Plusieurs �lections tenues r�cemment dans le monde arabe ont donn� une victoire aux partis islamistes (avec plus d�un tiers des voix) notamment dans les territoires palestiniens en 2006, en Tunisie aux �lections du 23 octobre 2011, en Egypte en 2005, aux l�gislatives du 14 au 22 d�cembre 2011 et aux derni�res pr�sidentielles, ainsi qu�au Maroc aux �lections l�gislatives du 25 novembre 2011. Seules fausses donnes, la Libye et l�Alg�rie o� les partis islamistes viennent de subir un �chec que tous les d�mocrates auraient souhait� dans leurs pays respectifs. Une victoire islamiste serait �galement incertaine au Y�men o� le poids de ce courant n�est pas connu ; tandis qu�en Jordanie, le Front islamique d'action est le plus grand parti de l�opposition, mais il n�adh�re pas � la mode turque, pour une ancienne allergie au caract�re ottoman, tout comme le Hizbollah libanais de Hassan Nasrallah qui est aux antipodes d�un AKP de Tayyip Erdogan encore tr�s proche d�Isra�l, tandis que les islamistes qui dominent au sein du Conseil national syrien ont �t� mis devant le fait accompli par le soutien d�une politique �trang�re turque belliciste qui arme et forme leurs djihadistes tout en leur offrant une base arri�re de repli. Il faut dire que les r�centes �lections arabes sont venues apr�s de larges contestations populaires, notamment la �r�volution du jasmin� du 14 janvier 2011 qui a �vinc� Ben Ali, le Mouvement du 20 f�vrier 2011 au Maroc qui a contraint le roi Mohammed VI � faire une r�forme constitutionnelle globale en vue d�instaurer une monarchie parlementaire, la r�volte contre Kadhafi qui a fini dans un bain de sang caus� par l�ing�rence de l�OTAN, ainsi que la R�volution de la place Tahrir du 25 janvier 2011 qui a �vinc� Moubarak. Alors que l�islamisme est d�origine saoudienne et �gyptienne, les chefs maghr�bins de ce courant sont en train de nous concocter une formule ottomane (du moins le pr�tendent-ils), car l�Arabie Saoudite n�est plus l�exemple � suivre pour qui veut prendre le pouvoir : la femme n�a le droit ni de voter ni de se pr�senter aux �lections, et quand elle conduit une automobile, elle est condamn�e � 10 coups de fouet ! Ghannouchi, Menasra, Soltani, Djaballah, Abdel Jalil le Libyen, les Egyptiens Abou El- Fotouh, Morsi et consorts veulent nous faire croire qu�ils sont plus �mancip�s que cela, mais ils ne nous disent pas pourquoi les Saoudiens ont tort alors qu�il s�agit d�une m�me charia qu�ils visent � mettre en pratique lorsque viendra leur jour. La charia qu�ils disent pourtant unique est taillable en diff�rents mod�les � appliquer de mani�re progressive, en allant crescendo dans les interdits, selon la strat�gie de la ruse. Nourris au salafisme satellitaire plus que de livres, gorg�s de fatwas parabol�es financ�es par les Ibn Saoud, beaucoup d�islamistes se tournent d�sormais vers une mode turque qui co�ncide dans les foyers avec une foule de feuilletons t�l�vis�s qui plaisent aux femmes et donnent une id�e cool de la vie au pays d�Atat�rk qui nous fourgue toutes sortes de marchandises, m�me des hidjabs multicolores pour jupes serr�es. Se contentant de consommer au lieu de produire, les pays du Maghreb nourris au biberon de la d�pendance, se pr�cipitent, Alg�rie en t�te, vers la p�t�e, oubliant les traditions issues de leur propre histoire, une histoire qu�ils n�ont jamais su exporter. Mais avant de parler des islamistes arabes, ou des raisons qui font qu�un fr�re musulman �gyptien comme Morsi, �l�Erddogan turc� comme se plaisent ses pairs � le nommer, renie son propre mod�le pour adopter le mod�le turc, il faut d�abord parler de cet AKP turc (Parti de la justice et du d�veloppement du Premier ministre Tayyip Erdogan) qui fascine des masses d�pendantes de l��tranger en mati�re de produits du ventre et de l�esprit, feuilletons et islamisme � l�appui. Pour les int�gristes arabes, qui se tournent vers leur nouvelle Mecque, Ankara, la formule turque serait aussi simple qu�une �roqya�, avec � la cl� une r�ussite �conomique qui r�gle en m�me temps les probl�mes terrestres et ceux de l�au-del�. Brandissant la formule de Tayyip Erdogan, ils pr�tendent que l�islamisme respecte la d�mocratie et les droits de l�homme. Or, l�islam n�est pas religion d�Etat en Turquie ; et c�est l� une diff�rence essentielle avec les pays du Maghreb et le n�tre en particulier o� le pouvoir et les islamistes ont fait de l�islam un fonds de commerce. L�AKP a des intentions ou plut�t des vell�it�s islamistes, mais officiellement il se targue d��tre un parti �d�mocrate conservateur� et pr�tend avoir rompu avec l'islam politique, car il a failli se faire dissoudre en 2008, apr�s avoir vot� des lois qui portant atteinte � la la�cit�. L�AKP a-t-il r�ellement enterr� ses vell�it�s islamistes ? Pour se comparer � l�AKP, il faudrait d�abord avoir une constitution la�que. Il faudrait aussi que le niveau politique et culturel tout comme le niveau de conscience de la classe politique elle-m�me soit aussi �lev� que dans la formation d�Erdogan, ce qui est loin d��tre le cas, car les scandales ont �clabouss� nombre de nos chefs de partis se targuant d�islamistes. Ignorant leurs limites, les fondamentalistes arabes ont la pr�tention de prendre pour mod�le un AKP, dont ils n�ont ni les comp�tences ni les r�f�rents, qui rel�vent d�un lib�ralisme ma�tris� et d�une gestion �conomique rigoureuse, non pas d�une recette miracle comme ils le croient. En v�rit�, l�islamisme maghr�bin est le fonds de commerce de quelques imams sans talent ou de vagues dipl�m�s convertis � la politique, alors que celui de l�AKP est le fait de vrais technocrates qui ont une exp�rience de l�administration et de l�Etat et qui veulent revenir � certains pr�ceptes religieux pour moraliser la vie publique ou par d�magogie sans pour autant oublier leurs dipl�mes. On ne devient pas Erdogan avec un certificat �s litt�rature de la �sahwa� et surtout pas en clamant les slogans pill�s dans les affiches d�une formation �trang�re qui a le vent en poupe. D�ailleurs, le chef de l�AKP lui-m�me a averti ses �mules lors de sa �tourn�e arabe� de septembre 2011 en Egypte, en Tunisie et en Libye : la Turquie est un Etat d�mocratique la�c o� toutes les religions ont le m�me niveau, a-t-il dit en substance. Mais, incapables de se d�partir de leurs r�flexes ataviques, on a vu ces m�mes islamistes (Ghannouchi, Abdel Jalil et Morsi) promettre � leurs peuples des interdits aux antipodes des id�es de ce m�me Erdogan qu�ils donnent en exemple. Apparemment, pour eux, il ne s�agit pas de prendre l�AKP comme mod�le mais comme argument de vente d�une marchandise inqualifiable aux contours flous pr�tendument inspir�e de l�islam. Ces islamistes n�ont que les interdits pour faire accroire que leur argument est issu du Coran : s�ils n�interdisaient pas l�alcool, la minijupe et la mixit�, quels fonds de commerce leur resteraient-ils ? Ballott�s entre le wahhabisme, le mouvement des Fr�res musulmans et maintenant le mod�le turc, ils cherchent des arguments pour arriver au pouvoir et non pas une strat�gie pour gouverner. Ils ne cherchent pas le bien de leur nation car ils savent qu�ils n�ont pas les comp�tences techniques et intellectuelles pour g�rer un pays, ne sachant certainement pas faire prosp�rer plus qu�une �picerie. Leur nouveau miroir aux alouettes r�ussira- t-il � reconqu�rir les affid�s perdus et en conqu�rir de nouveaux ? Graves atteintes aux droits de l�homme Pour nombre d�islamistes maghr�bins conquis par les prouesses �conomiques turques, l�AKP serait un exemple en mati�re de respect de la d�mocratie. Or, dans le pays d�Atat�rk, ses opposants turcs l�accusent de man�uvrer en douce, d�arranger son discours en fonction de la conjoncture sans abandonner son �agenda cach� pour un islam pur et dur. Selon eux, le double langage du chef de l�AKP, Recep Tayyip Erdogan, s�adapte � la conjoncture internationale, prenant en compte les missions qui lui sont assign�es par Washington ou Paris, le premier pour le r�le qu�il louvoie au Moyen-Orient dans le cadre d�un nouvel ordre mondial et son maintien au sein de l�Otan, et le second, pour une �ventuelle adh�sion au sein de l�Union europ�enne (UE). Les �v�nements actuels du monde arabe, tous ces �printemps� b�nis ou concoct�s par l�Arabie Saoudite et le Qatar montrent que l�agenda US est compatible avec n�importe quelle forme d�islamisme. Mais ce n�est pas un rigorisme religieux qui aurait b�n�fici� � l��conomie turque et, surtout, assurer les saisons des milliers d�h�tels qui ont accueilli en 2011 plus de 31 millions de touristes exigeants en mati�re d�amusements et de loisirs de toutes sortes, avec alcool coulant � flots. La tol�rance de l�AKP et l�ouverture d�esprit de son �islamisme pragmatique� ne sont pas l�expression d�une volont� mais issues des contraintes objectives qui ont forc� ce parti fondamentaliste � s�adapter � une constitution qui ne tol�re aucun badinage, l�arm�e veillant au grain de la d�mocratie et de la la�cit�. L�AKP serait le mod�le islamiste id�al, mais il est loin d��tre aussi vertueux que la pub le laisse croire : sa gestion des affaires publiques est de type lib�ral et n�a rien � voir non plus avec l�islam et � son hypoth�tique ��conomie islamique�. En mati�re de droits de l�homme, la situation turque est l�une des plus pr�occupantes au monde. D�abord, il faut rappeler qu�Erdogan, sous pr�texte d�une lutte contre l�opposition kurde, a transform� une large zone � la fronti�re kurde avec l�Irak en terre d�serte d�o� il a expuls� les Kurdes de leurs villages, qui ont �t� ensuite ras�s comme le faisaient les Fran�ais en Alg�rie, avec comme cons�quence le d�placement d�environ un million de personnes qui se sont agglutin�es dans des bidonvilles autour d�Ankara, Istanbul et d�autres villes. Les exactions et atteintes aux libert�s touchent tous les opposants sans exception, en premier les Kurdes, mais aussi les la�cs, les syndicalistes et les journalistes : le nombre de d�tenus politiques est de 13 000, dont plus de 6 500 membres actifs du parti kurde BDP parmi lesquels 31 maires et six d�put�s incarc�r�s dans le cadre d�une campagne de r�pression lanc�e en avril 2009, quelques semaines apr�s le succ�s historique du parti kurde aux �lections municipales. Quelque 900 des prisonniers politiques kurdes ont men� une gr�ve de la faim pour protester contre leur situation et pour demander un emprisonnement plus humain pour Abdullah �calan, le leader du PKK qui est d�tenu depuis 1999 en isolement total ! M�me les colonisations les plus barbares n�ont pas assign� un traitement aussi s�v�re � un prisonnier politique. Les prisons turques sont pleines � craquer avec 130 000 prisonniers, dont la moiti� sans jugement, selon un rapport de l�Association des droits de l�homme (IHD) intitul� �Institutionnalisation de l�Etat policier �. Les forces de l�ordre usent et abusent des s�vices : 3252 cas de torture ont �t� constat�s en 2011. Depuis 2006, des milliers de mineurs parfois �g�s de 12 ans ont �t� incarc�r�s au titre de la loi antiterroriste pour leur participation pr�sum�e � des manifestations. Jug�s et inculp�s, beaucoup de ces enfants ont �t� plac�s en d�tention provisoire avec des adultes pendant plus d�un an, parfois, sans b�n�ficier de programmes �ducatifs, � des centres de soins ou � des activit�s de loisirs. Beaucoup ont signal� des mauvais traitements et des actes de torture pendant leur arrestation et leur d�tention, selon Amnesty International. En outre, 105 journalistes sont dans les prisons du r�gime, dont 19 responsables et r�dacteurs en chef, et 71 d�entre eux sont des kurdes. La Turquie est la plus grande prison pour journalistes du monde, loin devant la Chine, et ces chiffres sont reconnus par l�Institut international de presse ! Les militaires, autrefois garants de la la�cit�, sont eux aussi tr�s cibl�s par Erdogan : plus d�une centaine d�officiers et g�n�raux ont �t� menac�s d�arrestation pour complot contre le gouvernement dans le cadre d�une purge qui a eu lieu en 2010 et accompagn�e de la cr�ation de bataillons militaires gouvernementaux (une deuxi�me arm�e !), suivie de la nomination d�un islamiste � la t�te des services de renseignements. Ce tableau peu reluisant n�appara�t dans aucun rapport des pays et des ONG occidentaux qui s��vertuent � camoufler ces faits, car les tares d�un pays membre de l�OTAN doivent �tre cach�es. L�AKP m�ne la vie dure au groupe de musique Grup Yorum, qui fait l�objet de descentes de police � la veille de chaque concert. Grup Yorum, dont trois collaborateurs ont �t� tu�s, a fait l�objet de plus de 400 proc�s, des dizaines de gardes � vue, d�emprisonnements, d�actes de torture polici�re, de censure audiovisuelle, d�interdiction de concerts� Grup Yorum a pourtant vendu plus de 4 millions d�albums et les salles de concert de Turquie sont devenues trop exigu�s pour eux. Dans les stades de football et les places de march�, ils r�unissent jusqu�� 350 000 personnes. Le guitariste du groupe, Muharrem Cengiz, est � peine sorti de prison que deux de ses membres ont �t� arr�t�s et accus�s d�avoir particip� � des rassemblements contre la tenue d�un sommet du FMI � Istanbul. M�me les paroles du Grup Yorum sont interdites, au point qu�une syndicaliste, Berivan Dogan, a �t� condamn�e � 10 mois de prison pour possession des textes de ce groupe ! L�AKP consid�re toute id�e patriotique, anti-imp�rialiste et socialiste comme terroriste. A. E.-T. (A suivre) Note 1 http://www.amnesty.org/fr/appeals-foraction/ turkey-all-children-have-rights.