Bourbiaa Rabah est un cordon bleu. Cela pourrait �tre banal si on n�y ajoute pas le fait qu�il soit un handicap� moteur de naissance : il est estropi� de la main et du pied gauches. Son handicap ne l�a pas g�n� � monter sur le pi�destal de la gastronomie. A devenir �l�artiste� qui fait manger des milliers de convives lors des f�tes de mariage, sans avoir eu � rejoindre les bancs des �coles ni les salles de la formation professionnelle, encore moins les amphis de l�universit�. Question stage pratique, il n�a pas dans son C-V la luxuriance des �tablissements h�teliers, des restaurants et des r�fectoires des entit�s industrielles. Statistiquement parlant, il avance m�me le chiffre de 9 000 personnes � avoir go�t� aux d�lices du couscous notamment, durant quatre jours du deuil du fils d�un parlementaire connu de la r�gion. Bilan que confirment ses deux enfants et un aide-cuisinier. Il capitalise 34 ans d�exp�rience dans la pr�paration de mets, traditionnels surtout, au profit de diff�rentes nationalit�s et cat�gories sociales, et dans le cadre d�activit�s diverses. A 17 ans d�j�, il re�oit les congratulations des 80 instituteurs de A�n-Nechma, localit� de la commune de Ben-Azzouz, � une soixantaine de kilom�tres du chef-lieu de wilaya. C�est un peu le Pel� de la cuisine, le m�me �ge qu�avait ce talentueux footballeur pour brandir la Coupe du monde en Su�de, en 1958. Pour revenir � nos moutons, il faut savoir qu�� l��poque, fin des ann�es 70, d�but des ann�es 80, ses professeurs du cycle primaire �taient h�berg�s dans un internat, mais n�avaient pas encore une cantine. Heureusement que Rabah �tait l� pour assurer la ration nutritive n�cessaire aux �coliers d�s les premiers jours de leur scolarit�. L�ouverture d�un CEM, dans la moiti� des ann�es 80, a donn� � Rabah Bourbiaa un second souffle. Il �tait au four et au moulin, partageant sa passion entre gastronomie et art culinaire festif. Au d�but des ann�es 1990, il est devenu l�Italien, non le personnage tragique de la c�l�bre chanson de Serge Reggiani, mais le cuisiner qui a fait revivre aux Italiens, venus dans le cadre de la construction d�Izdihar, l�unit� de transformation de la tomate, bas�e � A�n-Nechma, leur amour pour les spaghettis. �Une cuisine est toujours nouvelle quand elle est bonne�, dit-on. Il leur a fait, � maintes reprises, d�inoubliables plats de spaghettis, m�ritant ainsi le sobriquet pr�cit�. Comme quoi on peut �tre mieux servi pas forc�ment que par soi-m�me. Rabah Bourbiaa est un autodidacte dans la profession. C�est tout jeune, comme il le rapporte lui-m�me, qu�il s�introduit dans les rouages du m�tier. Il nous en livre l��pilogue. �C�est tout jeune que j�ai bouscul� les arcanes du m�tier. C�est une femme qui m�en apprit les rudiments. Il s�agit d�El-Ouldja, une Kabyle de Annaba qui se d�pla�ait dans notre r�gion pour faire la cuisine lorsqu�on c�l�brait les f�tes de mariage. J��tais curieux de voir comment elle surveillait les marmites, choisissant les ingr�dients mesurant scrupuleusement le dosage et surtout la mani�re d�assaisonner le tout. Je gardais tout dans ma m�moire, mon analphab�tisme m�emp�chant de prendre note. Petit � petit, je gravis les �chelons, m�entourant au tout d�but de mes fr�res, Samir, Hamid et Mohamed, ensuite d�apprentis, qui m�assistaient dans les ardues besognes que mon handicap m�emp�chait de r�aliser, comme l�acheminement des marmites, le d�placement des caisses de fruits et l�gumes. Une �quipe de choc �tait donc n�e. Ce sont 5 apprentis qui ont �t� des ann�es durant mes soutiens inconditionnels dans l�exercice de mon m�tier.� Quelques exploits meublent notre discussion. �Des ann�es durant aussi, surtout en �t�, on a pu r�ussir le challenge de pr�parer les repas pour 5 mariages par jour. A 7h00, la premi�re cuisson est effectu�e pour le 1er mariage ; � 10 h, la deuxi�me, � midi, la troisi�me ; la quatri�me et cinqui�me cl�tureront la marche vers les coups de 14h30. A 15h30, tout �tait pr�t pour servir les convives, d�autant que, dans les traditions de notre r�gion, le d�ner commence apr�s la pri�re d�El Asr, g�n�ralement apr�s 16 heures, et durera quelques minutes apr�s El Icha, donc apr�s 22 heures. C�est pour cela que le nombre de 3 000 convives peut facilement �tre atteint. D�aucuns peuvent s��tonner de ce chiffre, mais qu�ils sachent que les us et coutumes des villages exigent d�inviter la plupart des habitants qui gravitent autour pour �viter de toucher les sensibilit�s des uns et des autres. Comment on s�y prenait ? C�est simple, on proc�de au dispatching des t�ches aux 5 apprentis, chacun assurait les pr�paratifs dans un mariage. A chaque fois, je me d�pla�ais pour superviser les op�rations de mise en place, en m�assurant que tout va bien et apr�s avoir, au passage, effectu� la pr�paration du couscous et des autres plats, chorba, hors-d��uvre et viande hach�e, je filais vers le deuxi�me mariage et ainsi de suite. J�ai r�ussi �galement le pari de faire manger 1500 convives avec une chorba pour laquelle on a �gorg� 2 moutons seulement. L��conomie est aussi mon fort.� M�tier acquis, les 5 stagiaires s�envolent pour d�autres ambitions. Entre-temps, 2 des 5 enfants (4 gar�ons et 1 fille) du mariage contract� en 1986, se sont introduits dans le m�tier, le premier en 1998, le deuxi�me en 2005. �Tel p�re, tels fils.� A ce jour, ils assistent leur papa dans la noble t�che de pimenter les c�r�monies de mariage � ciel ouvert et sous le clair de lune dans la r�gion touristique et agropastorale de Ben-Azzouz, mais aussi de Skikda et autres. Bourbiaa Rabah tire sa r�v�rence dans le domaine, car il a sa propre signature. �Ceux qui go�tent pour la premi�re fois � son plat s�en souviendront longtemps : son couscous est orn� de quelques bouts de carottes et de pois-chiche, sa chorba est c�l�bre pour son bout de citron et son piment. Il a sa propre signature�, signale son fils.