Par Mohamed-Rachid Yahiaoui 1958 en Wilaya IV. Le rouleau compresseur de l�op�ration �Courroie� avance inexorablement d�Ouest en Est pour �craser la R�volution. Les pertes sont consid�rables dans les rangs de l�ALN. Plusieurs armes ont �t� cette fois-ci r�cup�r�es par l�arm�e fran�aise, des casemates d�couvertes, des infirmeries saccag�es. La �bleuite� a fait des ravages en Wilaya III limitrophe de la IV. Malgr� cela, la d�termination d�aller de l�avant n�a jamais �t� remise en cause par ceux-l� m�mes qui, dans le d�nuement total, �taient r�solus � arracher l�ind�pendance. Pendant ce temps, les populations de Th�niet-El-Had et ses alentours, surtout les douars d�El Meddad, v�curent dans leur chair les exactions commises par la soldatesque �m�canique� sous les ordres du cruel colonel Marie- Meuni�re de Schacken, un Alsacien ayant plut�t l�allure d�un SS avec son �ternel monocle qui lui valut le surnom de �colonel Boua�ne�. Ami intime du g�n�ral Massu Sorti de Saint Cyr en 1934, il marqua son passage aux Dragons Port�s de Verdun et en Indochine avec le 5e Cuirassier. Il fut charg�, � son retour de Dien-Bien-Phu en 54, du 2e Bureau relevant du BEL (Bureau d��tudes et liaisons) de la 2e R�gion militaire d�Alger. Ami intime du g�n�ral Massu, de Schacken fut d�cor� de la L�gion d�honneur et mut� au secteur militaire de Th�niet- El-Had au mois de juillet 1957, sp�cialement pour casser et �craser la R�volution � Th�niet-El-Had et ses environs. Depuis son arriv�e � la t�te du 12e RCA[1], plusieurs ratissages sanguinaires eurent lieu dans les douars avoisinants. Il ne se passait pas un jour sans voir les half-tracks rentrer � Th�niet-El-Had avec, dans la plupart des cas, des cadavres de civils attach�s � l�avant des blind�s qu�on pr�tendait �tre des moudjahidine ou des chefs de maquis. Des sc�nes pareilles avaient pour but de terroriser davantage les populations indig�nes et att�nuer la peur visc�rale des colons suscit�e par les fantomatiques �fellagas�. La caserne de Th�niet-El-Had est devenue un v�ritable laboratoire de �torturologie� apr�s celle de A�n Sfa � Tissemsilt, o� les meilleurs tortionnaires de la r�gion exer�aient leurs sp�cialit�s en inventant de jour en jour les diff�rents proc�d�s utilis�s pour arriver � bout de �la question�. �La goutte chinoise�[2] est un proc�d� surann� largement d�pass� devant �l�h�licopt�re�, la �g�g�ne�[3]. L��crasement des testicules ou les aiguilles plant�es entre la chair et les ongles sont les autres moyens atroces pour soutirer le renseignement. Les r�sultats sont obtenus en moins de temps qu�il faut que lors de la pratique de �la goutte chinoise�. Dans toute cette ambiance macabre, s�il y avait quelqu�un � qui l�ALN devrait tordre le cou, c��tait incontestablement le colonel Marie- Meuni�re de Schacken. C�est ainsi que l� o� le maquis s�attendait le moins du monde, l�occasion s��tait pr�sent�e un dimanche 14 novembre 1958. C��tait un jour gris. Le soleil appara�t par moments entre deux nuages pouss�s par une brise glaciale. Un groupe de moudjahidine venant du djebel Ghil�s pour se rendre au PC de la Zone III de Amrouna s��tait arr�t� au douar Boussedi pour reprendre des forces. Les maquisards �taient l� depuis tr�s t�t le matin. Dix-sept heures trente minutes. Les �choufs� informent, par �t�l�phone arabe�, les djounoud de l�arriv�e de 2 voitures civiles et d�une jeep militaire qui suivait loin derri�re. Apparemment, le cort�ge n��tait pas s�curis�. Dans la minute qui suivit, le chef de groupe, de concert avec ses compagnons, d�cide de tenter une embuscade. Un branle bas de combat eut lieu. On d�cide � la h�te de rep�rer les endroits propices � m�me de r�ussir l�action. Le maquis manquait de tout Il faut dire que la situation de la Zone III est des plus pr�caires. Le maquis manquait de tout : munitions, v�tements, alimentation. Heureux �tait celui qui tra�nait une paire de pataugas us�e jusqu�� la corde. Dans certaines r�gions de la Wilaya IV, les maquisards enterr�rent leurs armes faute de munitions. Les bases de l�Est et de l�Ouest �taient loin et on peinait � approvisionner en armes la Wilaya. �Notre usine d�armement �tait les routes o� on tendait des embuscades en esp�rant r�cup�rer ainsi v�tements et armes� (Dixit commandant Azzedine[4]). L�ann�e 1958 avait marqu� au fer rouge certaines r�gions de la Wilaya IV. �Un demi-oignon et une demi-galette rassie �taient notre caviar pour tromper notre faim� (Dixit commandant Si Azzedine). Le groupe de maquisards �tait donc accul� � tenter le diable pour r�ussir cette embuscade inesp�r�e. Personne, m�me le �chouf�, n�avait id�e de l�aubaine qui se pr�sentait ce jour-l�. Un jour qui a fait de cette embuscade et des hommes qui l�ont tendue un allant d�cisif vers davantage de courage et d�abn�gation pour concr�tiser les aspirations de Novembre. Cach� par quelques nuages qui s�effilochaient, le disque solaire commen�a sa descente sur El Meddad[5], mettant ainsi � couvert les maquisards. Ces derniers ont �t� dispos�s pour des tirs crois�s de telle mani�re que les occupants n�eurent aucune chance de sortir indemnes de l�embuscade. Dix-sept heures cinquante-cinq, la premi�re voiture, une 403 Peugeot grise, pointa le capot en n�gociant doucement le virage � gauche. Elle avait � son bord le docteur Bertrand au volant, un passager � l�avant. C��tait le commandant Audrey, chef du 2e Bureau. Le colonel de Schacken �tait assis � l�arri�re au milieu de deux officiers dont le colonel Julien, son adjoint. Elle fut suivie imm�diatement par une Peugeot 403 noire conduite par le sous-officier Jean Challi�s, un Girondin appel� du contingent, chauffeur du colonel, et, assez �loign�, un Dodg 4x4 qui fermait le convoi. L�assaut fut alors donn� apr�s un galvanisant �Allah Ouakbar�[6] hurl� par le chef du groupe. Un d�luge de feu s�abat alors sur les deux voitures. Le chauffeur du colonel a �t� cribl� de balles et sa voiture est all�e finir sa course en percutant le talus � gauche de la route. L�embuscade n�a dur� que quelques minutes Aux premiers coups de feu, le conducteur eut la pr�sence d�esprit d�acc�l�rer � fond dans l�intention d��chapper � l�embuscade mais le colonel �tait d�j� mort, atteint d�une balle au milieu du front. Deux balles ont atteint le colonel Audrey, le blessant au bras droit et � la poitrine. L�embuscade n�a dur� que quelques minutes. Ecoutons Mohamed Berouka qui, en 1960, une ann�e apr�s sa lib�ration, �tait all� rendre visite au docteur Bertrand install� � Alger (Hydra). �Une ann�e apr�s ma sortie de prison en 1959, je rendis visite au docteur Bertrand qui �tait mon chef de service � l�h�pital de Th�niet-El- Had. Notre discussion � b�tons rompus nous mena � la fameuse embuscade tendue au convoi du colonel.� L�air grave et d�un ton calme, le docteur Bertrand me dit : �Jusqu�� pr�sent, je n�arrive pas � expliquer le fait que seul le colonel ait �t� atteint d�une balle en plein front, lui qui �tait assis au milieu. Ma voiture est devenue une vraie passoire. Les porti�res ont �t� cribl�es de balles. Le projectile meurtrier a presque ras� ma tempe pour aller se loger dans la t�te de l�officier. Nous sommes sortis indemnes, sauf le colonel dont la mort a �t� instantan�e et les blessures du commandant Audrey. Ce n�est qu�apr�s cet attentat que je me suis rendu compte que la France n�avait aucun avenir en Alg�rie. L�ind�pendance �tait in�luctable.� La nouvelle est tomb�e comme un couperet � Th�niet-El-Had. La consternation se lisait sur le visage de tous les Europ�ens. Le 14 novembre 1958, sera une date charni�re dans la prise de conscience des pieds-noirs et des colons : Demouzon, Peter, Anouille, Formonto, Garcin, Daguenet, Nicole, fervents partisans de l�Alg�rie fran�aise. Un grand doute s�est impos� � eux : l�Alg�rie sera-t-elle un jour d�finitivement la leur ? Le jour des fun�railles, Th�niet- El-Had est devenue une ville morte, envelopp�e dans un inqui�tant et obstin� silence abyssal que seul le glas de l��glise rompit. L�administration coloniale avait interdit tout d�placement de personnes. Les magasins �taient ferm�s. Accompagn�s de leurs ma�tres, tous les �coliers ont �t� rassembl�s en face du bal. Apr�s les derniers sacrements, les fun�railles eurent lieu devant l��glise Sainte Anne des C�dres. Les g�n�raux Massu, Gracieux, Parlange, les sous-pr�fets de Miliana, d�Orl�ansville et de Th�niet- El-Had, Zekouitz, Garcin, maire de la ville, �taient pr�sents, la t�te baiss�e, l�air grave devant les catafalques. Seuls les indig�nes contiennent int�rieurement leur joie mais aussi difficilement la peur des repr�sailles. Il est loin le temps o� Hubert Garcin disait � qui voulait l�entendre que le 1er Novembre 54 n��tait ni plus ni moins qu�un trouble de l�ordre public, une r�bellion que les pouvoirs publics allaient vite mater. Maintenant, il doit imp�rieusement revoir ses appr�ciations sur la v�rit� de l�heure, puisque durant cette ann�e 1958, trois colonels et autant de commandants ont �t� cibl�s par l�ALN. Le colonel Jean-Pierre trouva la mort dans une embuscade � Guelma. Deux autres officiers sont pass�s de vie � tr�pas � M�d�a et en Kabylie. D�s lors, l�ALN ne se contentait plus que du menu fretin. La R�volution a atteint sa vitesse de croisi�re. Si la population a accueilli avec soulagement et avec joie la fin d�un tyran, elle appr�hendait, la peur au ventre, la terrible vengeance qui allait s�abattre sur elle. Par o� les militaires allaient-ils commencer ? Va-t-on boucler la ville et prendre dans le tas des �suspects � pour la �corv�e de bois� ? Allait-on se rabattre, comme il est d�usage, sur la �Cha�ba� qui, d�ailleurs, a pay� un lourd tribut chaque fois que les re�tres d�barquaient dans le douar. Mais la vengeance, cette fois-ci, sera in situ, elle allait s�abattre sur le hameau des Boussedi, o� a eut lieu l�embuscade. Les soldats n��pargn�rent personne le jour m�me de l�embuscade : hommes, femmes, vieillards. C�est � coups de crosse, de rangers et de cris que les paysans furent bouscul�s, malmen�s et rassembl�s dehors, dans une aire de battage. Les re�tres donn�rent libre cours � leur instinct d�vastateur. Ils jet�rent p�le-m�le matelas, couvertures, sacs de farine et de bl� qu�ils �ventr�rent. Les hommes subirent d�atroces tortures. Les enfants �taient terroris�s. Certains seront traumatis�s durant toute leur vie. Pour la circonstance, la loi sur la responsabilit� collective d�cr�t�e en 1844 a �t� d�congel�e et remise d�actualit�. Tir�s � la mitrailleuse 30, dix-huit corps tomb�rent lourdement sur la terre battue. Tous des Boussedi. Une pluie fine commen�ait � mouiller les cadavres. Le hameau des Boussedi pleure ses morts. Pour apaiser la conscience de quelques-uns qui auraient pu avoir des scrupules et pour l�galiser le g�nocide, la torture et la disparition, on consignera dans les proc�s-verbaux que lors de l�enqu�te effectu�e � la suite de l�attentat, des suspects ont fui � la vue des enqu�teurs et qu�il leur a �t� tir� dessus. L�affaire, de ce fait, fut class�e d�finitivement. Alger le 27 mars 2012 M. R. Y. [1] R�giment de chasseurs d�Afrique. [2] Torture qui consiste � enfermer un prisonnier dans une cellule o� r�gne un silence total. On laisse goutter un robinet que le bruit de la goutte produit � la longue dans les oreilles du supplici� l�effet d�un coup de marteau en plein cr�ne. [3] Appareil (g�n�ratrice) qui produit du courant pour les appareils mobiles de radiophonie. La g�g�ne sera utilis�e pour la torture � l��lectricit�. [4] Commandant militaire de la Wilaya IV. [5] La for�t des c�dres dans la cha�ne de l�Ouarsenis.