Par Badr�Eddine Mili Il peut para�tre, a priori, quelque peu d�suet d��voquer, aujourd'hui, la question de l�Etat national, dans une Histoire imm�diate surdimensionn�e par une mondialisation �conomique et militaire apparemment imparable. Et pourtant, par quelque bout que l�on prenne les �v�nements qui bousculent, en ce moment, le syst�me de l�Ordre et de l�Autorit� pr�valant dans le monde arabe, tout renvoie � elle et tout la place au c�ur de l�actualit� de soci�t�s d�boussol�es qui souffrent de l�inach�vement ou, pire, de l�inexistence d�un Etat national qui les aurait sauv�es du d�sastre qu�elles subissent si celui-ci avait �t� conduit au bout de son processus par des r�gimes en phase avec les aspirations de leurs peuples. Les mouvements de r�forme, engag�s ici et l�, au Machrek et au Maghreb, invariablement par�s de vertus passant pour �tre d�mocratiques, dans certains cas, impos�es de l�ext�rieur, �clairent davantage sur la pertinence et la justesse des termes avec lesquels cette question interpelle aussi bien les forces sociales que le large spectre des �lites intellectuelles et politiques agissant sur la sc�ne arabe. Contemporaine de la Renaissance europ�enne et des id�es modernes, la question de l�Etat national s�est pos�e, de diff�rentes mani�res, au sortir de la p�riode f�odale. L�Etat-Nation que la bourgeoisie fit �merger en Grande-Bretagne et en France, au lendemain de la R�volution de Cromwell de 1660 et de la R�volution fran�aise de 1789 servit de porte-�tendard au r�veil des nationalismes europ�ens oppos�s � l�Empire austro-hongrois et press�s de reconqu�rir leur identit� et de former des Etats en ad�quation avec leurs id�aux de libert� et de fid�lit� aux valeurs ancestrales, apr�s le retentissant �chec de la Commune. Le mouvement fut suivi, sous la m�me �gide, par la r�alisation tardive de l�Unit� nationale allemande et de l�Unit� nationale italienne, op�r�es, � marches forc�es, successivement par le chancelier prussien Bismarck pour l�Allemagne et par le roi Victor Emmanuel II, Cavour et Garibaldi pour l�Italie, ce qui entra�na l�Europe dans une s�rie de guerres mondiales impliquant d�autres nouveaux- venus, � la recherche de l�expansion, le Japon modernis� par le Meiji et les Etats-Unis, la nouvelle puissance montante du Nouveau Monde, un melting-pot multiculturel et multinational cr�� par les hobereaux vaincus par les R�volutions du Vieux Continent. Seules la Russie pr�-capitaliste et la Chine domin�e par le mode de production asiatique, un m�lange de f�odalisme et de communautarisme primitif, y firent exception, les deux ayant opt�, � quelques variantes pr�s, pour le communisme, l�antith�se du nationalisme, � la suite de la victoire du bolchevisme sur le gouvernement bourgeois de Kerensky et de celle du mao�sme sur le gouvernement �nationaliste� de Tchang-Ka�-Tchek, l�avatar de la r�volution bourgeoise de Sun-Yat-Sen, �touff�e dans l��uf en 1911. Au Machrek et au Maghreb o� le pouvoir �tait tribal, la maturation de l�id�e de l�Etat national attendit, pour �merger, d��tre mis � l��preuve de la colonisation. Le premier pays du Maghreb � l�avoir utilis� fut l�Alg�rie qui, d�s 1830, proclama sous la direction de l��mir Abdelkader, l�Etat alg�rien moderne dont la France dut reconna�tre la souverainet�, sur les deux tiers du territoire, dans le Trait� de la Tafna, sign� par un mar�chal Bugeaud d�fait. Pour la premi�re fois surgissait, sur une terre alg�rienne, un embryon d�Etat national dirig� par une noblesse d��p�e et de foi et inspir� de la volont� de d�fendre l�unit� du peuple et l�int�grit� du territoire dans un esprit de pr�servation et de consolidation des fondements d�un vivre- ensemble dont l�un des plus f�d�rateurs �tait un Islam de tol�rance et de progr�s diffus� par des universit�s rayonnant au-del� des fronti�res. Rien � voir avec l�Etat dit de la R�gence �rig� au XVe si�cle par Khe�reddine Barberousse, un Etat f�odal assis sur l�agriculture extensive, les grands domaines d��levage �quin et la course et tenu, d�une main de fer, par l�odjak et les janissaires turcs, aux effectifs r�guli�rement renouvel�s par Constantinople. Sans �tre une implantation de peuplement, au sens strict du terme, la pr�sence ottomane n�en rev�tit pas moins les formes d�une domination coloniale exerc�e par une classe dirigeante form�e de beys, de bachaghas et d�aghas, les piliers d�une administration de percepteurs qui opprima le peuple alg�rien selon les r�gles classiques de l�exploitation de l�homme par l�homme ; des rapports sociaux, magnifiquement illustr�s par Bachir Hadj Ali, dans sa conf�rence de 1964, sur la musique alg�rienne, par le fameux dialogue qu�il avait transcrit, dans une sayn�te fabuleuse d�expression, entre le bendir bruyant et arrogant campant le ca�d et la fl�te fr�le et chevrotante repr�sentant le khammas, le premier criant �med ! med !�, �donne ! donne !� et la seconde r�pondant �mnine ? mnine ?�, �d�o� ? d�o� ?�. Cette situation perdura et s�aggrava lorsque cet appendice de la Sublime Porte devenu puissant et auto-centr�, s��mancipa de la tutelle de cette derni�re et mena le pays � sa guise jusqu�� la bataille fatale de Navarin, o� il perdit toute sa flotte. La suite, on la conna�t... L�invasion d�clench�e par Charles X, la fuite du dey et l�abandon, sans combat, de l�Alg�rie � ses envahisseurs, exception faite de l�h�ro�que r�sistance conduite, en 1847, sur les remparts de Constantine, par Ahmed Bey, Belabdjaoui et Bena�ssa contre Damr�mont, Perregaux, Lamorici�re, Rohault de Fleury et St Arnaud, des g�n�raux aguerris, connus sur les plus grands champs de bataille napol�oniens d�Europe. Loin d��tre mise entre parenth�ses par la d�faite de l��mir Abdelkader et son exil au ch�teau d�Amboise puis � Damas, la question nationale fut reprise en main autant par les insurrections � des jacqueries g�ographiquement limit�es et sans lendemain � que par les partis � la traduction moderne de la R�sistance nationale � auxquels succ�da le mouvement ind�pendantiste r�volutionnaire incarn� par le tandem FLN-ALN qui mit un terme, par les armes, � l�occupation du pays le 5 juillet 1962. A cette date, c�est tout naturellement que l�Etat alg�rien prit, officiellement, la succession, non pas de l�Administration coloniale ou de l�Etat ottoman malgr� la communaut� de religion que celui-ci avait entretenue avec le peuple alg�rien qu�il avait prot�g� des convoitises �trang�res, cinq si�cles durant, jusqu�� la d�confiture de Sidi Fredj, mais bel et bien de l�Etat de l��mir Abdelkader dont la doctrine constitutionaliste alg�rienne avait dit qu�il r�-�mergeait d�une �clipse de 132 ans. C�est tout dire. Et de ce fait, il n�y eut aucune passation de pouvoirs avec quelque autorit� que ce soit. L�Etat alg�rien n'h�rita pas sa souverainet�, directement, du Gouvernement 0provisoire pr�vu par les Accords d�Evian et install� � Rocher-Noir (Boumerd�s) sous la pr�sidence de Abderrahmane Far�s, une personnalit� �neutre�, accompagn� par Chawki Mostefa� et Bela�d Abdeslam, les repr�sentants du FLN, mais la tint du GPRA et du CNRA, les organes ex�cutif et l�gislatif de la R�volution alg�rienne, d�positaires de la l�gitimit� populaire et de la souverainet� nationale, organes repr�sent�s par Benyoucef Benkhedda qui fit son entr�e, � Alger, � la proclamation des r�sultats du r�f�rendum sur l'autod�termination du 1er juillet 1962, malgr� la crise fratricide de cet �t�-l�. Et quoi qu�on dise des conditions al�atoires et tr�s discutables de la restauration de l�Etat alg�rien, non exemptes de graves fautes politiques qui en pervertirent le processus de refondation, il n�en demeure pas moins que c�est l�Etat national et nulle autre entit� institutionnelle qui fut, alors, install� � Alger. Le rapatriement de Syrie de la d�pouille de l�Emir, d�cid� apr�s le redressement du 19 juin 1965, par le pr�sident Houari Boumedi�ne, habit� par le credo d�un Etat qui survit aux �v�nements et aux hommes, fut, de ce point de vue, un geste tr�s parlant, doctrinalement confirm�, en 1976, par la Charte d�Alger qui rappela les r�f�rents civilisationnels et culturels du peuple alg�rien, express�ment hiss�, pour la premi�re fois, dans les textes fondateurs, au rang de Nation. R�dha Malek avait parfaitement raison de dire que la D�l�gation alg�rienne aux n�gociations d�Evian fut intraitable sur les questions de l�unit� du peuple, de l�int�grit� du territoire et de l�identit� de l�interlocuteur des autorit�s coloniales � en l�occurrence, le FLN, � l�exclusion du MNA messaliste et de toutes autres parties usurpatrices � et ne transigea sur aucune d'entre elles parce qu�elles renvoyaient � l�id�e intransgressible de l�Etat national totalement ind�pendant, contrairement � ce qui se passa avec le Maroc et la Tunisie lorsque Mend�s-France imposa au roi Mohammed V, aux n�gociations d�Aix-les-Bains, la pr�sence d�El Glaoui, le sultan imposteur et aux n�gociations avec le Destour tunisien de Habib Bourguiba, celle des repr�sentants du Bey Lamine et d�autres factions tunisiennes ; n�gociations au cours desquelles le gouvernement fran�ais ne conc�da que l�autonomie interne. La raison en est, tout simplement, qu�au Maroc et, dans une moindre mesure, en Tunisie, l�Etat national n'existait pas encore. Il �tait rest� f�odal, un conglom�rat de tribus et de forces h�t�rog�nes pr�tant all�geance, selon les int�r�ts du moment, au Makhzen ou au Beylick. Au Machrek et dans la p�ninsule arabique qui pr�sentaient la m�me configuration tribale du pouvoir, le seul pays, l� aussi, qui fit cavalier seul fut l�Egypte o� la question nationale fut, tr�s t�t, pos�e, par l�Etat de Mehemet Ali, l��manation de la bourgeoisie capitaliste �gyptienne, dont l'av�nement fut h�t� par l�arriv�e de Bonaparte au pied des Pyramides. Plus g�n�ralement, la naissance du Mouvement national au Machrek qui correspondit � la chute de l�Empire ottoman d�pec� et d�membr� entre protectorats anglais et protectorats fran�ais ne put saisir, pour des raisons plus subjectives qu�objectives, l�opportunit� de faire la jonction avec les luttes des peuples du Maghreb. L��gypte comme la Syrie et, plus tard, le nass�risme et le ba�thisme, tenaient le Maghreb pour une contr�e arri�r�e et inculte, �cart�e d�office du mouvement d��mancipation d�clench� par Orabi et Zaghloul.A peine si le second avait tol�r� l�exil de l��mir Abdelkader � Damas o� il sauva les chr�tiens d�un massacre annonc� et si le premier avait accueilli, sans grande effusion, Abdelkrim El Khettabi, le leader de la r�sistance du Rif marocain contre la colonisation espagnole. R�miniscences de la conqu�te de l��gypte par Ashnaq, le roi berb�re et des vieux contentieux fatimides, ces r�ticences vis-�-vis du Maghreb ne s�estomp�rent que dans les ann�es 50 et encore, uniquement, pour c�der le pas � des tentatives d�instaurer un tutorat sur les mouvements ind�pendantistes maghr�bins avec un accent plus prononc�, s�agissant de la R�volution alg�rienne dont la D�l�gation ext�rieure emmen�e par le triumvirat Ben Bella-Khider-A�t Ahmed, eut � subir les nuisances, � coups de manipulations et de vell�it�s de domestication. Houari Boumedi�ne, jeune �tudiant � El Azhar, eut tout le loisir d�en mesurer la suffisance et la condescendance, un enseignement qui guida maintes d�cisions et initiatives qu�il eut � prendre, plus tard, une fois � la t�te de l�Etat alg�rien. Nul n�ignore que, devant cet �tat de fait et aussi � cause de facteurs historiques ind�pendants de la volont� des uns et des autres, la sph�re g�ographique d��lection o� prosp�r�rent les mouvements ind�pendantistes maghrebins fut l�Europe, sp�cialement la Suisse, l�Allemagne, les pays scandinaves et la France o� furent cr��s et o� si�g�rent l�Etoile nordafricaine, l�AEMNA (l�Association des �tudiants musulmans nord-africains) et o� travaill�rent, �tudi�rent et s�journ�rent leurs principaux leaders Messali, Radjef, Inal, Bourguiba, Belafredj et bien d�autres. Toutes les professions de foi et les grandes actions dont la R�volution alg�rienne puis, � l�ind�pendance, l�Etat alg�rien, ont eu � soutenir, eurent pour, entre autres, mobiles, celui de r�habiliter le Maghreb face au Machrek � en fait l�Egypte et la Syrie � � commencer par la Conf�rence de Tanger de 1958 qui, forte de la communaut� de destin forg�e le 20 ao�t 1955 dans le Nord- Constantinois et � Oued Zem et ensuite � Sakiet Sidi Youcef, se fixa pour objectif prioritaire post-ind�pendance, l��dification du Grand Maghreb uni, d�j� enracin� dans l�Histoire, � travers l��pop�e des Mourabitine et des Mouahidine, les empires les plus civilis�s et les plus brillants que le Maghreb central ait connus. L�Etat national alg�rien, puissamment install� dans les ann�es 70, � la t�te du mouvement des pays non-align�s, avec une stature internationale affirm�e, r�ussit, m�me, l� o� beaucoup d�Etats arabes faillirent. Sous l�impulsion de sa direction, il d�pla�a l�axe du nationalisme arabe et le domicilia au Maghreb, � la faveur de la Guerre d�Octobre, puis des Accords de Camp David, de la cr�ation du Front de la r�sistance et de la fermet�, de la proclamation de l�Etat palestinien � Alger et du d�placement du si�ge de la Ligue arabe � Tunis sous la responsabilit� de Chadly Klibi, une premi�re dans les annales de ce club de ra�s et de rois. L�Etat national restaur� en Alg�rie, avec un arri�re- plan ind�fendable de despotisme oriental mal �clair� et d�atteintes ind�niables aux droits de l�Homme, �tait alors per�u, malgr� tout, comme l�acquis primordial le plus visible que le peuple alg�rien ait arrach�, sur un territoire �rig�, pour la premi�re fois dans son histoire, on ne le r�p�tera jamais assez, en R�publique et born� par des fronti�res sans pr�c�dent, une cible crainte et, en m�me temps, convoit�e. La mort de Houari Boumedi�ne et l�Infitah, � l��gyptienne, d�cid� par la bourgeoisie bureaucratique compradore et ses alli�s f�odaux qui trouv�rent en Chadli Bendjedid le parfait ex�cutant de leurs ambitions revanchardes, sonna le d�clin de cet Etat. Contest� par l�ex-m�tropole et ses plus proches voisins, il ira jusqu�� essuyer l�infamie de sa remise en cause et de sa d�n�gation, �branl� dans ses fondements et ses valeurs par l�islamisme arm�, hostile au novembrisme et � l'id�e m�me de Nation, allant chercher ses ordres dans les temples wahhabites de la Ouma et recrutant la jeune chair � canon alg�rienne pour alimenter les causes perdues de la r�gression en Afghanistan alors que soixante ans auparavant, Abdelhamid Ben Badis se rendait � La Meque pour y rencontrer Mohamed Abdou, Rachid Redha et Chakib Arslane pour lancer la Nahda anti-obscurantiste. La nuit et le jour ! La crise de l�Etat national alg�rien et, au-del�, des Etats nationaux du Machrek (�gypte, Syrie, Irak) rel�ve, � l�analyse, de l�impitoyable confrontation entre les forces de la R�volution et celles de la contre- R�volution. L�inach�vement de la construction de l�Etat national au Maghreb comme au Machrek, li� aux retards accumul�s du fait des contradictions, des atermoiements et des luttes de classes inabouties, a ouvert, tr�s grandes, les portes au d�ni de sa souverainet�, l�exposant au d�p�cement, comme au Soudan, ou � la disparition comme en Libye, si tant est que dans ce cas il ait, un jour, exist�, le tribalisme n�ayant jamais d�pass�, ici, le seuil de la chefferie traditionnelle. Le p�ril qui plane aujourd�hui sur le sort des soci�t�s arabes vient de ce que les r�gimes dits nationalistes auxquels elles avaient relativement fait confiance, pour g�rer leur destin, ont trahi et ont fait d�vier leur processus d��mancipation totale, en abdiquant, au nom d�int�r�ts sectaires �troits, de leur responsabilit� historique de r�aliser les aspirations l�gitimes qu�elles mirent, plus d�un demi-si�cle, � tenter de faire aboutir, en vain. L�abandon et le bradage des politiques d�int�r�t national, l�instrumentalisation du panarabisme, de la question palestinienne, la d�vitalisation du nass�risme des origines et du ba�thisme version Michel Aflak - Salah El Bitar, l�instauration d�un pouvoir dictatorial dans des r�publiques devenues h�r�ditaires, ont jet� en p�ture de tr�s larges franges protestataires � les plus fragilis�es par la pr�carit� � dans les bras de l�extr�misme, de l�intol�rance et de l�int�grisme, le degr� z�ro de la pens�e... une r�gression historique quand on se rem�more les grandes victoires progressistes remport�es par l�Alg�rie et l��gypte dans les ann�es 1960-1970. Juste une parenth�se pour faire remarquer que dans les �preuves et les combats que les soci�t�s arabes avaient connus et assum�s afin d�avancer, ce furent, souvent, ceux qu�on attendait le moins et sur lesquels l�opprobre �tait jet� qui mont�rent, seuls, sur les meurtri�res avant-gardistes.Paradoxalement, sur les questions existentielles comme la question nationale, les plus nationalistes s�av�r�rent �tre ceux qu�on pr�sentait sous l��tiquette de parti de l��tranger et ceux qui glorifiaient les constantes identitaires apparurent comme les soutiens les plus serviles de l�Occident, une vieille r�alit�, plus v�rifiable, encore, depuis la premi�re guerre du Golfe jusqu�� l'exp�dition de l�Otan contre la Libye et le forcing pour abattre, aujourd�hui, la Syrie. Non pas qu'il faille absoudre le r�gime syrien des crimes abominables qu�il a commis et continue de commettre contre son peuple pas plus que ceux commis, pendant 40 ans, par le Guide libyen contre le sien. Il est, seulement, malheureux de constater que la chance offerte par les ind�pendances aux Etats arabes de s�en sortir ait �t� lamentablement g�ch�e par des politiques �go�stes, claniques, familiales et de courte vue ; un dommage irr�parable qui fait la part belle � la th�se selon laquelle le meilleur successeur au nationalisme est l�islamisme. Les r�gimes arabes ont, longtemps, entretenu, avec le soutien occidental, cette illusion pour combattre les forces politiques populaires, focalisant la haine sur les �lites patriotiques, les montrant du doigt aux assassins, utilisant l�islamisme contre les opposants, avant que celui-ci ne soit neutralis�, dans ses manifestations contestataires les plus violentes, au lendemain des attentats du 11 septembre. Retour de boomerang : l�islamisme se requinque, rebondit, prend le train en marche et se fait passer pour celui qui a abattu les dictatures, gagnant en respectabilit�, promettant monts et merveilles d�mocratiques, dans un ordre nouveau o� l'hypocrisie morale de j�suites fait office de programme politique. Voil� l�impasse dans laquelle les r�gimes tunisien, �gyptien, libyen, y�m�nite, syrien ont fait se fourvoyer leurs peuples, le Maroc demeurant un cas � part, un Etat-Makhzen qui n�a pas pu r�soudre sa probl�matique d�Etat national, �gar� au Sahara occidental, dans un conflit expansionniste sans fin, miroitant � ses citoyens un grand Maroc chim�rique, antinomique du Grand Maghreb de Mehdi Ben Barka et de Abdelhamid Mehri, le militant sinc�re et le dirigeant d�vou� du Front national arabe, avant sa mort. On voit donc que la question de l�Etat national reflue tr�s nettement, un peu partout, dans le Monde arabe o� s�effacent, l�un apr�s l�autre, les Etats nationaux frelat�s, au profit du leadership des royaumes tribaux du Golfe qui, fonctionnant � l�all�geance, � partir d�une Histoire invent�e, ont supplant� le nass�risme et le ba�thisme, laissant entendre que ce n�est ni Oum Kalsoum, ni Abdelhalim Hafez et encore moins Kadem Essaher qui feront l�Unit� arabe mais le clerg� de l�Internationale wahhabite. La �parenth�se nationaliste� est-elle, donc, en train de se fermer comme le proph�tisent certains historiens id�ologues ? A d�faut d�y r�pondre, avec s�ret�, on peut uniquement dire que le malheur des soci�t�s arabes est de ne disposer d�aucune v�ritable bourgeoisie pour accomplir une r�volution d�mocratique, dans toute l�acception du terme, car, enfin, on ne peut, quand m�me pas, consid�rer l�islamisme compradore qui enfourche la monture sociale pl�beienne, son aire de lancement favorite, comme un parangon de d�mocratie. A moins, qu�ici et l�, on ait engrang�, en deux temps trois mouvements, les vertus du travail productif et de la tradition d�mocratique dont se pr�vaut la bourgeoisie turque qui est parvenue depuis Atat�rk, le p�re de la Turquie moderne, � imposer un mod�le d�Etat national avanc�, jalous� et redout� par la Vieille Europe, cette Europe plus attach�e que jamais � l�Etat national protecteur, elle qui s��tait fix�e, il y a 60 ans, l�objectif de construire un Etat transnational s�av�rant, in fine, impossible � greffer, en d�pit de la mondialisation et des exigences du march�. Il est tout � fait admis, au regard de tout ce qui pr�c�de, que la question de l�Etat national dans le Monde arabe restera irr�solue et en suspens tant que celui-ci ne s�est pas d�cid� � se projeter dans l�Etat de droit, la condition sine qua non de son sauvetage. Et ce ne sont pas les chim�riques parodies de �d�mocratie musulmane� jou�es, ici et l�, qui y changeront quoi que ce soit si l�on ne s�attaque pas � la racine du mal, � savoir cette paralysante coexistence entre f�odalisme, capitalisme sauvage et voie nationale de d�veloppement, entre pauvret� et opulence, entre impunit� et justice, entre patriotisme et trahison, dans une balkanisation fabriqu�e au b�n�fice d�un Isra�l, plus belliqueux et dominateur que jamais, celuil� m�me auquel les r�gimes arabes pr�sent�s, ces quarante derni�res ann�es, comme antisionistes et anti-imp�rialistes, ont donn� du grain � moudre, par leur gouvernance anti-citoyenne. En Alg�rie dont le peuple est appel� � se prononcer ce 10 mai sur un des volets des r�formes propos�es par le pr�sident de la R�publique, l�Etat national est au carrefour des enjeux que se disputent, dans une grande confusion, plusieurs forces politiques et sociales, centrifuges et centrip�tes. Dans une conjoncture difficile, compte tenu de la cascade d��v�nements s�curitaires qui touche la p�riph�rie du pays, � l�Est et au Sud, tout en s�effor�ant, � l�initiative du segment oppos� � l�ultralib�ralisme et au cartel de l�informel, de sauver les meubles, pour faire l��conomie d�une nouvelle aventure p�nible, ne parvient toujours pas � proposer � la soci�t�, en d�pit d�une relative d�faite du terrorisme, une grande cause nationale, un grand projet mobilisateur et f�d�rateur qui la pr�muniraient du danger de la discorde, voire de la dislocation. La d�pendance vis-�-vis des hydrocarbures et la vaste superficie du territoire qui font la vuln�rabilit� g�ostrat�gique et �conomique de l�Alg�rie sont connues des grandes puissances. Et le peuple alg�rien en sait quelque chose, lui qui avait accept�, � son corps d�fendant, quand le pays fit faillite dans les ann�es 90, de passer sous les fourches caudines d�un FMI carnivore, ce m�me FMI qui vient, aujourd�hui, le caresser dans le sens du poil, en demandant � son gouvernement de contribuer au financement de ses d�ficits. Le pouvoir n�a, apparemment, pas tir� toutes les le�ons de ce triste �pisode, en persistant � maintenir le cap sur les m�mes politiques, jouant sur les recettes d�un keyn�sianisme �cul�, pr�servant les �quilibres macro-�conomiques sans les traduire par une redistribution �quitable des ressources nationales et, mieux, par une strat�gie audacieuse de croissance industrielle auto-entretenue qui associe un patronat priv� authentique, pas celui qui sous-traite pour le compte des �conomies �trang�res. Frileux, amateur des demi-mesures, au lieu de s�appuyer sur ce qu�il y a de meilleur en lui et de construire quelque chose de plus grand que soi, � la hauteur des esp�rances de la Nation, il se m�fie encore de l�alternance politique, de l�ind�pendance de la justice, de la libert� d�expression et semble trouver tout � fait normal de fermer les yeux sur les r�elles intentions des partis de la r�gression et des pourvoyeurs des r�seaux de la corruption qui sont, en ma�tres-tartuffes, les premiers � d�noncer la corruption. Bien s�r, il ne viendrait � l�esprit de personne de nier que l�Alg�rie de 2012 n�est pas celle des ann�es 1950. En ces ann�es-l�, les Alg�riens avaient une esp�rance de vie de 40 ans, se chauffaient au charbon, s��clairaient au quinquet, mouraient de paludisme et de tuberculose, se nourrissaient de glands, d�olives et de figues, fr�quentaient rarement l��cole et se d�pla�aient � dos d��ne. Il est � mettre � l�actif de l�Etat national et des ressources naturelles du pays toutes les conqu�tes qui font qu�aujourd�hui les Alg�riens vivent, en moyenne, 75 ans, vont � l�universit� en grand nombre, disposent d�un grand parc de voitures, font leurs courses dans les sup�rettes, empruntent l�avion, voyagent � l��tranger et s�adonnent, de plus en plus, aux loisirs. C�est, peut-�tre, l�, une comparaison sch�matis�e mais elle a l�avantage de fournir des rep�res fiables pour mesurer le chemin accompli plus cons�quent que celui effectu� par le Maroc, la Tunisie, et m�me l��gypte, selon les rapports annuels des institutions sp�cialis�es de l�ONU. Mais, l� o� le b�t blesse, c�est qu�on aurait pu mieux faire. En 1967, le premier pr�-plan triennal, �labor� par l��quipe de Abdallah Khodja, le futur secr�taire d�Etat du gouvernement Boumedi�ne, envisageait de d�passer le niveau du d�veloppement de la Bulgarie, le mod�le des pays socialistes et celui de l�Espagne franquiste, le nouveau dragon de l�Europe ; un objectif rest�, malheureusement, sans suite. Si en 1950, un Alg�rien pouvait �tre, au mieux, un mineur � Ouenza ou dans les houill�res du nord de la France, au pire, un for�at d�port� � Cayenne ou de la chair � canon export�e en Indochine, en 2012 l�Alg�rie en est encore r�duite � comptabiliser le nombre de ses jeunes qui ne trouvent d�autres choix que de s�immoler ou de s�ab�mer dans les noires abysses de la M�diterran�e. Tragique destin pour un pays qui poss�de tout pour devenir ce que la Proclamation du 1e -Novembre voulait qu�il f�t, au lieu d�emprunter des chemins de traverse qui le nivellent par le bas, d�pr�cient ses valeurs fondatrices et offrent, g�n�reusement, des primes � la m�diocrit� d�une classe politique o� le n�potisme et le client�lisme des fratries concurrencent l�effronterie, o� les vieux canassons de retour se ruent sur les mangeoires de la R�publique et o� le vocabulaire fleuri des boudoirs de Mme Claude tient lieu de discours politique quand d�autres insultent le peuple en le comparant � une marionnette vou�e � la fatalit� du bendir et du gourdin, la victime id�ale des moqqadems des zaou�as, l�ancien auxiliaire id�ologique du colonat. Ceci dit, et quoiqu�on puisse reprocher aux moyens utilis�s pour le construire avec tous les retards accumul�s sur la voie de son aboutissement, l�Etat national doit �tre encourag� et press� de se d�passer parce qu�il est la finalit� de la R�volution de Novembre et doit �tre, � ce titre, actualis�, parachev� afin que l�Alg�rie acc�de au cercle des pays �mergents, forte, souveraine, juste, d�mocratique, cr�dible ; une mission, pour ainsi dire, sacr�e. Le Br�sil et l�Afrique du Sud sont-ils meilleurs qu�elle ? Si on se souvient, un tant soit peu, que c�est notre pays qui les avait aid�s, au temps de sa splendeur, � s�engager dans la voie de la lib�ration finale, la r�ponse est �videmment non. Que l�on reconnaisse, au plus haut niveau de l�Etat, que l�Alg�rie n�a �t� gratifi�e, depuis l�ind�pendance, que d��lections � la Naegelen est m�ritoire et renseigne sur la capacit� de se remettre en question et de rectifier la trajectoire d�vi�e, sur laquelle l�Etat national a �t� aiguill�, intentionnellement ou pas, consciemment ou non. Il faut tirer de ce jugement de valeur tous les enseignements appropri�s mais pas seulement. Il faut r�unir toutes les conditions politiques, imm�diatement op�rationnelles, pour passer � la vitesse sup�rieure et ouvrir, sans y �tre contraint par la violence, les voies du pouvoir aux �lites porteuses d�un projet de soci�t� moderne o� la valeur travailrecherche et la moralisation de la vie politique occuperont une position centrale. Ce sera l� un programme lourd � ex�cuter pour ceux qui connaissent les pesanteurs plombant l�administration et la soci�t� elle-m�me, inhib�e, dans certaines de ses composantes, par le conservatisme et l�ignorance. Que penser d�une soci�t� qui ignore encore son Histoire comme � l��poque de l�occupation o� il avait fallu attendre le Centenaire de la colonisation pour prendre connaissance, enfin, en langue arabe, de la premi�re �Histoire de l�Alg�rie contemporaine� r�dig�e par Moubarak El Mili, le co-fondateur de l�Association des ul�mas alg�riens. Les chantiers de l�Alg�rie nouvelle sont parfaitement identifi�s. Il s�est publi� tellement d��tudes, d�ouvrages, de contributions, de d�bats, � ce sujet, que les �cueils qui obstruent la voie ne sont plus un myst�re pour personne. Et c�est parce que la t�che ne sera pas de tout repos, que tous les partenaires de cette indispensable entreprise de rel�vement et de r�forme de l�Etat national n�ont qu�� se mettre au travail, d�abord, pour assurer aux maux qui minent ce dernier une r�mission irr�versible. Une fois ce seuil franchi, on pourrait se payer le luxe, pour satisfaire ceux qui le revendiquent � cor et � cri, depuis des lustres, de proclamer la 2e, la 3e et pourquoi pas la 7e R�publique, mais, l�, n�est, �videmment, pas l�essentiel. Dans �L��lection d�un roi�, son dernier ouvrage sur les pr�sidentielles fran�aises, le correspondant de la RTBF belge � Paris, a compt� qu�en 150 ans, la France a �t� gouvern�e, apr�s la R�volution de 1789, par deux monarchies, un Consulat, deux Empires, cinq R�publiques et entre-temps un Etat, celui que P�tain pr�sida en 1940, apr�s la capitulation fran�aise face � l�Allemagne nazie, soit 11 r�gimes successifs. Le r�sultat est que tous ont pass� la main alors que la d�mocratie et les valeurs de la R�publique, l'h�ritage de la R�volution, ont surv�cu � leurs vicissitudes Comme quoi, il ne s�agit pas de rafistoler la fa�ade quand ce sont les fondations � l��cole, la justice, l�entreprise, la chose publique � qui ont besoin d��tre valoris�es en tant que socle et ciment de la modernit�. La soci�t�, dans ce qu�elle a de plus �clair�, observe la conjoncture actuelle avec beaucoup de circonspection. Elle �value les d�fis et les priorit�s avec un grand discernement et r�agit, sainement, selon qu�elle doive reconna�tre les m�rites ou d�noncer les politiques de l�embrouille et du mensonge. De la m�me fa�on que les jeunes Alg�riens n�h�sitaient pas, en 1951, � vider, � coups de couteaux, les sacs de semoule et les sachets de bonbons que les candidats de la F�d�ration des �lus francophiles venaient distribuer � Aouinet-El-Foul et dans la M�dina de Constantine pour les inciter � voter, � l�appel de Naegelen, montrant qu�ils n��taient pas dupes de la tentative de corruption de leurs suffrages, les jeunes d�aujourd�hui font preuve de la m�me vigilance en �tablissant la diff�rence entre le bon grain et l�ivraie, le vrai et le faux. Ils appr�cient les programmes des uns et des autres, � l�aune de la raison, relevant, sans trop caricaturer, que ce sont ceux qui ont sign� le protocole d�accord avec les observateurs de l�UE qui crient � l�ing�rence �trang�re, que d�autres n�ont pas trouv� mieux que de promettre aux Alg�riens de leur faire importer des v�hicules d'occasion, comme si le peuple ne m�rite que la quincaillerie et les produits subalternes des contenairistes et qu�enfin, les derniers d�clarent, sans rire, que l�Alg�rie poss�de suffisamment de cadres pour g�rer 16 Etats, sans parler des propositions farfelues des racoleurs � la petite semaine. De ce fatras d�amateurisme de n�ophytes imposteurs, les Alg�riens n�ont retenu qu�une chose : le poids de l�argent sale qui risque de tuer le match, en imposant sa loi d�airain. Pour pr�venir ce risque qui d�voierait la vocation de la prochaine Assembl�e nationale populaire appel�e � r�diger la nouvelle Constitution, les forces sociales conscientes devraient r�ussir � maintenir les soupapes vitales de l�Alg�rie, grandement ouvertes, pour ne pas laisser le hasard et l�infantilisme s�emparer de leur destin et d�cider de leur avenir. De toutes les fa�ons et qu�� Dieu ne plaise, � supposer que l�islamisme politique soit adoub� par un scrutin libre, il devrait prouver, d�s le d�part, qu�il est soluble dans la d�mocratie, qu�il accepte la r�gle de l�alternance dans les faits, et non par des d�clarations de circonstance et qu�il consente, s�il dispose d�une majorit�, � gouverner avec les autres familles politiques, dans l�int�r�t bien compris de l�Etat national ; ce dont beaucoup doutent. Les aggiornamentos arabes, en cours, seraient, en effet, dans cet ordre d�id�es, les bienvenus, si leurs nouveaux dirigeants n��taient pas tent�s de remplacer un monopole par un autre et une dictature par une autre, une d�marche rampante qui propose une moralisation de bigots dont le premier � devoir profiter serait, non pas la soci�t�, mais l�Etat appel�, par tous, � d�montrer son exemplarit�. Mais gare � l�ang�lisme en politique qui conduit immanquablement � la compromission et � la r�signation des soumis, la meilleure fa�on de contribuer � affaiblir le front int�rieur. Sans vouloir jouer sur les peurs et apporter de l�eau au moulin de ceux qui les agitent pour perdurer, n�oublions pas, et l�Histoire r�cente ne cesse de nous le rappeler, que le peuple peut �tre amen� � se tromper dans ses choix, tout comme les �lites peuvent, d�lib�r�ment, tromper le peuple. L�Alg�rie est dans ce sc�nario oblig�e de faire avec des processus impr�vus et incontr�l�s. Les Etats-Unis et Isra�l, avec le concours de la t�te de pont que sont les royaumes du Golfe, pr�parent une attaque contre l�Iran pour d�truire son syst�me de d�fense militaire, une �ventualit� que Fidel Castro a d�taill�e, dans un SOS path�tique, publi� par la presse internationale en mars dernier. Au Sahel, des forces occultes sont en train de d�stabiliser les maillons les plus faibles de la r�gion, avec l�intention inavou�e de fixer le potentiel de l�Alg�rie et de lui faire jouer, � ses frais, un r�le de gendarme suppl�tif ; tout pour freiner, sinon stopper la progression des Etats nationaux contre lesquels l�Occident et Isra�l ont gard� une dent incisive pour avoir fait partie du Mouvement des pays non-align�s, nou� une solide amiti� avec l�ex-Union sovi�tique et soutenu, inconditionnellement, la lutte du peuple palestinien pour son droit � l�autod�termination, rien qui ne se paye, un jour ou l�autre, ainsi que l�ex-Yougoslavie, l�Iraq et la Libye en ont fait les frais, ces 20 derni�res ann�es. La conjuration de ces p�rils n�est pas une mince affaire. Les Etats qui veulent y faire face, avec d�termination et efficacit�, doivent r�gler les probl�mes de leurs peuples et pr�senter un front int�rieur uni, sans faille. Telle est la gageure � laquelle l�Etat national alg�rien est confront� � la veille d�un 10 mai qui co�ncide avec la comm�moration de la grande Intifada populaire de 1945. Cet Etat est oblig� de n�gocier un virage tr�s d�licat de son Histoire, sachant qu�il a �puis� tous ses fonds de commerce traditionnels dont il m�susait, pour ne pas muer de fond en comble, et que l�heure de v�rit�, dans un sens ou dans un autre, va sonner. Pacifiquement, avec dignit�, avec de la hauteur, le d�passement de soi et le souci de l�int�r�t sup�rieur de la Nation, il dispose encore d�un volant souple et d�une latitude d�action suffisante pour assainir ses compartiments les plus malades, �laguer ses branches mortes et permettre aux jeunes pousses de prendre de la vigueur et d��tre les meilleurs successeurs, ceux auxquels �choit la mission exaltante de mener le pays vers le salut puis de faire d�marrer, sur les bases les plus profitables � tous les peuples de la r�gion, le Grand Maghreb uni, la clef de l�avenir, la seule qui fera assimiler, sans trop de pr�judices, les exigences de la mondialisation, dans une M�diterran�e autour de laquelle plusieurs pays riverains connaissent des reclassements douloureux ; des reclassements que le philosophe fran�ais Michel Serre a qualifi�s, dans son dernier ouvrage intitul� La petite poucette, de facteurs devant appeler � l�anticipation, dans un contexte marqu�, contradictoirement, par le raccourcissement du temps moderne d�un c�t� et, de l�autre, par l�allongement consid�rable de la vie des g�n�rations. A charge pour les Etats nationaux du Machrek � du moins pour ceux qui y auraient acc�d� en tant que locomotive comme l��gypte, la Syrie et l�Iraq, r�habilit�s et lib�r�s du pouvoir des castes internes et de la chape �trang�re � de construire, de leur c�t�, un ensemble r�gional viable avec lequel le Grand Maghreb uni traiterait sur un pied d��galit�. Chacun y jouera son r�le dans le respect de la sp�cificit� nationale des uns et des autres. Les peuples et l�Histoire y trouveront leur compte.