C�est un navire � la d�rive qui a �t� confi� � Ch�rif Rahmani. On ne sait plus ce qu�il est advenu de notre industrie depuis qu�elle a quitt� son port d�attache, si tant est qu�elle en ait eu un, un jour. Fin septembre, au si�ge du CNES, il installe un �groupe libre de r�flexion� pour trouver un r�f�rentiel partag� de substitution au d�veloppement rentier, exclusivement importateur, gr�ce � un r�gime de croissance bas� sur une offre suffisante et qualitative de biens et de services produits localement. Tout un programme. Un �tat des lieux d�plorable L��tat des lieux, partag� par toutes les tutelles, les partenaires sociaux et les associations, les �coles doctrinales, est sans appel : le pays, d�j� pauvre et sous-d�velopp� (oui, oui : le p�trole ne fait pas le d�veloppement !), n�arr�te pas de se d�sindustrialiser (5% du PIB), la d�pendance des hydrocarbures de se consolider (98% des exportations), l�environnement des affaires de se d�grader (152e place dans le dernier Doing Business 2013), la gouvernance �conomique de d�cliner. Que faire ? �Il nous faut une m�thode, une vision commune appuy�e sur des pr�conisations concr�tes pour reconstruire le tissu industriel, r�gion par r�gion, branche par branche�, mart�le Cherif Rahmani. Le chantier est pharaonique. L�expertise industrielle, �conomique et financi�re, macro et micro, est connue de tous. Les m�mes invariants sont l� depuis des lustres, ils font l�unanimit� : codifier dans le marbre constitutionnel la libert� d�entreprendre et d�investir, encourager le secteur priv� producteur de richesses, accro�tre la comp�titivit� des entreprises, asseoir le dialogue inclusif institutionnalis� entre les acteurs, etc. Rahmani rassure : �Nous sommes au temps du dialogue et du partage pour aller dans la construction d�un secteur en net recul comparativement � sa dimension ancienne.� Alors, il met les bouch�es doubles. Quatre groupes de travail agissent de pied ferme pour mettre au point des diagnostics s�rieux en vue d�aboutir � une strat�gie. Celle-ci repose, de l�avis de Ch�rif Rahmani, sur deux piliers de ce qui s�apparente � une �conomie sociale de march� : �l�attractivit� et la comp�titivit�, d�une part ; l��quilibre et l��quit�, d�autre part�. Elle a pour invariables : le retour au seul arbitrage du code de commerce, l�abolition des nouvelles tutelles bureaucratiques sur l�EPE (quand bien m�me certains gestionnaires frileux les sollicitent), l�abrogation du code des march�s publics, la d�p�nalisation de l�acte de gestion. �Nouvelles conditionnalit�s� L�Alg�rie a les capitaux, le savoir et le savoir-faire, l�expertise pour embrayer le nouveau paradigme. Les nouvelles conditionnalit�s ne sont pas d�ordre �conomique et financier, mais d�abord politique et juridique. Politique : Pour emprunter la m�taphore � un op�rateur, on pourrait dire que l�Alg�rie conna�t trois syndromes : - le syndrome hollandais : Il entretient le mode de production asiatique construit sur la rente unique et reproducteur d�un �despotisme oriental� et d�une centralisation excessive du pouvoir et de la d�cision ; - le syndrome Khalifa : Il a compliqu� l�environnement des affaires et multipli� soup�ons et appr�hensions pas toujours l�gitimes � l�endroit du secteur priv�, apr�s avoir facilit� les blanchiments de fortunes mal acquises � l�ombre de la gestion patrimoniale et autoritaire de l�Etat pour lesquels il avait �t� initialement install� ; - le syndrome Orascom : Le circuit financier n��tant plus le canal unique ou idoine de financement de l��conomie. L�argent, n�ud gordien de toutes les �quations, est associ� au pouvoir. La d�cision du banquier ob�it � des injonctions politiques. Celles-ci sont d�autant plus protectrices qu�un avis d�favorable est souvent associ� � une �position de confort : jamais quelqu�un n�a �t� jet� en prison parce qu�il a refus� un cr�dit. Tout au plus est-il �loign� ou �cart�. In fine, ce qui est en cause, c�est le r�le, la place et l�avenir du secteur priv�. Une g�n�ration de cadres, qui ne sont pas encore totalement d�connect�s de la d�cision et de la strat�gie politiques, pour l�essentiel h�ritiers du Plan de Constantine, cultive le mythe de �l��ge d�or� de l�industrie industrialisante, fruit des semences p�troli�res (�Semer du p�trole pour cultiver des usines�, disait B�la�d Abdesselam), des �vingt glorieuses� (1966-1986). Il suffirait pourtant de revenir au pass�, mais de fa�on critique et non laudative, pour envisager l�avenir car les visions pass�istes encore dominantes passent sous silence les ravages subis par l�agriculture et la ferraille amass�e en guise de troph�e industrialiste. Les m�mes visions ont cours de nos jours, comme en t�moigne �l�effet d��viction � et la faible accessibilit� du secteur priv� (53% seulement des cr�dits) aux financements de la part des banques priv�es (elles ont en charge 85,6% des cr�dits octroy�s). Ceci dans un contexte d�exc�s d��pargne et de liquidit�s r�sultant d�une faible interm�diation financi�re : le niveau de transformation (rapport d�p�ts/cr�dits) ne d�passant pas 60%. Nous sommes en pr�sence de banques en situation de surliquidit�s dans un contexte d��conomie assoiff�e d�investissement, sans que la Banque d�Alg�rie puisse lever le petit doigt puisque son ind�pendance est largement entach�e et sa mission r�duite � la stabilit� des prix, d�une part, et la s�curit� et la stabilit� du syst�me bancaire, d�autre part. Une premi�re urgence d�coule de ce constat : le besoin pressant d�un financement propre aux PME, une sorte de banque publique d'investissement charg�e de soutenir financi�rement les entreprises de croissance. Elle pourrait mutualiser les moyens de l'Etat, des �pargnants et, pourquoi pas, des r�gions. La Banque publique d'investissement aurait pour mission de : - soutenir financi�rement les petites et moyennes entreprises ; - proposer des services d'accompagnement � l'innovation, l'investissement productif et � l'export ; - soutenir les secteurs d'avenir (principalement les �nergies renouvelables et de substitution) ; - investir pour financer des projets de long terme. Elle sera accessible aux entreprises gr�ce aux guichets uniques de l�ANDI dans chaque r�gion. Adoss� � ce financement, un syst�me appropri� de garantie. La caisse de garantie des pr�ts d�investissement PME se plaignait r�cemment de ce que les banques alg�riennes n�ont pas encore assimil� le r�le des garanties offertes par la caisse afin de faciliter le financement des petites et moyennes entreprises. La caisse partage les risques de non-remboursement des cr�dits aupr�s des banques en remboursant 80% de la valeur du cr�dit pour les projets de cr�ation d�entreprise, et 60% s�il s�agit du d�veloppement des petites et moyennes entreprises. Le remboursement des pr�ts s�effectue dans un d�lai d�un mois au maximum. Les garanties offertes par la caisse sont les meilleures sur la place financi�re, comparativement � ce qui est en vigueur dans d�autres pays comme la Tunisie, le Maroc et la France, mais elles sont m�connues. Faute d�avoir mis en place des financements ad�quats, le contexte macro-�conomique favorise les activit�s commerciales et d�importation au d�triment de la comp�titivit� de l�investissement et de l�incitation � investir. Rapport�es � cette tendance dominante, la faible lisibilit� du mode de gouvernance PME et la faible maturation de leurs projets sous l�angle financier paraissent �tre un alibi persistant. Le �syndrome syrien� et ce qu�il charrie comme enseignements positifs ou n�gatifs ne semble pas totalement �tranger aux appr�hensions qui se font jour dans les pays �pargn�s de la grisaille du �printemps arabe�. On sait aujourd�hui qu�� la faveur de la zone de libre-�change avec la Turquie �merge une branche de la bourgeoisie syrienne qui �uvre � s�affranchir de la tutelle du parti Baath. De la m�me mani�re, les sph�res renti�res et bureaucratiques du capital national, issues pour l�essentiel de l�interm�diation commerciale et de la sp�culation immobili�re, voient d�un mauvais �il la formation cumulative et durable d�une classe d�entrepreneurs structurellement connect�e au march� local et affranchie de la rente p�troli�re et des all�geances qu�elle requiert. L�axe institutionnel et juridique Il ne peut y avoir de volont� sinc�re et r�elle qu�attest�e par une production normative de choc, incitative et contraignante selon le cas, et des institutions solides, fluides, synerg�tiques et interactives sans faire doublon. Dans un syst�me o� la loi interdit plus qu�elle ne r�gule ou n�encadre et qu�elle exclut et d�truit beaucoup plus qu�elle n�int�gre et ne construit, le chemin qui reste � parcourir semble d�autant plus dissuasif qu�il est parsem� d�emb�ches (les r�flexes et les mentalit�s) plus difficiles � fissurer qu�un atome, pour paraphraser Einstein � propos des pr�jug�s. L�exp�rience r�cente des r�formes nous enseigne que la bureaucratie, les blocages et les conservatismes sont d�autant plus forts qu�il n�y a pas de construction normative et institutionnelle � combattre. C�est dire qu�il y a en la mati�re un effort de l�gistique �vident � entreprendre. L�enjeu est de passer d�un �pays de lois�, d�ailleurs m�connues (absence de culture juridique et citoyenne) ou viol�es (impunit� et passe-droits) � �un Etat de droit� qui donne � l��conomie une assise juridique p�renne. La vision �conomiste ancienne consistant � r�duire le climat des investissements aux seuls avantages fiscaux et financiers est certainement p�rim�e. De nos jours, les investisseurs, nationaux ou �trangers en qu�te de visibilit�, r�clament davantage la stabilit� politique et juridique. Revirements et volte-face contredisent le discours et trouvent parfaite illustration dans deux textes : - l�ordonnance n�09 � 01 du 22 juillet 2009 portant loi de finances compl�mentaire pour 2009 ; - et l�ordonnance n� 10 � 01 du 26 ao�t 2010 portant loi de finances compl�mentaire pour 2010. Deux dispositions nouvelles principales ont �t� introduites par ces deux textes : 1- l�investisseur �tranger ne peut exercer d�activit� en Alg�rie qu�en partenariat avec un ou des actionnaire(s) local(aux), public(s) ou priv�(s) au(x)quel(s) revient la privil�ge de d�tenir au moins 51% du capital social lorsque l�investissement est r�alis� dans le secteur �conomique de la production de biens et services et au moins 30% dans le domaine du commerce ext�rieur ; 2- l�Etat et ses d�membrements �conomiques, les entreprises publiques, s�accordent un droit absolu de pr�emption sur toutes les cessions des participations des actionnaires �trangers. Cette instabilit� juridique contraste avec l�immobilisme politique et �l��chec renouvel� � en mati�re de vision et de doctrine. A cet �gard, une comparaison tir�e du dernier rapport de la Banque mondiale Doing Business 2013 est �difiante : notre pays est relativement bien class� lorsqu�il s�agit de �r�gler l�insolvabilit� (d�clarer une faillite ou solder une affaire) � il est 62e sur 185 � mais il se trouve en pi�tre position lorsqu�il s�agit de cr�er une entreprise � il est alors 156e. Dans la tradition lib�rale, elle-m�me d�pass�e, seule la libert� de commerce et d�industrie, la protection de la propri�t� priv�e et d�autres cat�gories juridiques sacr�es du march�, trouvaient place dans le texte de la loi fondamentale beaucoup plus centr� sur l�ordonnancement de l�ordre d�mocratique fondamental et l�organisation des pouvoirs. Le n�ocapitalisme semble prendre une tout autre direction aujourd�hui, notamment en Europe � la faveur de la crise des dettes publiques et de la monnaie unique. L�Allemagne a tr�s t�t inscrit les restrictions budg�taires (un d�ficit inf�rieur � 3% du PIB) dans sa loi fondamentale. Sa d�marche s�inscrit dans la perspective trac�e par Finn Kydland et Edward Prescott (Nobel 2004) pr�conisant d�imposer des r�gles aux hommes politiques pour �viter les mauvaises d�cisions(*). La th�se de Kydland et Prescott est tr�s forte : elle consiste � dire que m�me dans les conditions les plus favorables, toute politique �conomique discr�tionnaire est destin�e � �chouer, d�o� le besoin de r�unir deux conditions : - un objectif collectif, partag� par tous ; - l�av�nement de d�cideurs politiques assimilant pleinement le timing et l�ampleur des effets de leurs actions. Le probl�me r�current du syst�me alg�rien est qu�il n�existe pas de m�canisme permettant de faire en sorte que les d�cideurs politiques prennent en consid�ration l�effet de leurs d�cisions, par l�interm�diaire des anticipations, sur les d�cisions actuelles des agents. Ils doivent mesurer l�int�r�t de recourir � des r�gles durablement inscrites dans la loi, voire dans la Constitution, pour qu�elles ne puissent pas �tre modifi�es par chaque vague de d�cideurs. A moins de continuer � prendre le risque d�aller qu�mander ailleurs (le droit et la stabilit�), ce qu�ils refusent � leurs propres peuples. A. B. (*) Finn Kydland et Edward Prescott, 1977, Rules Rather than Discretion : The Inconsistency of Optimal Plans, ( Les r�gles plut�t qu�une politique discr�tionnaire : l��chec des plans optimaux), Journal of Political Economy.