Par Lalaoui Belkacem * Quelle fonction pr�tend remplir le football professionnel, devenu une entreprise de spectacle relevant du march�, dans le corps social des pays en voie de d�veloppement ? Car, aujourd�hui, quand on �voque ce �mod�le sportif de pratique� fond� sur la comp�tition et la performance, et qui continue de nous capturer d�une mani�re ou d�une autre, on veut surtout rendre compte de sa capacit� � remplir une fonction socioculturelle, qui est celle d�introduire, au sein de la soci�t�, l�apprentissage d�un code de conduite bas� sur des valeurs sp�cifiques, comme l�effort, le d�passement incessant de soi, l�abn�gation, le m�rite et l�excellence. Autrement dit, le football professionnel ambitionne d��tre un �mod�le universel� � imiter, pour acc�der au travail professionnel moderne, c�est-�-dire � des vertus combatives et � un savoir-faire. On consid�re que cette activit� �... apparemment gratuite remplit une fonction, se pr�sente comme le maillon d�une cha�ne, occupe une place. Si cette activit� disparaissait, cela engendrerait un manque (un dysfonctionnement) et il faudrait la remplacer� (Y. Vargas). Le football professionnel : le gouvernement de Zurich d�cide La Fifa ne manque pas de rappeler � l�ordre les pays en voie de d�veloppement, qui n�envisagent pas d�int�grer cette fonction dans leur d�veloppement �conomique, social et culturel. En effet, pour la Fifa, les individus des pays en voie de d�veloppement doivent imp�rativement int�grer ce �mod�le sportif de pratique�, pour apprendre � se distraire et faire la f�te ensemble, purger leurs passions et discipliner leurs instincts, s�exercer au travail d��quipe et � la rencontre avec les autres. De la sorte, le football professionnel, avec son mode d�organisation et ses finalit�s, se pr�sente comme un rem�de aux maux sociaux. Il d�veloppe une vie m�thodiquement rationnalis�e avec des valeurs hautement morales et d�sint�ress�es, qui rendent les corps plus vertueux et les cerveaux moins pervers. Il promet de remettre en place les lois confuses et embrouill�es par des r�gles sportives pr�cises. Il �labore de nouvelles repr�sentations, un nouveau r�pertoire d�actes et de symboles o� va se refl�ter, voire s�identifier, l�imaginaire collectif. En somme, le ph�nom�ne football professionnel, dans les pays en voie de d�veloppement, veut finalement r�ussir l� o� tout a �chou� : l��ducation, la sant�, la culture, la communication, etc. Il est investi d�une mission inou�e : fabriquer des champions pour mettre fin � la mis�re sportive de la multitude. C�est pour toutes ces raisons, qu�il m�rite d��tre interrog� plus qu�avant. Le football professionnel : un sport spectacle, mais aussi un pouvoir P. Veyne nous apprend que dans la logique des soci�t�s grecque et romaine, les jeux �taient consid�r�s comme un �don�, un �cadeau� que les riches notables, au temp�rament g�n�reux et patriotes, offraient � la pl�be, au m�me titre que le pain : d�o� l�expression le pain et le cirque, qui avaient pour fonction d�int�grer la pl�be dans le corps social et d�acheter ainsi la paix sociale. Or, nombreux sont encore aujourd�hui les dirigeants politiques qui ont compris la force du sport-spectacle football dans la cr�ation d�un �pouvoir politique�, et ils n�en font plus un secret. Les autres cat�gories du �syst�me sportif� ne sont pas des activit�s symboliquement rentables. C�est ainsi que la cat�gorie �sport-�ducation�, comme outil d�insertion des jeunes dans la vie sociale contribuant � am�liorer leur �tat physique, � favoriser le d�veloppement de leur personnalit� et � resserrer ainsi la coh�sion nationale, est totalement ignor�e. La cat�gorie �sport de comp�tition�, ayant comme objectif la r�alisation d�une pluralit� d�excellences avec l��tablissement d�un clavier de performances accessibles par �tapes au plus grand nombre � des rythmes divers (� l��cole, au lyc�e et � l�universit�), est � l��tat de bricolage. Quant � la cat�gorie �sport de participation�, qui vise la sant� et le bien-�tre de la population avec pour objectif de combattre activement certaines maladies, elle est tout simplement absente de l�espace social. Ainsi, les dirigeants politiques, des pays en voie de d�veloppement, ne sachant pas ou ne voulant pas mettre en place un �syst�me des sports� structur� et organis� qui b�n�ficierait � l�ensemble de leurs populations, se rabattent sur la cat�gorie mobilisatrice sport-spectacle football : comme pour inviter leurs populations � venir consommer le sport et d�guster la performance par d�l�gation imaginaire. Si bien que les probl�mes qui accablent le sport r�sultent d�un d�veloppement non planifi�, fragment�, d�sarticul�, non contr�l� et de plus en plus mal ma�tris�. Le football professionnel : un accaparement ou une acculturation L�histoire nous apprend que lorsque le sport n�est pas �galement distribu� au sein d�une population, il suscite des strat�gies d�accaparement et de pr�dation et non d�appropriation ou d�acculturation. C�est le cas de l�Alg�rie o� l�on assiste depuis quelque temps � des man�uvres, des tactiques, des strat�gies d�accaparement de la cat�gorie football professionnel, ayant comme cons�quence l��mergence de comportements et de sentiments qui mettent en relief des liens sociaux segmentaires et communautaires propices aux identifications partisanes locales et r�gionales. Dans ces conditions, le ph�nom�ne �football professionnel� perd de sa finalit� socialisatrice, qui est celle de cr�er du lien social, pour ne devenir qu�un univers d��vasion et de diversion sociale, voire un simple �divertissement protecteur � � des pratiques d�linquantes astucieuses. Le football professionnel : Un montage socioculturel de la performance Pour la majorit� des dirigeants politiques, des pays en voie de d�veloppement, la �performance� dans le football professionnel en son sens physique, technique, psychologique, sociologique et philosophique, n�est pas consid�r�e comme une activit� pouvant imbriquer une multitude de savoirs et de savoir-faire. Elle n�est pas per�ue comme la subjectivation d�un long processus de production et de contr�le de soi : une activit� socialement et culturellement construite et conquise, au cours d�un long investissement collectif. Dans la sophistication des discours, la performance sportive tombe du ciel, elle est surgissement et miracle : un oracle envoy� par les dieux d�Olympie. Elle ne suppose aucune volont�, aucun projet, aucune rationalit�, aucune asc�se, aucune �thique r�f�rentielle. C�est une simple activit� de bricolage avec les moyens du bord dont on dispose. Il suffit, simplement, de construire des stades (cl�s en main), de pr�senter un cahier des charges (documents en main) et de changer p�riodiquement d�entra�neurs (ch�ques en main) pour que la performance et le professionnalisme naissent et fleurissent au sein des clubs. Le football professionnel alg�rien : un professionnalisme flou qui cache un sordide mat�rialisme Le football professionnel en Alg�rie, fa�onn� par le contexte social et culturel dans lequel il baigne, est synonyme de pouvoir et d�argent et non de progr�s. Affect� et st�rile, il exprime le projet d�une soci�t� en perte de r�f�rences, une soci�t� sans un r�el �projet sportif�. Aujourd�hui, chaque club est g�r� par une �secte� avec un �gourou� utilisant un jargon sportif savant � son go�t pour mobiliser ses troupes et leur prescrire ce qu�elles doivent faire sur le terrain et dans les tribunes (si rien n�est prescrit, elles ne doivent pas bouger). Des gourous qui ont chass�, des clubs, les �hommes d�vou�s� au sport et � l�institution sportive. Ils ont mis fin � un d�vouement vivant, qui s�exer�ait avec dignit� et grandeur dans la majorit� des grands clubs : mobile, vivace, pers�v�rant, ing�nieux. Un d�vouement qui a contribu� � construire et � pr�server, au sein des clubs, des valeurs pour lesquelles la vie m�rite d��tre sacrifi�e : la loyaut�, l�amiti�, la solidarit�. Amput�, aujourd�hui, de cette �intelligence sociale� qui forge les consciences collectives, de cette �intelligence morale� qui permet de distinguer entre les actions correctes (le bien) et incorrectes (le mal) et de cette �culture de la joie� qui socialise et temp�re les �motions et les passions les plus bavardes, le club de football professionnel est devenu un champ clos fait d�affrontements �puisants et st�riles avec de gigantesques �psycho-sociodrames� mettant en sc�ne des agressivit�s, des animosit�s, des tensions, des haines, qui laissent transpara�tre une culture de l�affrontement et de la vengeance. Le football professionnel est devenu le lieu o� vient s�exercer une p�dagogie de la violence inassouvie. A l�image de l�institution qui l�a enfant�e, il ne donne plus ce �plaisir social� qui enracine la culture sportive dans la communaut�. Il a perdu de sa pertinence � manifester et � rendre visible une volont� collective, une conscience collective. Il n�arrive plus � mobiliser, � rassembler, � f�d�rer. Ce n�est plus le lieu o� l�on peut afficher publiquement sa libert� de penser et sa libert� d�appartenance. Il refl�te la d�composition des r�gles de la civilit� et de la socialit�. Transactions financi�res obscures, man�uvres politiques, intimidation, chauvinisme, esprit de clan, le hantent. Pour la jeunesse, le football professionnel, avec son mode d�organisation des relations interindividuelles agressives et violentes, est devenu le mod�le social par excellence de l�apprentissage des comportements d�agression et de pr�dation et pour les enfants une norme, un id�al d�exp�rimentation et d�imitation, au jeu de r�les agressif. Si bien que le football professionnel s�apparente, dans l�imaginaire collectif, � un sport qui n�a pas de scrupules et de morale, car il fait partie d�un syst�me de pouvoir sans scrupules et sans morale. L. B. (*)