[email protected] Saliha, cette jeune femme, le visage livide, les yeux cern�s, tra�ne la jambe en faisant les cent pas dans le couloir du service de m�decine interne d�un h�pital de la capitale. Elle y s�journe depuis un mois pour une exploration, suite � une phl�bite. Mais Saliha prend son mal en patience, et fait de son s�jour une petite cure de sant�. Une maniaque de la propret� ; bien que l�hygi�ne soit irr�prochable et la nourriture bonne, Saliha pr�f�re les repas que lui apporte tous les jours sa belle-m�re. S��tant li�e d�amiti� avec sa voisine de chambre, elle lui offre discr�tement tous les matins la brioche servie au petit-d�jeuner et lui emprunte sa petite r�sistance pour pr�parer son caf�. Et c�est elle qui fait son lit apr�s avoir soigneusement a�r� couverture et draps. Ces derniers sont parfaitement tir�s, dignes d�un lit de nouvelle mari�e. Saliha, ce boute-en-train, a gagn� la sympathie de ses cong�n�res. Elle compatit avec toutes les malades du service et elle r�pond toujours pr�sent pour pr�ter son joli sucrier en c�ramique tir� tout droit de son vaisselier ou encore son s�che-cheveux. Sans verser dans le comm�rage ni dans le d�nigrement, elle conna�t le mal de chacune des malades et parfois commente leurs d�boires, comme ceux de Malika, cette jeune fille de 24 ans qui souffre d�hypertension art�rielle apr�s que son p�re eut convol� en secondes noces suite au d�c�s de sa m�re. �Je l�ai entendu la derni�re fois, apr�s un pic, lui en vouloir : �C�est � cause de lui que je suis l�.� Ah ! les hommes, ils sont tous pareils, une de perdue, dix de retrouv�es. Il n�a pas attendu six mois. Je la comprends. Je souhaite qu�elle trouve chaussure � son pied, comme �a elle sera tranquille.� Saliha se fait un point d�honneur � soigner sa tenue, les cheveux propres, ramass�s en queue de cheval, un joli pyjama aux tons pastel toujours assorti � ses mules, et une robe de chambre ray�e aux couleurs chatoyantes. D�ailleurs, certaines malades avec lesquelles elle est devenue complice, pour la taquiner, l�ont affubl�e du sobriquet �L�arc-en-ciel�, �a l�amuse plus que �a ne la vexe ; et elle s�en est accommod�e. �Que voulez-vous, je d�teste les couleurs sombres.� Saliha passe de chambre en chambre, s�enquiert de l��tat de sant� de chacune. Apr�s un bonjour et les trois rituelles bises : une, sur chaque joue, la troisi�me sur le front, auxquelles ont droit les plus �g�es, elle prend place au pied du lit. �Alors, �a s�est bien pass� l�examen du scanner ? Il ne faut surtout pas t�impatienter, les r�sultats sont longs, estime-toi heureuse, tu as pu avoir ton rendez-vous tr�s vite.� Elle quitte la chambre et se dirige vers une autre. �Tu fais tes valises, Zohra, �a y est, tu rentres au bercail ? Bon retour parmi ta famille. Moi, c�est report�. Mon m�decin n�a pas sign� mon billet de sortie. Mon TP est � 100. On me garde jusqu'� ce qu�il baisse, ce sont mes deux gar�ons qui seront d��us.� Saliha est interrompue par une voix qui l�appelle. �Arc-en-ciel, tu peux venir, une minute ?� �Oui, j�arrive.� C�est Malika, qui, fra�chement sortie de la douche, la chevelure enturbann�e lui demande son s�che-cheveux. �Bien s�r, je te l�apporte.� Malika, un peu confuse, �peux-tu me faire un brushing ?� - Bien-s�r. Tu vas o� ? Malika �clate de rire. �Je passe mon �co-c�ur demain. Je ne vais tout de m�me pas y aller comme une chiffonni�re !� Apr�s la s�ance coiffure, Saliha se rappelle tout � coup qu�elle devait donner un peu de caf� � la m�re (garde-malade) de cette jeune maman de 23 ans victime d'un accident vasculaire c�r�bral, quelques jours apr�s son accouchement. Elle est l� depuis plus d�un mois. Elle en profite pour avoir de ses nouvelles. Ratiba est clou�e au lit, les yeux riv�s au plafond. �Aujourd�hui elle n�a pas le moral, elle n�a pas mang� grand-chose. Son mari devait venir la voir, il a appel� pour s�excuser. Je crois que c�est cela qui l�a rendue malheureuse.� Saliha en a les larmes aux yeux. Elle retourne dans sa chambre, jette un coup d��il sur son t�l�phone. �Il est 19h, le d�ner va bient�t �tre servi.� C�est aussi le moment o� r�gne une agitation particuli�re. Les gardes-malades entrent en sc�ne, et dans un va-et-vient incessant, entre le couloir et les chambres, s�affairent � pr�parer les couverts et � �mettre la table�. Le d�ner arrive. Ce sont les rares instants o� on ferme la porte de sa chambre pour manger dans le calme et la discr�tion. Saliha a eu droit aujourd�hui � une bonne chorba bidha. Elle invite sa voisine � la partager avec elle. Le calme ne durera pas longtemps puisque, � pr�sent, c�est le branle-bas-de combat, pour d�barrasser les tables, laver et ranger la vaisselle. La nuit, c�est le moment que redoute le plus Saliha car elle a du mal � trouver le sommeil, entre les voix qui portent des veilleuses de nuit, et certaines malades qui ne trouvent pas le sommeil, laissent la t�l�vision en veille toute la nuit, oubliant que c�est quand m�me un h�pital. Heureusement, elle a ses stop-bruit. Et demain, est un autre jour pour �L�arc en ciel� !