C'est toujours un r�gal d'�couter ou de lire le g�n�ral Nezzar. Un r�gal, non pas au sens �picurien du terme, loin s'en faut. Il procure plut�t un certain plaisir intellectuel, un picotement des synapses, semblable � celui que doivent ressentir les praticiens des joutes oratoires traditionnelles agiles � pr�c�der les circonlocutions de l'adversaire. Comme eux, et sans doute par choix esth�tique, le g�n�ral Nezzar excelle dans l'art d'exprimer clairement le contraire de ce qu'il dit. C'est plut�t une qualit�. Une qualit� de publiciste. Sans ses affirmations franches et massives, qui laissent, derri�re le granit de leur armature, toujours planer un l�ger doute, surnager une poussi�re qui met l'engrenage en danger, nous mourrions b�tes, ce qui est encore plus f�cheux que la moyenne des morts. En communicateur �m�rite par ses silences et ses non-dits plus que par ses paroles ac�r�es comme une lame de ba�onnette, le g�n�ral Nezzar fait avancer la connaissance de l'�tape douloureuse que n'en finit pas de traverser l'Alg�rie plus et mieux que les rugueuses et p�remptoires analyses de ses spindoctors et de beaucoup d'hommes de plume et d'�p�e qui forment les cercles concentriques de ses oblig�s ou ex-oblig�s. La dur�e de vie d'un oblig� dans les sables mouvants de la politique de notre pays est, on le sait, singuli�rement br�ve. On a vu comment tous les ex-oblig�s des adversaires d'Abdelaziz Bouteflika se sont mis, au lendemain du 8 avril, � jouer des coudes, la t�te basse, pour gagner du champ dans la file d'attente des futurs oblig�s. Mais c'est une autre histoire. � trop r�duire tout � des choix tranch�s, � opposer des questions ferm�es � des r�ponses ouvertes (cette inversion est le must de la communication, ce qu'il a l'air d'atteindre d'instinct) � tout compartimenter dans les cases binaires du manich�isme, le g�n�ral Nezzar nous offre des gisements pr�cieux de commentaires, de probabilit�s qui, � d�faut de nous livrer une v�rit� ( toute la v�rit� ?), nous aident � nous en approcher. L'interview qu'il a accord�e � RFI (Radio France Internationale), dont des extraits ont �t� publi�s par les confr�res de la presse alg�roise, est un chef d'œuvre du genre. Lisons voir ! L'interviewer de RFI pose la question : c'est vous, en tant que ministre de la D�fense, qui aviez arr�t� le processus �lectoral. Douze ans apr�s, vous auriez refait la m�me chose apr�s tout le sang vers�, on parle de 200 000 morts ? Le g�n�ral Nezzar r�pond : �Ce chiffre est inexact, il faut descendre d'un tiers. Mais cela fait quand m�me beaucoup de morts. Aujourd'hui dans la m�me situation ? J'aurais fait la m�me chose, sans aucun �tat d'�me parce que sans cela, �a aurait �t� la r�gression totale du pays�. Commentaire : le g�n�ral admet sec qu'il a arr�t� le processus �lectoral. Mieux : il aurait fait la m�me chose encore aujourd'hui. Heureusement, pardi ! �a nous permet de comprendre d�finitivement que l'arr�t du processus �lectoral de 1992 et la d�mission de Chadli ne sont pas la cons�quence de la r�action de la soci�t� civile — ou d'une attente de cette derni�re —mais le fait d'un chef militaire p�n�tr� du messianisme qui enjoint de sauver son pays de la r�gression. Les d�mocrates qui ont ou donnent l'impression d'avoir, pendant ces douze derni�res ann�es, inlassablement combattu pour faire monter ce peuple menac� par l'obscurantisme dans l'arche de No� de la modernit�, appr�cieront la personnalisation. Leurs sacrifices � eux ? Bof … L'enjeu est ailleurs, mon cher. Encore une fois, tu ne piges rien � la complexit� des complexes. Un coup d'œil dans le r�troviseur et ils se (re) voient en bras s�culier d'un chef port� par la mystique du redressement qui est, depuis la nuit des temps, l'aiguillon des naufrageurs. Le g�n�ral Nezzar r�duit � la louche d'un bon tiers le chiffre de 200 000 morts, g�n�ralement admis. La d�sinvolture avec laquelle il traite le bilan (�il faut descendre d'un tiers�) montre � l'�vidence que sa m�thode de comptage est empirique. Il aurait pu aussi bien dire : �Montez-moi �a de deux tiers� ou �Coupez-moi cette poire en deux�. Admettons cependant que le bilan est de 200 000 morts moins un tiers. Le g�n�ral Nezzar ne peut pas ne pas admettre que c'est d�j� trop. Il dit : �Mais cela fait quand m�me beaucoup de morts� et un lecteur que le g�n�ral Nezzar aide � ne pas mourir b�te s'accroche d'abord au renversant �quand m�me� qui laisse croire que si le bilan tragique �tait de 200 000 le tiers compris, on n'aurait pas eu droit au �quand m�me�. On subodore que le seuil pour supprimer le �quand m�me� de r�serve est 200 000 morts. Aux deux tiers de ce seuil, �a ne fait pas beaucoup de morts, beaucoup trop de morts mais seulement �quand m�me beaucoup de morts�. On voit bien qu'avec une remarquable �conomie de mots, le g�n�ral Nezzar nous dit beaucoup de choses �quand m�me� Dans cette premi�re r�ponse aux significations prolixes, la seule chose qui manque, cruellement, c'est la d�finition de la r�gression que l'arr�t du processus �lectoral par le g�n�ral Nezzar a �pargn�e � l'Alg�rie. Ce n'est bien s�r pas une r�gression le spectacle de ces islamistes ostensibles, voire ostentatoires, qui se baladent dans les minist�res les plus importants du pays. �a n'en n'est pas plus ce Djaballah et ses ouailles, qui ne repr�sentent rien, mais qui ont visiblement assez de puissance de feu m�diatique pour peser comme un poids mort dans le d�bat sur les tr�s relatives avanc�es dans le lifting du code de la famille. Ces islamistes qui se targuent urbi et orbi d'avoir purifi� le pays en massacrant tout ce qui bouge et qui, par d�cret semi-divin, jouissent de la libert� en narguant leurs victimes outre-tombe, ce n'est point de la r�gression. Ce que nous devons probablement comprendre et qui n'est pas explicite dans les propos du g�n�ral Nezzar, c'est cela : l'arr�t du processus �lectoral, lu � partir d'aujourd'hui �videmment, donc avec l'aisance de ceux qui ont les r�sultats des courses sous les yeux, ne posait pas la question de savoir si le �janvierisme� emp�chait la r�gression de l'Alg�rie. Non. La question devait �tre libell�e ainsi : la r�gression emp�ch�e par l'arr�t du processus �lectoral est-elle consubstantielle aux islamistes du FIS ou aux islamistes tout court ? Je ne sais si une r�gression en vaut une autre mais la r�gression que nous vivons avec les islamistes hors FIS, c'est pas mal gratin� non plus. Cela dit, ce qui est discut� ici parce que la parole d'un homme public comme le g�n�ral Nezzar a pour vocation d'�tre discut�e, ce n'est pas la n�cessit� politique de l'arr�t du processus �lectoral, mais la lecture qu'en propose le g�n�ral Nezzar, qui accr�dite sans �tat d'�me l'omnipotence de l'arm�e, d�niant toute existence � la soci�t� civile ou, � tout le moins, � cette majorit� d'Alg�riens qui n'a pas vot� FIS. Le journaliste de RFI poursuit : six mois plus tard, le pr�sident (du HCE) Mohamed Boudiaf est assassin�. Qui en a �t� l'auteur : un islamiste infiltr� dans l'arm�e ou les faucons de votre arm�e ? Le g�n�ral Nezzar r�pond : Je ne sais pas qui on pourrait appeler "faucons" mais alors, il n'y aurait pas plus faucon que moi (rires)… Commentaire : le rire est le propre de l'homme et il joue aussi le r�le de lubrifiant pour faire passer la pilule. Le journaliste interroge � br�le-pourpoint : qui a assassin� Boudiaf ? R�ponse : un militaire qui est toujours en prison. La r�ponse ne suffisant pas, le journaliste compl�te la question : manipul� par qui ? La r�ponse est sid�rante : jusqu'� pr�sent, il ne parle pas. Pour moi, � 99%, il a �t� manipul� par les islamistes. T�t ou tard, il parlera. Commentaire : Nous ne ferons pas l'affront au g�n�ral Nezzar de lui faire observer qu'en la mati�re, on sait ou ne sait pas. Il doit s�rement savoir qu'on sait ou on ne sait pas. Mais admettons que Boum�arafi �a �t� manipul� � 99% par les islamistes�. Il l'aurait �t� par qui d'autre � 1% ? Le diable aimant se nicher dans les d�tails, il peut parfaitement �tre dans ce pourcentage insignifiant. D'autres questions et d'autres r�ponses ont �t� �chang�es. On peut continuer � l'envi � voir ce qu'il y a sous les pierres du chemin. Quoi qu'il en soit, il faut savoir gr� au g�n�ral Nezzar de communiquer. Il le fait, � sa mani�re, depuis quasiment octobre 1988, dont l'anniversaire dans deux jours passera aussi inaper�u que d'habitude. Il le fait et assume. Les morts de 1998 : pas possible de faire autrement ! Mais, dans son premier livre, le g�n�ral �crivain accr�ditait d�finitivement ce que tout le monde susurrait : octobre est un montage, qui a mal tourn�. Puis, pendant quelques ann�es, le g�n�ral Nezzar a �t� �lev�, � son corps d'arm�e d�fendant, � la charge de gourou pour les orphelins de berger. Il reste, de cette p�riode, des accents qui auraient �t� sublimes s'ils n'avaient �t� ternis par le d�saveu. L'histoire de �canasson� montrait que le g�n�ral Nezzar �tait un peu l'artiste de l'arm�e si je puis dire, l'homme qui s'est donn� la libert� de sortir sa parole du rang. Mais, h�las, trois fois h�las ! Il a d� revenir au pas. En ne disant rien de particulier, le g�n�ral Nezzar ouvre des pistes insoup�onnables � la v�rit�. P.S de l�-bas : Bush-Kerry, match nul. Vraiment nul. Surtout c�t� Bush. J'ai �t�, en revanche, int�ress� et intrigu� par une information publi�e par Le Figaro(du 30 septembre) sur cet Alg�rien qui a essay� de d�tourner un avion en Norv�ge � l'aide d'un couteau. Je n'en sais pas plus mais dis donc… P.S d'ici : Beaucoup de copains, qui ont lu cette chronique avant qu'elle paraisse, m'ont pr�venu qu'il peut m'en co�ter d'interpeller le g�n�ral Nezzar en personne. Quelqu'un m'a m�me rappel� que mon confr�re SAS y a gagn� un œil au beurre noir et, peut-�tre, quelques proc�s. Si on ne peut plus rien dire !