Des r�volutions improvisatrices, un peu �chevel�es qu�a v�cues le monde arabe, que reste-t-il aujourd�hui ? Une impression d�inachev�, un malaise et des interrogations. Le d�senchantement au go�t de cendre a dissip� les r�ves et les espoirs fous n�s dans les jardins de jasmin. Et pourtant... Pourtant, il s�est bien pass� quelque chose ? �A terrible beauty is born�, ose m�me la r�alisatrice et productrice tunisienne Hejer Charf citant un vers de Yeats. A Tunis, les lampions de la f�te du 14 janvier 2011 sont �teints. Pendant ce temps, place Tahrir au Caire ne susbsiste aucune trace des maisons de l�avenir �rig�es par les foules chaudes et joyeuses. Gueule de bois et incertitudes des petits matins ont succ�d� � l�ivresse de l�action. Mais �une beaut� terrible est n�e� de ces amours inabouties, c�l�br�es dans d��tranges noces. Et Hejer Charf, pr�cisant sa fulgurante intuition, reprend Friedrich H�lderlin, �crivain allemand, mort fou, qui disait : �L� o� cro�t le p�ril, cro�t aussi ce qui sauve.� Ainsi en est-il des soci�t�s arabes agit�es de bruissements qui ne sont perceptibles que par ceux qui savent �couter. Des auteurs qui ont sans doute � l�esprit le mot de Nietzsche : �Si ton �il �tait plus aigu, tu verrais tout en mouvement : comme le papier enflamm� se d�forme, ainsi toute chose se d�fait et se d�forme.� L�essai, qui vient de para�tre aux �ditions Chihab, sous la direction de Wassyla Tamzali, replonge le lecteur en plein c�ur de ces mouvements, si g�n�reux que tout le monde s�en m�fie d�sormais. Regards pluriels qui, souvent, vont de l�autre c�t� du miroir que ces Histoires minuscules des R�volutions arabes. En tout, quarante-et-une plumes ac�r�es. Comme un coup de couteau, elles d�brident la plaie ou cr�vent l�abc�s. Elles d�voilent, au plus intime, des v�rit�s que seule la litt�rature peut r�v�ler. Ce sont l�, rassembl�s, des �crivaines et �crivains de diff�rentes nationalit�s (notamment alg�rienne) et bien connus pour leurs travaux dans des disciplines aussi diverses que la litt�rature, la m�decine, la philosophie, la psychanalyse... Des auteurs aux subjectivit�s, sensibilit�s et techniques d��criture diff�rentes mais qui partagent une vision atemporelle des �v�nements. Ils livrent donc des fictions o� chacun d�veloppe sa propre d�marche esth�tique, au gr� de son imaginaire et selon ses outils d�analyse. Dans ce recueil, ils se sont tous engouffr�s dans la �b�ance� (le mot est de la Marocaine Nadia Tazi) ouverte par ces �r�volutions� in�dites, � la fois porteuses d�esp�rances et de p�rils. Et ils sont descendus au c�ur du volcan, parfois par le truchement des personnages anonymes qu�ils mettent en sc�ne. Ces h�ros-l�, bien s�r, sont vrais et attachants car profond�ment humains. Tout cela dans un langage tendre ou f�roce (ah ! ces mots crus qui risquent d�indisposer les bigots), o� l�humour et l�impitoyable lucidit� le disputent au r�alisme du reportage. Wassyla Tamzali l�explique d�ailleurs bien dans sa pr�face : �Pourquoi choisir de raconter des r�volutions par des histoires singuli�res ? Parce que les r�volutions sont arriv�es par la gr�ce de h�ros minuscules.� A contre-courant de l�histoire officielle, il y a l� l'�pop�e des humbles. �Pour de nombreux h�ros minuscules de ce livre, ajoute-t-elle, c�est un commencement. C�est la premi�re fois que l�une fait l�amour, que l�autre parle...� Dans ces r�cits flamboyants d�audace, il appara�t combien les choses bougent dans le monde arabe, d�abord au plus intime des �tres. D�o�, aussi, leur int�r�t m�moriel : les traces de ce qui fut et qui, d�j�, navigue vers demain. Parmi les �l�ments r�v�l�s (et que Wassyla Tamzali dit n�avoir pas pr�vus), il y a notamment �la pr�gnance si forte du sexe, et par quoi il se traduit souvent dans nos pays : la haine des femmes�. Ce qui a �t� mis en lumi�re, c�est bien cette �connivence de la violence sexuelle et de l�exercice du pouvoir�, et cela �nous propulse au c�ur de la machine politique arabe. Machine � broyer�. Le voyage initiatique auquel le lecteur est invit� lui fera d�couvrir des r�cits somptueux, d�une insolente beaut�. Avec Nourredine Sa�di, il se laissera tenter par �la chair comme tapis de pri�re sur un corps nu�. Ou alors, il se fera prendre par la main, et l��gyptienne Fawzia Assaad l��mm�nera place Tahrir partager l��motion de ce tr�s vieux Cairote qui r�ve de rena�tre enfant... A d�faut, il pourra toujours savourer le texte superbe de Yanis Koussim en proie, lui, � une �rage muette� qui ne sort pas. Tous ces auteurs, cependant, lui feront go�ter les �printemps qui naissaient dans les jardins du soir� : Waciny Laredj, Wahiba Khiari, Nadia Tazi, Mohamed Kacimi, N�dra Bensma�l, Hyam Yared, Mich�le Perret, Shahira Mehrez, Tewfik Far�s, Mich�le Fitoussi, Sofia Djama, Hejer Charf, N�dra Ben Sama�l, Rachid Benzine et tous les autres. Dans cet ouvrage tapiss� de sentiments et d'�motions, le lecteur est transport� comme dans un bateau ivre. Des histoires majuscules en fait et qui l�entra�nent dans cette spirale de sensations que seuls les subtils cocktails peuvent procurer. Son plaisir en sera d�cupl�. Hocine T. Histoires minuscules des R�volutions arabes, sous la direction de Wassyla Tamzali, Chihab �ditions, Alger 2012, 362 pages, 800 DA.