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ISLAMISME � LA MODE TURQUE
Luttes d�influence et commerce alg�ro-turc (5e partie)
Publié dans Le Soir d'Algérie le 01 - 08 - 2012


Par Ali El Hadj Tahar [email protected]
La mode AKP est donc le dernier avatar d�une mosa�que d�islamistes qui font le cam�l�on pour s�adapter � l�histoire.
Le Parti de la justice et du d�veloppement (AKP) du Premier ministre turc Tayyip Erdogan a s�duit bien des chefs islamistes sous les cieux d�un Maghreb qui n�a pas encore fait son deuil du colonialisme ottoman, un colonialisme sauv� par la religion de ses agents, comme si le fait d�infliger une injustice � un coreligionnaire �tait licite et n�en faisait pas un p�ch�. Au Maghreb en g�n�ral et en Alg�rie en particulier, le colonialisme ottoman reste vivace, car on enseigne aux enfants le fait que Barberousse ait chass� les Espagnols du Penon d�Alger, de Jijel et d�Oran, sans mentionner les d�g�ts que cette pr�sence a caus�s trois si�cles durant dans notre tissu �conomique et social. Par contre, dans les autres pays arabes, cette domination est d�mystifi�e, et l�on parle ais�ment � son sujet de colonisation et de crimes. En Alg�rie donc, la pilule turque mode AKP marche assez bien m�me si les scores aux l�gislatives ont �t� catastrophiques pour un fondamentalisme qui charge ses relais dans l�enseignement de demander � leurs �l�ves de faire une �recherche� ( bahth) sur Erdogan, afin de les pr�parer � accueillir le nouveau Barberousse� Or, de sauveur, Baba Arroudj est vite devenu un indu occupant qui a fait de nous des pirates, trois si�cles durant ! Preuve que l�all�geance des islamistes alg�riens au pouvoir d�Ankara est forte, il y a la r�action violente de Aboudjerra Soltani lorsque Ouyahia a d�ni� � quiconque le droit de faire �du sang des Alg�riens un fonds de commerce�, allusion � Erdogan qui avait �voqu� les crimes fran�ais en Alg�rie en r�ponse � la promulgation d�une loi fran�aise sur le g�nocide turc en Arm�nie. En d�fendant Erdogan, Soltani ignorait-il que la Turquie n�a jamais critiqu� la colonisation fran�aise depuis 1830 et qu�il est trop tard pour le faire maintenant ? La Turquie ne faisait-elle pas partie de l�OTAN qui a soutenu un colonialisme responsable de la mort d�un million et demi d�Alg�riens ? En 1830, les Ottomans sont sortis par la petite porte de l�Alg�rie, en prenant soin d�emporter leurs harems et les tr�sors. Notre pays n�ose pas qualifier ce r�gne d�injuste et de colonial : or, tout chef de parti alg�rien est suppos� avoir lu L'Alg�rie durant la p�riode ottomane de Mahfoud Kaddache, le seul historien qui est all� � contre-courant du discours officiel ! Mais Soltani et ses amis ne semblent pas s�int�resser aux livres, fascin�s qu�ils sont par les feuilletons � l�eau de rose pleins de �khanou � et de riches qui en rajoutent. Tout en se disant admirateurs d�Erdogan, Soltani et ses amis tirent � boulets rouges sur la la�cit�, qu�ils confondent avec ath�isme, par ignorance ou mauvaise foi : comment leur accorder des bons points aux couleurs d�Erdogan ? Le patron d�Ennahda, Fateh Rebiai, d�clare quant � lui que sa politique �a pour source l'islam� ; rien que �a ! Promettant une �sahwa� (�veil) dont les miracles tardent � se r�aliser en Alg�rie, Abdallah Djaballah, chef du Front de la justice et du d�veloppement (FJD), a dit que la la�cit� est �trang�re � l�Alg�rie, oubliant de mentionner au passage que sa doctrine � lui s�articule �galement autour des principes �trangers de Hassan El-Banna et Sayed Kotb et qu�elle ignore ceux de l�Emir Abdelkader ou de Abane Ramdane. Utilisant la religion comme fonds de commerce, celui qui a mis sa femme sur une liste �lectorale et envoy� ses enfants �tudier � l��tranger ne retient d�Erdogan qu�un costume cravate sans �tre capable de citer un seul nom d��conomiste, croyant qu�une fetwa puisse servir de programme et qu�une �sahwa� se fasse en r�citant des versets. Se croyant �galement investi d�une mission divine, d�s lors qu�habill� comme Erdogan, le SG d�El Islah, Hamlaoui Akkouchi, a dit : �Si Dieu conduit le peuple sur le bon chemin et choisira les islamistes, une �poque de prestige, de stabilit� et de paix l'attend. En r�alit�, l'Alg�rie est un Etat islamique par excellence. Ces pays sont remis sur les rails apr�s les d�viations qu'a commises le colonialisme. Les choix des islamistes qui se suivent dans la r�gion arabe sont une r�conciliation avec l'Histoire et un retour � une situation historique normale. � Avec le cynisme islamiste habituel, Hamlaoui Akkouchi tance les la�cs, oubliant ou ignorant qu�Erdogan venait de rappeler, en septembre 2011, en Libye, en Egypte et en Tunisie que son pays �tait une R�publique la�que et qu�il fallait respecter cette doctrine. Les fondamentalistes alg�riens ne semblent point �tre � la page, ils se contentent de r�p�ter ce que quelqu�un a dit qu�on a dit, ignorant les sources, r�p�tant les redites et d�formant les v�rit�s. Derniers de la classe en mati�re de savoir, ils se ringardisent � vue d��il et r�gressent sans s�inqui�ter m�me si cela les pousse d�une Alliance pr�sidentielle synonyme de complicit� � une Alliance verte synonyme de voie de garage. Aucun des islamistes alg�riens n�a lev� les ambigu�t�s relatives au renoncement � l'inscription de la charia dans la Constitution qui est pourtant � 90% inspir�e du Coran. Sinc�res ou insinc�res, ils peuvent aujourd�hui �voquer l�AKP et Erdogan, cela ne calmera pas pour autant les ardeurs des salafistes radicaux qui se cachent au fond de leurs troupes et qui r�clament une charia pure et dure. D�o� la m�fiance grandissante des Alg�riens qui ne leur a octroy� que quelques strapontins � l�assembl�e.
Des emplois en Tunisie et peu en l�Alg�rie
Pendant ce temps, la Turquie nous fourgue ses feuilletons et empoche aussi nos dollars en nous vendant ses exc�dents industriels et de toc. Les exportations turques vers l�Alg�rie sont pass�es de 807,1 millions de dollars en 2005 � 1,5 milliard de dollars en 2010 tandis que les Turcs importent surtout nos produits hydrocarbures, � une hauteur d�un milliard de dollars en 2010. Pr�s de 150 entreprises turques sont implant�es chez nous, et sont surtout pr�sentes dans la commercialisation de biens d��quipement et de produits alimentaires. C�t� investissements, les soci�t�s turques ciblent surtout le secteur du b�timent, et particuli�rement le programme du million de logements, mais sans cr�er des emplois en nombre appr�ciable. Or, les treize industriels turcs implant�s en Tunisie emploient 1 235 salari�s dans les secteurs de l�industrie chimique, de la m�canique, de l��clairage automobile, de l��lectrom�nager et des textiles ! C�est �galement le cas au Maroc o� plus de 75 entreprises turques sont implant�es, dont sept dans le BTP avec plus de 25 projets pour un total de 1,3 milliard de dollars. En effet, la Turquie est le deuxi�me g�ant mondial du BTP apr�s la Chine, et d�tenteur d�un march� de 3 500 projets dans 65 pays pour un �quivalent d�environ 100 milliards de dollars. Au Maroc, les entreprises turques auraient investi plus de 240 millions de dollars jusqu�� pr�sent et op�rent dans des activit�s diverses, pas uniquement le b�timent. Parmi ces soci�t�s, il y a Tekfen qui travaille avec l�Office ch�rifien des phosphates notamment pour la construction d�un pipeline de 240 km, en plus de deux usines de fertilisation pour Maroc Phosphore qui g�n�reront pr�s de 1 700 emplois, alors que la construction du pipeline n�cessitera pr�s de 700 personnes. Par contre, les Alg�riens offrent aux Turcs sans rien recevoir en retour, ni emploi ni transfert technologique. L�Alg�rie a oubli� les trois mauvais si�cles d�histoire ottomane ; or, la politique ext�rieure de l�AKP veut s�inscrire dans un m�me terreau historique fait de condescendance et de pillage. Ces donn�es, le MSP de Soltani et les autres fondamentalistes alg�riens ne les rel�vent pas. Ils ne rel�vent pas le fait que l�Alg�rie ne b�n�ficie pas d�un apport technologique et scientifique et se contente d�importer des produits fabriqu�s en Turquie ou simplement mont�es chez nous sans aucune valeur ajout�e nationale. Pragmatiques, les islamistes tunisiens et marocains veulent d�un islamisme turc � condition que la vente concomitante d�un islam AKP et des produits turcs ne se fasse pas sans transfert technologique ni cr�ation d�emplois dans leurs pays respectifs. Le chef d'Ennahda, Rached Ghannouchi, fait lui aussi l�apologie de l�islamisme � la sauce ottomane. Ghannouchi est celui-l� m�me qui a �t� condamn� pour terrorisme � onze ans de prison en 1981, qui fut graci� par Zine el-Abidine Ben Ali en 1988 apr�s avoir promis le rejet de la violence, et qui complotera encore une fois contre l�Etat, qui le condamnera par contumace en ao�t 1992 � la d�tention � perp�tuit�. Est-il devenu sage celui qui avait �t� interdit de s�jour aux Etats-Unis et que le sp�cialiste du terrorisme, Roland Jacquard, consid�rait comme l�un des inspirateurs du terrorisme islamiste, avec Omar Abdul Rahmane, Gulbulddine Hekmatyar, Hassan Al-Tourabi et le mollah Omar ? La victoire relative d�Ennahda aux l�gislatives l�a contraint � g�rer le pays avec les d�mocrates et il renvoie � d�autres �ch�ances son projet islamiste. Ce projet est-il compatible avec les libert�s priv�es ? Ghannouchi a dit qu�il respecterait le Code du Statut personnel tunisien, datant de 1956 et fond� sur l'interdiction de la polygamie, la libert� de la femme et la parit� entre les deux sexes ; mais bien malin est le psychanalyste qui pourra d�celer le vrai du faux dans ses d�clarations. En 1989, Ghannouchi donnait une interview � l�hebdomadaire alg�rien Alg�rie Actualit� du 12 octobre 1989 o� il disait : �La soci�t� islamique est fond�e sur l�interpr�tation des valeurs organisant la vie des individus et des communaut�s. De plus, elle organise le c�t� spirituel de ces derniers. C�est pourquoi, on ne saurait concevoir de soci�t� islamique la�que, ou de musulman la�c que si ce n�est en renon�ant � ce qui est essentiel en islam. Car la foi en Dieu n�est pas essentielle en islam ; l�essentiel, c�est la foi en l�unicit� de Dieu. Par cons�quent, toute l�gislation qui s�inspire d�autres sources pourrait porter atteinte � cette unicit�. Une soci�t� ne saurait �tre islamique qu�� condition de ne pas �tre la�que et d�accepter l�unicit� de Dieu.� dans son livre, Les libert�s publiques dans l�Etat islamique, Centre d�Etudes de l�unit� arabe, Beyrouth, 1993, il �crit ceci : �Il est � noter que la plupart des Constitutions arabes, y compris la Constitution tunisienne, ont stipul� l�islamit� du chef de l�Etat, il s�agit en effet d�une stipulation abusive et vide de contenu, tant que ces Constitutions ne contiennent pas d�articles imposant la charia comme source principale de toute l�gislation, et tant qu�elles ne contiennent pas non plus d�institutions constitutionnelles contr�lant la constitutionalit� des lois. Aussi bien le chef de l�Etat lui-m�me et le degr� de son engagement � respecter, dans sa vie publique et priv�e, la loi et les normes morales, pour ne pas donner le mauvais exemple de ce qui ne pla�t ni � Dieu ni � ses cr�atures soumises. � Comme un cam�l�on, il s�est adapt� d�s son retour en Tunisie et rafl� les l�gislatives. Alors, devenu pernicieux, il parle un langage cod�, comme dans cette citation, qui est cependant tr�s claire : �Il nous est demand� d'appliquer l'islam dans les limites du possible. Nous pouvons m�me �tre contraints aux n�cessit�s... m�me les r�gles prescrites de l'islam, si elles conduisent � des interdits, nous pourrons y renoncer. Ce faisant, nous n'abandonnons rien mais nous appliquons simplement une r�gle de la charia � une situation concr�te et cette application doit forc�ment tenir compte de la r�gle du possible et du faisable. Telle est la politique. De ce fait, nous ne faisons aucune concession contractuelle et aucune concession sur nos principes pouvant donner � penser que l'islam n'implique pas un pouvoir ou un Etat ou qu'il n'y a pas de relation entre l'islam et la politique. Nous ne disons rien de tout cela car nous croyons au projet islamiste dans son int�gralit�. �Nous n'abandonnons rien� de notre �projet islamique dans son int�gralit� : cela ne signifie rien d�autre qu�une dawla islamiyya avec majliss echoura, rejet de l�alternance et des autres principes de la d�mocratie. Ils sont patients, les islamistes, avec cette strat�gie des petits pas pour atteindre le but final. Entre-temps, les int�gristes radicaux tunisiens se sentent pousser des cornes depuis la �r�volution� du 14 janvier. Ghannouchi et les autres islamistes maghr�bins (Soltani, Mosri, Abdel Jalil�) sont-ils contre la la�cit� ou bien pour l�islamisme turc qui accepte la la�cit� ?
A. E. T.


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