[email protected] La mode AKP est la derni�re version d�une doctrine qui ne cesse de muer pour s�adapter � l�histoire. Tant�t c�est la mode Ibn Taymia ou El Mawdoudi, tant�t celle de Qichq, Sayed Kotb, El Benna, Qaradawi, Ben Baz et m�me des grands terroristes qui s�improvisent pr�cheurs comme Ben Laden ou Al-Zawahiri. Et puis est arriv� Erdogan ! Depuis la rencontre en 1953 de Sa�d Ramadan, le second de Hassan El Benna, avec Talcott Seelye, diplomate am�ricain en poste en Jordanie, les Etats- Unis ont r�ussi � avoir les Fr�res musulmans comme alli�s contre Nasser et contre l��tablissement de r�gimes communistes ou socialistes au Moyen-Orient. Les Etats-Unis ne cessent d�utiliser l�islamisme (qui a fait beaucoup de petits) contre les pouvoirs progressistes, et favoriser des r�gimes � la solde. Aujourd�hui, ils instrumentalisent l�Islam contre l�Islam, dans le m�me but, toujours pour la promotion de leurs int�r�ts, notamment la vente d�armes et la survie du complexe militaro-industriel. La Turquie, l�Arabie Saoudite et le Qatar se pr�tent parfaitement � ce jeu qui met un peu de piquant dans le vie d�Erdogan qui se voit � la fois investi d�une mission nationale et d�une autre internationale, quitte � faire tomber au passage des r�publiques s�culaires et la�ques et causer des drames par centaines de milliers, si ce n�est par millions, en Libye, en Syrie et ailleurs. Depuis quelque temps, les Am�ricains et tous les atlantistes disent que l�Islam ne doit pas �tre exclu de la sph�re publique, qu�il peut servir pour la coh�sion sociale et tutti quanti. Ils ne disent pas islamisme mais Islam, alors que cette religion joue ce r�le depuis quatorze si�cles d�j�. En fait, ils veulent que l�Islam soit remplac� par l�islamisme et, au lieu de maintenir la paix et la stabilit� politique et sociale, cela engendre ce qu�ils appellent le chaos cr�ateur, �fawdha khallaqa�, comme si le chaos pouvait �tre b�n�fique. D�autres �th�oriciens� ne l�appellent pas �chaos cr�ateur�, mais �r�gression f�conde� et dont le principal d�fenseur est Fran�ois Burgat, politologue fran�ais et directeur de recherche au CNRS, qui cherche � �humaniser� la doctrine fasciste de l�islamisme. Pour lui, l�islamisme ne serait rien d�autre que �l�usage du lexique musulman dans la sph�re politique� ! Consid�re-t-il donc comme politiquement normaux le vitriolage de femmes, l�imposition du hidjab, l�assassinat des adversaires, l�accaparement du pouvoir et le refus de l�alternance ? Burgat pense que pour acc�der � la modernit�, les peuples musulmans devraient au pr�alable revenir � l�aube de l�humanit� et repasser par les m�mes phases historiques telles que d�finies par Auguste Comte, � savoir la phase th�ologique, la phase m�taphysique pour, enfin, acc�der au stade positif, soit lorsque l�Occident nous aura d�pass� de milliards d�ann�es. Cette th�orie raciste, qui ferait honte m�me � Gobineau, est malheureusement reprise par un auteur alg�rien qui s�en attribue m�me la paternit� et pour qui les musulmans seraient condamn�s � subir, des si�cles ou des mill�naires durant, une phase de transition dans la boue islamiste. Pour nous persuader de la n�cessit� de notre retour � des �ges primitifs, d�autres adeptes de la �r�gression f�conde � donnent des exemples prouvant que l�octroi d�une certaine place � la religion n�est pas un danger pour la d�mocratie. Comme exemples, ils citent des partis politiques se r�f�rant au christianisme (d�mocratie chr�tienne en Italie, Allemagne, Autriche, Finlande, Afrique du Sud�) Or, la d�mocratie chr�tienne n�insiste que sur l�autorisation de l�enseignement confessionnel, le r�le de la famille et la dimension spirituelle de l�individu, contrairement � l�islamisme qui est une instrumentalisation malsaine de la religion et vise l�accaparation du pouvoir dans le cadre d�un califat qui rejette les principes des �lections, de l�alternance au pouvoir, du droit � l�opposition et � la libert� de conscience. L�islamisme vise le retour aux archa�smes et se d�finit d�embl�e comme antid�mocratique car il s��rige comme unique d�tenteur du pouvoir terrestre. Les exp�riences de tol�rance religieuse ou inter-religieuses, les terres musulmanes les ont connues aussi, bien avant l�Occident ; or, � cette �poque-l�, il s�agissait de musulmans au pouvoir et non d�islamistes au pouvoir. A part la Turquie o� la d�rive du Parti de la justice et du d�veloppement (AKP) de Tayyip Erdogan est imperceptible car cette formation est sous contr�le d�une Constitution la�que(1), tous les pouvoirs islamistes dans le monde musulman ont pris ou prennent une posture dictatoriale impitoyable comme le Hamas dans les territoires palestiniens occup�s et le Front de d�fense de l�islam (FPI) en Indon�sie. Cr�� en 1988, le FPI fait r�gner le �droit musulman� par le biais d�une branche paramilitaire redout�e pour ses raids dans les bars et autres lieux �de perdition�, qui autorise l�excision, et dont les �mules viennent, en juin dernier, d�interdire � Lady Gaga de faire un concert � Djakarta. C�est dans cet environnement r�trograde qu�Erdogan veut s�imposer, en tablant sur un islamisme � la mode ottomane concoct� � des feuilletons aux �khanou� pulpeuses en foulard multicolore et jupe serr�e. En Tunisie, l�islamisme ottoman sans burqa a fait des �mules, dont Ghannouchi d�Ennahda qui ne cesse de pr�cher la mod�ration mais dont d�autres d�clarations sibyllines prouvent que le subterfuge AKP soluble dans la d�mocratie et m�me dans la la�cit� ne sert que de couverture en attendant l�heure fatidique. L�un des lieutenants de Ghannouchi, Hamadi Jebali, donnait comme preuve de sa sinc�rit� d�islamiste-respectueux-dela- d�mocratie le fait que sa fille ne portait pas le voile ! Ennahda se dit tol�rant sans pour autant condamner les troupes salafistes qui ont tent� d�incendier le si�ge de la cha�ne Nessma, qui ont d�ploy� des embl�mes noirs � la facult� de Manouba de Tunis, qui viennent de fermer plusieurs dizaines de bars � Sidi Bouzid, de saccager une galerie d�art � la Marsa et un tribunal � Tunis entre autres faits �djihadistes �. Tant�t rassurantes, tant�t inqui�tantes, les d�clarations islamistes alternent le chaud et le froid, dans un discours � double vitesse, l�une en direction des troupes afin de les rassurer qu�ils n�ont pas chang� de cap, et l�autre afin de tromper les adversaires qui ne les croient plus sur parole tant les mensonges sont nombreux. De Marx � l�islamisme au pays d�Atat�rk Ainsi donc, les islamistes de Tunisie oublient la tradition islamique du pays ainsi que son illustre Zeitouna. S�appr�tant � importer un �ni�me int�grisme, ils se tournent d�sormais vers Ankara, car les modes venues d�Arabie Saoudite et d�Iran ne lui suffisant pas. C�est par le biais du transitaire Ennahda que l�op�ration veut se faire, via ce m�me parti qui a rafl� la mise � l�issue des �lections de l'Assembl�e constituante du 27 octobre 2011 avec 41,7% des suffrages. En s�alliant au parti du Congr�s pour la R�publique de Moncef Marzouki pour gouverner, Ennahda n�a pas d�autres choix que les concessions et le double langage mais qui ne trompent gu�re quant � ses vis�es � long terme. Cependant, tout comme l�islamisme turc qui ne d�passe pas les lignes rouges de la Constitution, il n�est pas dit qu�Ennahda de Ghannouchi pr�f�rerait le rigorisme � la prise en compte des besoins objectifs du pays, notamment dans le secteur du tourisme qui ramenait plus de sept millions de visiteurs du temps de Ben Ali. Le pragmatisme de la gouvernance contraint les islamistes tunisiens � accepter la vente et la consommation de l�alcool, car le tourisme emploie plus de 400 000 travailleurs. La �r�volution du jasmin � a eu lieu pour un changement vers le progr�s, pas vers la r�gression, mais les radicaux s�accrochent toujours au salafisme tant qu�ils n�ont pas re�u ordre de formater leurs cerveaux ou de guerroyer, mode wahhabite contre mode ottomane. Peut-�tre m�me applaudiraient-ils les pr�ches du bey Erdogan � condition qu�il investisse en dollars pour faire reculer les tentations immolatrices de la mode Bouazizi. Lors de son voyage en �gypte en septembre 2011, le Premier ministre turc Tayyip Erdogan a promis de porter les transactions commerciales bilat�rales de 3,2 milliards de dollars en 2010 � 5 milliards en 2013 et � 10 milliards en 2015, et d�accro�tre les investissements turcs au pays des Pharaons de 1,5 milliard � 5 milliards de dollars. La vente concomitante de l�islamisme turc et des �changes �conomiques semble �tre la caract�ristique de la diplomatie n�o-ottomane. Atat�rk est en train d��tre enterr� sous de nouveaux march�s concurrentiels, lui qui n�a d�ailleurs jamais servi comme mod�le aux Etats arabes modernes qui lui pr�f�raient Marx, Nasser, Che Guevara et Michel Aflak. La vengeance ottomane contre la trahison arabe qui leur a, sous certains cieux, pr�f�r� Lawrence d�Arabie vientelle par Erdogan ? S�ils prenaient le pouvoir � eux seuls, pr�sidence incluse, les islamistes �gyptiens pourraient-ils g�rer le pays alors que certains radicaux pr�nent la s�paration des sexes m�me dans les cimeti�res en appelant, selon Egypt Independent, � ce que les femmes et les hommes soient enterr�s dans des endroits s�par�s ? Ils ont r�colt� 65% des suffrages aux derni�res l�gislatives, mais l�arm�e leur a coup� l�herbe sous les pieds en invalidant ces r�sultats, dans l�espoir que les prochaines �lections l�gislatives seraient au profit des d�mocrates, et afin que les islamistes ne contr�lent pas toutes les instances. Ceux qui �laborent un programme sur la base d�une �obsession du corps f�minin� veulent aussi �interdire les visites de sites arch�ologiques o� les statues sont nues�! alors que l��gypte emploie environ 12% de la population dans le secteur touristique, qui est la premi�re source de devises du pays, avec 14 milliards de dollars en 2010�. D�apr�s l��crivaine Fatma Naout, le programme islamiste consiste en une id�e et une seule id�e, �� savoir qu�une femme n�est qu�un corps, une enveloppe charnelle non dou�e de raison, un instrument de plaisir, un foyer de tentation ambulant�. Depuis le flashage de leur cerveau � l�image d�Erdogan, ces h�r�tiques pr�tendent que leur programme a mu�, comme si une hy�ne pouvait devenir une gazelle. Leur doctrine � base d�amulettes ne r�alisera aucun miracle ; bien au contraire, elle affamera les peuples. Mais cela leur importe peu. Pour eux, seul compte le koursi, et se prendre pour des Omar Ibn Khettab, croyant que l��conomie consiste � d�biter des versets. Adepte du califat, la cit� mythique qui garantit paradis sur terre et �den dans l�au-del�, le candidat islamiste � la pr�sidentielle �gyptienne, le sieur Abdel Moneim Abou El-Fotouh, grand mod�r� devant l�Eternel et nomm� �l�Erdogan �gyptien�, ne trouve pas mieux qu�une parade pour r�pondre sur ce qu'il ferait en mati�re d'art, de musique, de cin�ma et de libert� d'expression s'il �tait �lu : �Ces choses seront toutes trait�es conform�ment � la Constitution, aux lois et devant la justice.� �L�Erdogan �gyptien� nie d�embl�e la libert� d�expression et de cr�ation : il veut pr�sider un pays alors qu�il ne sait m�me pas que la culture est un secteur �conomique qui ram�ne beaucoup de devises � l�Egypte, entre films et arts lyriques, sans compter les mus�es et les pyramides ! Tout aussi farfelues sont les contradictions du nouveau pr�sident, en l�occurrence le Dr Mohamed Morsi, chef du Parti de la justice et de la libert�, �galement laur�at d�un Ph.D en engineering de l�Universit� de Southern California en 1982. Peu importent les contradictions pour Morsi, les dipl�mes n�interdisant pas la b�tise, apparemment autoris�e en politique : �Il n�existe pas quelque chose qui s�appelle d�mocratie islamique. Il n�y a que la d�mocratie.� G�nial ! On ne voit donc pas pourquoi il court derri�re un projet fondamentaliste antinomique avec la d�mocratie ! Avant les �lections, Morsi appelait les responsables isra�liens �vampires� et �assassins�, mais juste avant les pr�sidentielles, il a affirm� � CNN vouloir maintenir le trait� �gyptoisra�lien de 1979, celui-l� m�me qui a valu son assassinat au pr�sident Sadate ! Incroyable : un si�cle durant, les Arabes n�ont pas essay� d�importer la la�cit� du pays d�Atat�rk, et aujourd�hui, ils veulent en importer le poison mortel de l�islamisme ! A. E. T. (A suivre) Note 1 : L�AKP a d�ailleurs failli �tre dissous en 2008 pour atteinte � la la�cit�.