant d�bouler de son tunnel. Une belle rame, � peine sortie de son �tui, s�arr�te devant moi. Les porti�res automatiques s�ouvrent et laissent monter quelques passagers. Nous sommes quoi, une trentaine en tout ? Des femmes enhidjab�es, d�autres pas� Des mecs gomin�s qui se tassent dans leur si�ge comme s�ils �taient dans un univers qui les complexaient. Des intellos portant lunettes rondes et serviettes en cuir. Un vieux monsieur plong� dans la lecture du Soir d�Alg�rie (je jure que c�est vrai) qui levait de temps en temps les yeux pour �valuer les postures des uns et des autres. Les passagers sont comme dans quelque chose qui ne leur est pas naturel. On a l�impression qu�ils sont sur leurs gardes, qu�ils sur-jouent pour un casting. Dix stations sur un parcours qui me m�ne de Tafourah � Hai-el-Badr en moins d�un quart d�heure. J�ai pris le m�tro dans une trentaine de villes � travers le monde. Je peux dire que je n�en ai pas vu de plus propre et de plus calme que celui d�Alger. Mais je dois ajouter que je l�ai pris � � peine un mois apr�s son inauguration. Qu�en sera-t-il quand il aura plus d�un si�cle comme celui de Londres ? Je n�ose pas y penser. Apr�s, c�est �a, l�irr�alit�, on n�y croit pas !