Doit-on consid�rer que Abderrahmane Bekhti triche pour le beau ? Oui, si l�on se r�f�re � la trentaine de tableaux de sa derni�re exposition qu�abrite le Centre des loisirs scientifiques, � Alger, du 31 mars au 10 avril. Mais n�est ce pas le propre de l�artiste que de faire ressentir des �motions esth�tiques ? Cette r�trospective de certaines de ses �uvres r�alis�es ces dix derni�res ann�es (la plus r�cente date de f�vrier dernier) se veut en tout cas un message d�amour et une le�on d�humanisme. Des toiles qui se forment comme une oasis enchant�e au milieu d�un d�sert inhospitalier. Le public est ici invit� � des sensations bienfaisantes auxquelles l�artiste a donn� formes et couleurs. D�j�, le style surr�aliste, tendance pop art, invite au plaisir des yeux et � la m�ditation. Et puis, quel plus bel hymne � la beaut� et aux nobles sentiments humains que tous ces visages f�minins, surtout la puissante expression des regards, si d�licieusement dessin�s par l�orf�vre qui leur a insuffl� une �me ? Pourtant, il n�y a rien de surprenant � cela, car, depuis toujours, l�enfant de Cherchell est rest� le po�te qui chante la vie, la terre, la m�moire et la mer. Lorsqu�il parle de son art, Abderrahmane Bekhti tient d�ailleurs les propos d�un passionn�, comme s�il s�agissait d�une conqu�te amoureuse jamais aboutie et qu�il continue d�entreprendre avec de plus en plus d�ardeur. �La peinture, explique-t-il, est le reflet fid�le des �tats d��me de l�artiste. Il suffit de bien �tudier une toile pour s�en rendre compte. Personnellement, je me consid�re comme un peintre humaniste qui traite de sujets philosophiques. Je suis aussi parmi les premiers vrais peintres modernes en Alg�rie, depuis les ann�es 1980. D�ailleurs, l�appellation arts plastiques n�existe pratiquement plus dans le monde. Aujourd�hui, on pr�f�re parler d�art contemporain, d�art visuel, d�installation... Je m�adapte � la nouvelle donne. Aussi, je pourrais me d�finir comme un peintre surr�aliste qui vire vers l�art visuel.� La r�miniscence de bleus, de personnages f�minins ? �Cela vient tout seul. La femme symbolise toutes sortes de qualit�s humaines et de valeurs positives l�affection, l�amour, la tendresse, la responsabilit� et l��quilibre... Elle est source de vie et de bonheur. Quant au bleu, il est l�unique couleur � avoir une personnalit�. Le bleu �voque le monde ext�rieur, la libert�, une journ�e ensoleill�e...� Dans l��uvre de Bekhti, il y a d�autres images et symboles r�currents. Par exemple, l��uf (la vie avant la vie), le papillon (la libert�, la nature en f�te), les feuilles mortes (la nostalgie, la d�licatesse), les traces de mains et de pas (le temps qui passe, inexorable, avec son lot de joies, de drames, d�esp�rances). Cela fait �galement partie de l�univers esth�tique de l�artiste qui, depuis une trentaine d�ann�es, travaille comme un p�dagogue pour aider les hommes � red�couvrir le vrai sens de la vie. Quitte � exprimer, parfois un cri de col�re et de r�volte (le tableau La pomme de la discorde pour dire l�Alg�rie de la d�cennie noire). L�artiste des fr�missements de la vie, l�altruiste qui pr�che l�amour et la g�n�rosit� avec un certain anticonformisme transmet alors d�autres messages. Ici, il devient l�artiste engag� pour un id�al de libert� et de justice sociale. Il rejoint en cela son fr�re cadet, le chanteur Ba�ziz. Mais pour que l�homme moderne redonne enfin un sens � sa vie, encore lui faut-il �tablir un juste �quilibre entre le monde mat�riel et le monde spirituel. Son bonheur est � ce prix. Les toiles de Abderrahmane Bekhti soulignent cet indispensable retour aux choses spirituelles et aux nourritures de l��me. Une sorte d�exorcisme que les marabouts et les zaou�as prennent en charge de fa�on symbolique. �Cette touche de mysticisme, nous confie-t-il, s�explique par l�influence du soufisme. C�est l� un ph�nom�ne social et culturel qui a depuis toujours contribu� � construire un ordre social �quilibr�. � Chez cet artiste autodidacte, il y a enfin l�influence de cet autre pan du riche patrimoine immat�riel qu'est la po�sie populaire. �Oui, nous dit-il, le malhoun se transmet dans mes toiles. Parce que je suis d�une famille o� Benkhlouf, Ben M�saib, Cheikh Lallaloui �taient �cout�s chaque jour.� Le fr�re a�n� de Ba�ziz, issu d�une grande famille d�artistes de cha�bi et d�andalou, nous rappelle d�ailleurs fort � propos qu�il avait commenc� par chanter le cha�bi. Pour l�anecdote, Ba�ziz avait emprunt� le chemin inverse : la peinture avant de se lancer dans une carri�re de chanteur ! Bien s�r, cette r�trospective (des peintures � l�huile et quelques gravures � l�encre de Chine) n�est qu�un �chantillon d�une production prolifique. N� le 7 avril 1959 � Cherchell, enseignant de m�tier (�j�attends de prendre ma retraite�, nous glisse-t-il), Abderrahmane Bekhti a de nombreuses expositions � son actif. L�occasion pour le public de d�couvrir un peu plus un artiste peintre � tendance surr�aliste et qui r�ve de voir un jour la peinture devenir �un objet de consommation�.