Par Farid Ghili 1917. En cette ann�e-l�, la Premi�re Guerre mondiale qui s'�tendait dans toute l'Europe cause encore des ravages abominables. Loin de ce th��tre macabre qui fera des millions de victimes trait�es ignominieusement comme de la chair � canon, en Alg�rie, d'autres hommes ayant �chapp� miraculeusement � la conscription, m�nent un tout autre combat, quotidien, de r�sistance path�tique et d�sesp�r�, face � la reconqu�te inexorable par la nature des espaces spoli�s par l'homme. Messaoud Rouabah, chamelier se son �tat, livr� au seul tourbillon de ses pens�es, guid� par l'instinct infaillible de ses animaux, avance machinalement en direction d'un point d'eau, premi�re �tape de son voyage. Messaoud, qui fait partie de ces hommes qui ont choisi de cohabiter en communion avec le d�sert, sait que le Sahara exige le respect, faute de quoi, la sanction sera sans appel. Dans ce d�sert aust�re et r�barbatif, dont les fresques et foyers de fossiles s�culaires appellent � revisiter son histoire imm�moriale, le soleil darde impitoyablement ses rayons, sur l'immensit� du sable ocre, o� seules les dunes cassent l'invariable monotonie. Messaoud conna�t parfaitement la r�gion. Les lignes des cr�tes des grandes dunes ondulant au rythme du murmure du vent, les oueds ass�ch�s se transformant subitement en torrent au moindre orage, les points d'eau providentiels, les mamelons rocheux servant de promontoire � l'occasion o� les rares arbres au feuillage p�renne n'ont plus de secret pour lui. Les nomades qui l'ont appris � leurs d�pens, savent mieux que quiconque que la fiabilit� des informations topographiques et l'observance des r�gles de base sont vitales pour leur survie. En harmonie avec la cadence lente et r�guli�re de ses compagnons de voyage, ces dromadaires, appel�s � tort ou par paresse intellectuelle chameaux, qui peuvent r�sister � la soif pendant plusieurs jours, il atteint enfin sa destination. H�las, les al�as de la nature �tant irr�sistibles, sans �tre pour autant impr�visibles, il constate d�sabus� que le point d'eau est quasiment � sec. Sans c�der au d�couragement, encore moins se lamenter, car l'une des vertus qui caract�risent un bon musulman, c'est d'accepter avec fatalit�, ce dogme profond�ment enracin� dans l'esprit, les �preuves impos�es par le Tout- Puissant et de croire � la providence. LE PUITS DE MESSAOUD Apr�s un repos m�rit� sous la fra�cheur b�nie des nuits constell�es, qui lui a permis de reprendre des forces, Messaoud d�cide de se muer en puisatier. Son s�jour au R'rhir au contact des �Ghatassines� l'a initi� � ce dangereux m�tier. Il prend son courage et ses outils rudimentaires � deux mains et il pioche consciencieusement pour atteindre la nappe phr�atique fossile depuis plusieurs mill�naires, lorsque les rivi�res et lacs n'�taient pas que des mirages efflorescents. Sangl� � la corde tress�e de fibres de feuilles de palmiers, il creuse lentement eu �gard � la dangerosit� de la t�che, longtemps de l'aube au coucher du soleil. Sans trouver l'eau . L'obstination fait partie de son temp�rament, l�gu�e par ses anc�tres, les farouches Cha�mba, qui, plusieurs si�cles auparavant, apr�s avoir �cum� les grands chemins, finirent par s'installer, 300 km plus au nord, dans une contr�e rocailleuse et inhospitali�re qui forgea, forc�ment, ce caract�re rugueux et rev�che qui leur permet, en toutes circonstances, de faire face aux �preuves. La pr�sence d'un liquide noir�tre et visqueux appel� �guetrane �, utilis� d�j� comme combustible par les anciens, qui l'agace un chou�a, mais auquel il n'accorde pas trop d'importance, ne le d�tourne pas de sa qu�te effr�n�e de l'eau salvatrice, qu'il finit par trouver, naturellement, comme si de rien n'�tait. En ce moment pr�cis, Messaoud ne se doutait pas que ce �guetrane� qui l'a s�rieusement handicap� dans son labeur, s'av�rera plus tard, tout aussi pr�cieux que l'eau et impactera d�finitivement le destin de ce lieudit au milieu de nulle part, mais aussi celui de l'Alg�rie. Messaoud abreuva d'abord son troupeau, puis ensuite seulement il se d�salt�ra et fit un brin de toilette. Ces coups de pioche annoncent la naissance de Hassi Messaoud (Bir Messaoud). 1958. La guerre d'Alg�rie fait rage. A Hassi Messaoud, la soci�t� Repal, qui a essuy� des �checs dans la recherche, notamment dans la r�gion de Relizane, d�buta enfin l'exploitation du p�trole qui a jailli des entrailles de la terre en 1956 en mettant en service le puits MD1, qui, ironie du sort, ne sera qu'� 1 km du puits creus� par Messaoud, presque 40 ans auparavant. Ce lieudit, o� venaient s'approvisionner en eau les caravaniers, deviendra, d�sormais, la destination privil�gi�e pour les pionniers du p�trole en Alg�rie. Au fil du temps, les tentes en toile vulgaris�e par le fameux blue jean, feront place aux baraquements collectifs en t�le, puis aux cabines dites sahariennes en bois, et enfin � l'�rection de bases-vie en dur, avec les espaces verts et les commodit�s n�cessaires, parall�lement au d�veloppement des installations industrielles. Le premier puits de p�trole MD1 fait rapidement tache d'huile. Il devenait �vident que Hassi Messaoud recelait l'un des plus grands gisements p�trolif�res du monde. Son exploitation n�cessitait, cependant, des moyens techniques et financiers importants. Les autorit�s fran�aises scind�rent l'immense champ en deux zones g�ographiques ; outre la Repal, qui avait la concession des champs, situ�s au Sud, il fut attribu� les champs du Nord � la CFPA. Chacune de ces deux soci�t�s �rigea sa propre base-vie, distantes d'une quinzaine de km l'une de l'autre. Chaque base poss�de sa p�pini�re, sa piscine, sa ferme, sa salle de spectacle, ses caf�s, ses installations sportives. Cependant, la s�gr�gation manifeste, notamment dans les conditions d'h�bergement et de restauration qui existait entre les Fran�ais et la majorit� des Alg�riens, exacerbait les esprits de ceux qui �taient aux yeux des expatri�s, encore des indig�nes, qui ne pouvaient, de ce fait, b�n�ficier des m�mes droits. Rapidement, un petit centre administratif en charpente m�tallique, avec quelques commerces et services, en forme de couloir a�rien, verra le jour, quasiment � �quidistance des deux bases, v�ritables cit�s id�ales pour les uns et cit�s ouvri�res pour la majorit� indig�ne. Lorsque l'exploitation commence, la population de Hassi Messaoud, r�sidant en majorit� dans les bases p�troli�res, n�exc�de pas 1 500 �mes. Progressivement, des demandeurs d'emploi des r�gions environnantes, notamment, de Oued Souf et Cha�mba afflueront, en qu�te d'un emploi, de man�uvre essentiellement. Le lieu de rencontre et de recrutement sera un caf� maure qui deviendra c�l�bre sous l�appellation, certes sarcastique, de �Qahouette Choumara� (�Caf� des Ch�meurs), mais refl�tant avec justesse le statut social de la pl�be qui le hante quotidiennement. F. G.