La situation de l�Alg�rie est aujourd�hui presque pareille � celle d�un condamn� � mort qui attend son passage au peloton d�ex�cution. Les crises, les mouvements de m�contentement et les contestations qui traversent en permanence la soci�t� en sont les preuves les plus palpitantes. Cette situation, n�e d�une transition brutale entre l��tatisme et l��conomie de march�, t�moigne magistralement de la non-adh�sion, aussi bien individuelle que collective, de la soci�t� aux diff�rentes entreprises que l�Etat, les entrepreneurs priv�s et les intellectuels tentent, depuis des ann�es, de mettre en place. Cet �chec n�est cependant ni une preuve suppl�mentaire que le dirigisme �tatique, fut-il boumedi�nien, est pr�f�rable, ni que le lib�ralisme, qu�il soit d�inspiration thatch�rienne ou reaganienne, est dangereux, mauvais, absolument faillible. Dans ce sens, aussi bien le r�le stagnant de la bureaucratie �tatique soulev� par Ta�eb Hafsi que les dangers de l��conomie-management � l�am�ricaine dont ne cesse de parler Omar Aktouf, demeurent des �l�ments pertinents dans l�analyse de la situation �conomique du pays. N�anmoins, aucune des deux options d�fendues par ces deux �conomistes ne nous para�t porteuse d�une alternative viable. L�Alg�rie a-t-elle une identit� �conomique ? Globalement, le d�bat id�ologique opposant lib�raux et partisans de l��tatisme est, dans le cas alg�rien, tr�s peu pertinent pour la simple raison que l��conomie alg�rienne est renti�re. Le probl�me qui se pose n�est pas de savoir s�il faut plus ou moins d�Etat mais pourquoi la production, en dehors des hydrocarbures, est quasiment nulle. En effet, juste apr�s la mort de Boumedi�ne, un virage lib�ral a commenc� a �tre pris par l��conomie alg�rienne. Cette transition, dite vers l��conomie de march�, avait comme objectif de mettre fin aux effets n�fastes du dirigisme bureaucratique et � la �dictature des hydrocarbures�. Plus de trente plus tard, l�Alg�rie croupit toujours sous le poids de la bureaucratie et de sa d�pendance du p�trole avec, comme seul �l�ment nouveau, l��mergence de quelques entrepreneurs priv�s. Pourquoi ? Ta�eb Hafsi, en s�appuyant sur la r�ussite de certains �capitaines de l�industrie�, dont Cevital, Benamor, pense que l�Etat doit lib�rer le march� afin de permettre aux entrepreneurs de d�velopper des g�nes pour survivre � la violence comp�titive mais aussi pour permettre � ces derniers �d��duquer l�Etat�. Cette d�marche, s�inscrivant dans la logique du fondamentalisme marchand cher aux lib�raux, peut effectivement aboutir � des r�sultats et les bilans de Cevital en sont une preuve on ne peut plus irr�futable. Ce qui est cependant condamnable dans le lib�ralisme, ce n�est pas l�obsession du profit mais les effets de celle-ci sur l�organisation et le fonctionnement de la soci�t� et de l�Etat. En effet, dans le processus d�accumulation du capital, il y a risque de hi�rarchisation de la soci�t� selon le seul crit�re de la richesse, ce qui conduit � pervertir les comportements en faisant de l�argent et de son acquisition, licite ou illicite, une r�gle d�or de fonctionnement du syst�me social. Une telle situation, o� l�individualisme reste la philosophie ma�tresse, peut entra�ner des d�g�ts sur le plan moral et �thique. De plus, la partie �offre� dans un syst�me lib�ral contribue au changement des comportements � travers une cr�ation permanente de besoins chez les individus. Dans certains cas, �l�offre�, avec les m�canismes d�incitation qui la sous-tendent, peut cr�er des bouleversements globaux qui peuvent s�av�rer pr�judiciables aussi bien pour le syst�me capitaliste lui-m�me que pour l�Etat et la soci�t�. Ces bouleversements, on les recense ces derniers temps dans plusieurs pays comme la Gr�ce, l�Espagne, et m�me les Etats-Unis. Par ailleurs, les r�ussites de certains entrepreneurs alg�riens dont fait �tat Ta�eb Hafsi, lesquelles r�ussites font office � ses yeux d�arguments pour justifier l�option lib�rale, n�en sont pas vraiment une. Quels sont en fait les crit�res � base desquels est compt�e cette r�ussite ? Nombre d�emplois ? Ecologie ? Production ? Fiscalit� ? R�duction de la pauvret� ? Culture ? Les principaux arguments avanc�s par le plus grand entrepreneur alg�rien, Issad Rebrab en l�occurrence, sont li�s � ses contribution en mati�re de fiscalit�, le r�investissement de ses revenus et la cr�ation d�emplois. Naturellement, tout entrepreneur s�rieux se doit, au nom de la loi, de contribuer aux recettes fiscales de l�Etat, r�investir ses revenus pour se faire une place de leader dans le march� ou la maintenir dans le cas o� elle existe. Pour ce qui est de l�emploi, il existe un grand probl�me et il est du r�le de l�Etat, de la soci�t� civile, organis�e en syndicats et en associations, et des partis politiques d�en parler. En effet, en sus des statistiques de l�ONS selon lesquelles plus de 50% des employ�s du secteur priv� ne sont pas d�clar�s, les emplois pr�caires, notamment dans le cadre des CDD, les salaires de mis�re n�atteignant m�me pas le SNMG dans plusieurs cas, demeurent des soucis majeurs pour les travailleurs alg�riens. De plus, le fait que l�Etat contribue � payer les salaires des employ�s du secteur priv� dans le cadre du dispositif du pr�-emploi, m�me ceux des grandes entreprises, reste aussi un probl�me moralement condamnable, �conomiquement infond� et socialement pas du tout rentable. On peut m�me dire que, dans ce cas pr�cis�ment, le caract�re rentier de l��conomie alg�rienne est exprim� de la mani�re la plus magistrale. S�appuyer sur une suppos�e r�ussite de certains entrepreneurs priv�s, m�me si leur prestation demeure globalement acceptable, pour justifier une lib�ralisation � l�am�ricaine de l��conomie alg�rienne, ne tient pas la route d�autant plus que le syst�me �conomique alg�rien, de l�aveu de tous les universitaires alg�riens, est un d�sordre dont le dernier souffle est maintenu gr�ce � la rente p�troli�re. Et la rente, c�est la vert�bre de toute dictature soucieuse de sa survie. Le syst�me rentier est incompatible, tout autant que le n�olib�ralisme, avec les aspirations d�mocratiques de la soci�t� alg�rienne. Faut-il abattre les entreprises priv�es ? Le mod�le n�olib�ral, �syst�me dont les b�n�fices sont privatis�s et les co�ts socialis�s� comme dirait Omar Aktouf, a mis le monde en ruine. Se cachant derri�re des philosophies m�ritocratiques par-ci et d�mocratiques par-l�, confondant enrichissement infini d�une minorit� de riches et bien-�tre �conomique, il enrichit les plus riches et appauvrit les plus pauvres. L�entreprise priv�e, �l�ment essentiel autour duquel est structur� ce mod�le, n�est pas une entit� statique. Son �volution, sa dynamique, font le noyau de ce qu�est ou doit �tre le n�olib�ralisme. Mais qui d�finit les r�gles de son �volution ? Comment ? Les employ�s, organis�s en syndicats autonomes, doivent-il y �tre associ�s ? La baisse des salaires repr�sente-elle une mesure comp�titive ? Qu�en est-il des licenciements ? Des d�localisations ? Comment les entreprises doivent-elles �tre financ�es ? A en croire Adam Smith et ses partisans, tous les entrepreneurs sont condamn�s, en l�absence d�un Etat r�gulateur fort, � �tre �des brigands�. La souverainet� du march� serait-elle donc � ce point dangereuse ? Le march� serait-il incapable de s�autor�guler ? Comment un Etat peut-il �tre utile, efficace, dans une �conomie ? Omar Aktouf, en adversaire farouche et inconditionnel du n�olib�ralisme, soustrait � la th�se de la �dangerosit� du �sain libre march� autor�gul�. En revanche, il n�explique ni le r�le que doit jouer l�Etat, ni ne semble donner, le moins du monde, de l�importance � la partie �offre� de l��conomie. Une entreprise est forc�ment anim�e par la volont� du profit. Faut-il emp�cher les entrepreneurs priv�s de s�enrichir ? Fautil abattre les entreprises priv�es ? Certaines exp�riences, notamment celle de la Chine post-mao�ste, l�Allemagne, la Su�de, la Cor�e du Sud, l�Angleterre post-thatch�rienne, n�ont-elles pas montr� qu�en s�enrichissant, les entrepreneurs priv�s peuvent enrichir leur pays sans pour autant cr�er de graves in�galit�s sociales ? La social-d�mocratie nouvelle : une alternative Il n�y a jamais eu de social-d�mocratie � proprement parler en Alg�rie. Ce qui en donne l�air, � travers le syst�me de s�curit� sociale, l��ducation pour tous, la sant� publique, la Solidarit� nationale, etc., n�est qu�un ensemble de mesures, souvent contradictoires, qui sont �conomiquement inefficaces. Ces mesures ont cependant le m�rite de porter, m�me d�une fa�on fragmentaire et d�sordonn�e, des valeurs sociales-d�mocrates. Par cons�quent, nous allons pr�senter comme alternative � ce qui est d�fendu � gauche et � droite, ce que nous allons appeler conjoncturellement �la sociald�mocratie nouvelle�. Aujourd�hui, il est clair que le n�olib�ralisme et le socialisme ont �chou� et leurs effets continuent � entra�ner des ravages aux quatre coins du monde. Faut-il pour autant rejeter les valeurs qu�ils ont port�es ? Naturellement non. D�s lors, il faut trouver une nouvelle approche � m�me de rendre possible la concr�tisation de ces valeurs. La gauche, dans toutes ses expressions, n�arr�te pas de parler de libert� et de justice sociale. Au plan moral, parler de ces deux valeurs est plus que louable. Un pas et la gauche alg�rienne et prise pour un bataillon d�anges. Mais, comment d�montrer, th�oriquement et pratiquement, que la justice et la libert� peuvent �tre efficaces dans la gestion et la dynamisation d�une �conomie ? Il est vrai que dans tous les pays du globe, dans toutes les soci�t�s, il existe des cat�gories d�munies qui doivent �tre prot�g�es tout au long de leur cycle de vie. Mais la question que la gauche alg�rienne, ce qui en reste ou en tout cas ce que l�on prend pour telle, refuse de poser est de savoir de quoi ces cat�gories ont besoin. D��tre prot�g�es ou qu�on leur donne la possibilit� de se construire socialement et �conomiquement ? De notre point de vue, en tant que partisan de la sociald�mocratie d�inspiration giddensienne, la r�ponse est qu�il est utile, voire imp�ratif, de donner la possibilit� aux cat�gories sociale de se construire afin d��viter la propagation de la culture d�assistanat au sein de la soci�t�. Mais l�-aussi une autre question se pose : peut-on donner � l�ensemble des individus vivant dans notre soci�t� la possibilit� d��tre autonome ? Th�oriquement oui mais pratiquement, ceci rel�ve de l�utopie. L�enjeu n�est donc pas d�abolir le ch�mage et de rendre tout le monde heureux, mais de r�duire au maximum le nombre de d�munis dans notre soci�t� en les impliquant dans les processus de production r�els, de prot�ger le reste, et de permettre aux entrepreneurs priv�s de s�enrichir selon les r�gles du march�. L�objectif de la social-d�mocratie est, pour ainsi dire, de trouver un juste �quilibre entre l��nergie et la force du march� d�une part, les valeurs sociales et civiques d�autre part, l�objectif final �tant de conjuguer la solidarit� sociale avec une �conomie dynamique. Aujourd�hui, plusieurs responsables parlent de l�Alg�rie comme s�il s�agissait de l�Allemagne. Pour eux, tout va bien en Alg�rie. Pourtant, en plus de ce qui ne va pas, l�essentiel de ce qui se fait, tout ce que l�on projette de faire est pour le moins dangereux pour la survie sociale des Alg�riens. En effet, apr�s avoir proc�d� � l�ouverture du march� d�une fa�on brutale, sans pr�paration aucune, et dans une p�riode d�instabilit� politique et sociale de grande ampleur, un processus de privatisation � grande �chelle est lanc�. Parmi les entreprises privatis�es, il y en a qui ont r�ussi et d�autres non. Le bilan n�est pas encore fait mais le r�sultat peut �tre globalement acceptable. Mais que cherche-ton � travers une privatisation tous azimuts ? Que cherche-t-on � travers l�ouverture du syst�me �ducatif, et bient�t de l�enseignement sup�rieur, domaines hautement sensibles, au secteur priv� ? D�ores et d�j�, cette ouverture, encourag�e au d�triment du secteur public qui manque terriblement de moyens mat�riels et humains et qui demeure domin� par le tout-administratif et la corruption, le tout entretenu par �une bureaucratie verticale �, a cr�� des malaises parmi la jeunesse scolaris�e. Plusieurs universitaires dont Ta�eb Hafsi, Abdelhak Lamiri et les animateurs du cercle Nabni, joignant leurs voix � celle de certains responsables s�duits par le mod�le am�ricain, disent que la performance n�a de synonyme que le mot privatisation, y compris dans le domaine si sensible de l��ducation et de l�Enseignement sup�rieur. En filigrane, ils expliquent ceci par la n�cessit� de mettre fin � la massification de ces deux secteurs, laquelle massification est naturellement le corollaire de la m�diocrit�. Or, ne savent-ils pas que dans un syst�me priv�, souci du profit oblige, le crit�re principal d�acc�s devient mat�riel et que, par cons�quent, la porte est syst�matiquement ferm�e devant les couches d�favoris�es et, quelques fois m�me la classe moyenne ? Ces derni�res n�ont-elles pas droit � l��ducation et au savoir ? La m�me logique nous guide dans notre analyse du syst�me de sant�. Alors que des cabinets et des cliniques priv�s poussent comme des champignons, le secteur de sant� public enregistre sa plus grande crise depuis l�ind�pendance. O� va nous mener cette logique ? Qui est-ce qui va soigner, prot�ger, accompagner les couches d�munies ? Combien de d�c�s enregistre-t-on, faute de moyens et d�expertise m�dicale, dans les centres de sant� et les h�pitaux publics ? Qui est-ce qui contr�le les tarifs pratiqu�s dans les �tablissements de sant� priv�s ? Les couches d�favoris�es et moyennes n�ont-elle pas droit aux soins ? Toutes ces questions ne rentrent pas dans le sch�ma traditionnel gauche-droite. Ni le socialisme ni le lib�ralisme n�ont donn� ou sont en mesure de donner des r�ponses concr�tes � ces questions. La social-d�mocratie nouvelle par contre, ce n�est pas un syst�me qui exclut. Tout au contraire, elle offre des opportunit�s � l�ensemble des individus. Son d�fi, c�est de trouver un �quilibre entre la responsabilit� individuelle et la solidarit� collective. La social-d�mocratie, radicale dans sa vision, active dans son essence, s�inscrit dans ce que Giddens appelle �la politique de la vie�. Sans r�cuser la comp�titivit� et la cr�ation des richesses, elle plaide pour la redistribution �quitable, non pas de ces derni�res, entendu les richesses, mais �les possibilit�s�. La perspective radicale qu�offre la social-d�mocratie nouvelle est exactement celle � laquelle aspirent les partisans du changement, mais le radicalisme de cette perspective n�cessite un consensus qui doit �tre construit non pas seulement entre les forces politiques et le pouvoir, mais aussi entre le n�olib�ralisme et le socialisme. Car, m�me si les partis politiques alg�riens se r�clamant de la droite et de la gauche n�ont rien � voir avec ses deux courants, pas plus au plan th�orique que pratique, il faut tenir compte des valeurs port�es par l�un et l�autre et des rapports de force au sein de la soci�t�. A long terme, cette recherche du consensus exige une d�mocratisation non pas seulement de l�Etat mais de la soci�t� dans son ensemble : il faut am�liorer les performances de l�Etat, le rendre plus efficace � travers la mise en place de m�canismes de contr�le des r�sultats dans tous les domaines, des audits, une association des employ�s et de la soci�t� civile � tous les processus de prise de d�cision. L�un des r�les principaux de l�Etat dans un r�gime social-d�mocrate, outre d�assurer l��quilibre entre la r�gulation et la d�r�glementation � tous les niveaux, l��conomique et le non-�conomique, est la gestion efficace des risques. Ainsi, si la social-d�mocratie classique est socialement d�mobilisatrice et �conomiquement inop�rante, le probl�me du n�o-lib�ralisme est qu�il n�est pas lib�ral, ou du moins, est s�lectivement lib�ral : l�exercice de libert� n�est possible que pour les riches. Plus on est riche, plus on est libre. L�objectif de la social-d�mocratie nouvelle, comme l�a �crit Giddens, n�est pas de renverser le capitalisme pour mettre � sa place le socialisme, mais de trouver une meilleure strat�gie de le �r�guler�, de le �gouverner �. I. A. * Membre du Conseil national du Parti de la libert� et de la justice (PLJ).