Par Mohamed Safar-Zitouni Je d�cide de marcher, toujours en plein milieu de la route, et essaye de retrouver, peu � peu, ma respiration. La route est droite et large en cet endroit. Au bout de celle-ci, j�aper�ois une berline blanche qui aborde la descente. Je l�ve mes mains et commence � crier : �Sauvez-moi, sauvez-moi, prenez-moi avec vous�. Le v�hicule fait demi-tour et dispara�t, puis un autre, puis un troisi�me. Je ne comprends pas pourquoi les v�hicules ne s�arr�tent pas ? Je continue ma marche. Arriv� au groupement, j�entends crier de l�int�rieur de la gu�rite de l�entr�e : � �Baisse ta t�te�. Je continue ma marche. Un cri plus fort et plus insistant fuse : � �Baisse ta t�te, Bon Dieu !� Je comprends que c�est � moi que l�on s�adresse. Je me jette, � ma gauche, dans le foss� qui longe le campement et l�, en rampant, j�essaie de me rapprocher de la gu�rite d�o� partait la Voix. A plat ventre, je contr�le tant bien que mal ma respiration tout en faisant gaffe de ne pas avaler la poussi�re et les salet�s qui tapissaient le foss�. Une fois ou deux � je ne sais plus � je me suis adress� � la Voix �Pourquoi ces insultes, pourquoi ?�. Une, deux, peut-�tre trois, minutes passent. Sur ma gauche, un capitaine et cinq soldats se dirigent vers moi. �Que se passe-t-il ?� me dit le capitaine. J�explique d�une seule traite, que j��tais tomb� dans un faux-barrage, que j�ai pu sauver ma peau mais pas mon v�hicule, qu�un car de voyageurs �tait en train d��tre mitraill�, que s�ils ne faisaient pas vite, c��tait foutu. Le capitaine fait un signe aux soldats et s�escorte vers le lieu du drame, � pied, empruntant le chemin inverse de celui que je venais de faire il y a � peine quelques minutes. Apr�s le d�part des soldats, une Patrol blanche avec des �civils� � l�int�rieur freine � mon niveau. L�occupant de droite demande quelque chose � la Voix puis la Patrol d�marre en trombe. Quelques secondes apr�s, c�est un 4x4 de la gendarmerie qui passe � toute vitesse. Puis une ambulance. Puis une autre. Puis un camion de pompiers. Personne ne me voit dans mon foss�. Une voiture blanche s�engouffre dans le casernement. En sort �un civil�. Il p�n�tre dans une tente et ressort quelques minutes apr�s en �parachutiste�, une impressionnante arme de guerre sur les �paules. Rambo remonte dans son v�hicule et fonce vers le lieu du drame. Je me l�ve et me dirige vers la gu�rite. Je rep�re en bas de celle-ci, en plein soleil, une bouteille de plastique remplie � moiti� d�eau. Je la mets � ma bouche et avale en une seule gorg�e le liquide br�lant. Un �lixir, une eau de jouvence, un plaisir des sens, une �me qui revient apr�s avoir quitt� le corps. Tout cela � la fois. Dans la gu�rite, je d�couvre la Voix. C�est un adjudant de carri�re, grand, la quarantaine, compl�tement paniqu�. Me voyant appara�tre � l�entr�e, il m�ordonne de m��craser dans un des coins du minuscule espace et me lance : �On nous tire dessus, mais je ne sais pas d�o� ?� A ses c�t�s, un jeune du service national, plut�t calme, suit � la lettre ses instructions. Au risque de r�colter une balle, il ajoute un sac de sable par-ci, un sac de sable par-l� ou tente un regard � l�ext�rieur pour savoir d�o� venaient les tirs adverses. De lui-m�me, l�adjudant me demande des excuses pour ce qu�il avait dit tout � l�heure. Je fais semblant de comprendre. Dehors, les v�hicules recommencent � circuler. Je d�cide de sortir de mon cagibi. Sur le bord de la route, j�arr�te une Mazda b�ch�e charg�e d�oignons verts. Je grimpe � c�t� du chauffeur. �a pue l�oignon. Quelques dizaines de m�tres plus loin, le chauffeur s�inqui�te du peu de fluidit� de la circulation. Je lui explique la situation. Quelques minutes plus loin, la Mazda n�avance plus. Plusieurs v�hicules sont arr�t�s devant. Leurs occupants, dehors, en petites grappes, discutent. Je descends, claque la porti�re et me dirige vers l�endroit d�o� j�ai pris la fuite. La Golf n�est plus l� o� je l�ai laiss�e. Elle a �t� d�plac�e. Je la vois, un peu plus loin, en proie � des flammes dont certaines langues d�passaient la toiture. Quelques m�tres au-del�, il ne reste du car qu�une carcasse de cendres encore fumantes. Un camion des pompiers est � c�t�. Autour des deux v�hicules en combustion, des gendarmes ont dress� un cercle de s�curit� qu�ils interdisent � toute personne non autoris�e. Je m�y risque. Un gendarme m�en �loigne fermement. Dans le cercle interdit, je ne vois aucun corps de victimes. Je n�en vois pas non plus en dehors. Quant aux assassins pyromanes, �ils� ne sont plus l� depuis longtemps. C�est comme si la terre, d�un seul tenant, avait aval� tous les acteurs du drame ne laissant que le car cramoisi, la Golf en feu et Moi. Quelqu�un m�appelle par mon nom. Il reconna�t la Golf et me demande ce qui se passe. Je l�aborde, j�explique encore une fois que j�y �tais, lui demande de l�eau, verse le contenu d�une bouteille sur ma t�te, le prie de me monter � M�d�a, �vite une grappe de curieux, occupe la place du mort et demande instamment au chauffeur de d�marrer.