1971. Le 24 f�vrier de cette ann�e, Houari Boumedi�ne, chef du Conseil de la R�volution, d�cida de nationaliser les hydrocarbures, contre l'avis de certains membres du gouvernement. En d�pit du d�part massif des Fran�ais qui occupaient les postes strat�giques, les cadres et travailleurs alg�riens relev�rent le d�fi de faire fonctionner les installations industrielles, sans arr�ter la production, au grand dam des autorit�s fran�aises. En guise de r�torsion, ces derni�res boycotteront les importations alg�riennes, notamment les hydrocarbures et le vin. Quelques ann�es auparavant, l'Iranien Mokadem avait ch�rement pay� de sa vie la nationalisation du p�trole de son pays. 1983. La politique de restructuration des soci�t�s nationales pr�nera la d�centralisation vers leur lieu d'activit� principale. Afin de p�renniser la population, des centaines de travailleurs sont encourag�s � r�sider en famille � Hassi Messaoud. Pour ce faire, apr�s le projet avort� en 1975 de construire (d�j�) une ville moderne avec toutes les infrastructures d'accompagnement, 1 862 pavillons sont construits un peu dans l'urgence, dans une cuvette pr�s du centre-ville historique. Le patelin fant�me laisse place aux pr�mices de la cit� dortoir. Depuis l'ind�pendance, jusqu'en 1985, Hassi Messaoud �tait un centre industriel saharien, administr� par Sonatrach. Apr�s le nouveau d�coupage administratif, Hassi Messaoud est �rig� en municipalit� g�r�e par une Assembl�e populaire communale (APC). Pour absorber les nouveaux arrivants, notamment les fonctionnaires, 4 000 logements sont construits par les pouvoirs publics, mais sans un v�ritable plan directeur d'am�nagement du territoire. A partir de 1992, sous la pouss�e des migrants internes, le petit centre urbain se m�tamorphose en une ville ou plut�t devient un gros village, caract�ris� par une architecture �clectique, diss�min� dans des lieux s'av�rant hostiles � la vie sociale. Le clivage entre les travailleurs des soci�t�s p�troli�res et parap�troli�res h�berg�s par leurs employeurs d'une part et le reste de la population stratifi�e en couches sociales h�t�roclites dont nombre de laiss�s-pour-compte consid�r�s comme une non-force �conomique, toutes en manque de rep�res, s'accentue jusqu'� engendrer des probl�mes de socialisation. Les premiers vivant intra-muros dans des bases-vie b�n�ficiant de toutes les commodit�s, les autres ayant pour seule distraction les rencontres dans les salons de th� ou caf�s et la fameuse sup�rette pour les femmes. Seule la pri�re du vendredi permet l'agr�gation des deux communaut�s. Le centre urbain �tend ses tentacules dans l'anarchie la plus totale, avec les probl�mes sociaux, �conomiques, d'hygi�ne, environnementaux, s�curitaires inh�rents � cette pouss�e devenue d�sormais incontr�lable. Le plan d'urbanisme �labor� en 1995 ne peut arr�ter cette pagaille. Une partie de la ville est m�me b�tie sur des conduites de p�trole (ol�oducs). Ce n'est qu'en 2005 qu'elle est d�cr�t�e �zone � risques majeurs�. La ville la plus riche d'Alg�rie, exsangue et sans �me, au pass� qui se conjugue au pr�sent, semble, d�j�, ne plus croire � son avenir. La d�cision de d�localisation et cr�ation d'une nouvelle ville � 80 km s'est traduite par l�aggravation de son �tat de d�laissement total ; le r�seau routier truff� de nids-depoule est � l'abandon au point o� les rares taxis, y compris les clandos, refusent de vous transporter dans certains quartiers de peur d'endommager leur v�hicule ; les transports en commun sont inexistant ; les d�lestages fr�quents mettent � mal les appareils �lectriques ; les ordures jonchent les rues au grand bonheur des animaux qui b�nissent le ciel pour ces offrandes quotidiennes ; l'eau est imbuvable, les plus chanceux s'approvisionnent en eau trait�e dans les bases-vie, les plus nantis ach�tent l'eau min�rale dans une sup�rette r�put�e, lieu de rendez-vous du tout Hassi Messaoud, en d�pit de sa proximit� (une quinzaine de m�tres) avec un puits de p�trole. Allah yestar. Son accession au rang de da�ra ne pourra �viter le chaos qui s'est install�, ad vitam �ternam, professent les incr�dules. Hassi Messaoud devient incontestablement l�antith�se en mati�re de cr�ation de ville nouvelle. Elle qui s'est par�e de tous les attributs de la laideur, se compla�t dans une d�liquescence p�renne et absorbe comme une �ponge, tous les maux sociaux. L'AV�NEMENT DES COMPAGNIES AMERICAINES, DES FEMMES ET EL HAICHA L�av�nement de compagnies, principalement am�ricaines, qui ont �t� les premi�res � recruter � grande �chelle, le personnel f�minin originaire de l'ouest du pays (curieusement, issues essentiellement des r�gions de Sa�da, Tiaret et Bel- Abb�s), conjugu� � l�externalisation de certains m�tiers confi�s d�sormais � la sous-traitance, ont d�velopp� une nouvelle sociologie des groupes sociaux et engendr� un mode de vie �volutionniste, in�dit pour une population h�t�roclite, culturellement sous-d�velopp�e, confront�e � une majorit� de femmes �mancip�es gr�ce � leur ind�pendance �conomique et l'�loignement du carcan familial. Pour une population de 60 000 habitants, pr�s de la moiti� est constitu�e de femmes, d�clar�es � la Caisse d'assurance sociale locale***, un chiffre incroyable fourni par la CNAS locale. Le ratio femmes/hommes en activit� est donc certainement l'un des plus �lev�s au monde. Il ne faut pas perdre de vue que r�cemment encore, la population de Hassi Messaoud �tait constitu�e presque uniquement d'hommes ; les quelques femmes qui y r�sidaient �taient des membres des familles des cadres de Sonatrach et ses filiales, vivaient en vase clos. Cette nouvelle donne a boulevers� la conduite des hommes issus pour la majorit� du monde rural, peu habitu�s � la mixit� et vivant en c�libataire, en grande partie. Ce m�lange non accept� par une partie de la population n'a pas �t� sans cons�quences tragiques, dont les violences commises en 2001, au tristement c�l�bre bidonville El Ha�cha (la B�te), � l'encontre de femmes, est symptomatique de l'attitude singuli�rement incoh�rente d'individus reprochant aux victimes, avec une rare hypocrisie, un comportement dont ils sont les premiers acteurs. Ce sont ces m�mes pseudo- justiciers, faux d�vots mais v�ritables marchands de sommeil, qui exploitent la d�tresse de ces femmes en leur louant des garages sans commodit�, qui feront office de chambre. M�me si la population originaire du Sud consid�re que la richesse du sous-sol doit profiter en priorit� � ses enfants, il ne faut surtout pas imaginer que tous les habitants du bidonville ou plut�t de la ville bidon El Ha�cha ou du quartier �136� **** sont des laiss�s-pour-compte. Beaucoup d'entre eux ont fait fortune en devenant sous-traitants ou en louant des engins pour les entreprises de r�alisation. Le nombre d'engins de travaux publics stationnant au bord de la route, face � El Ha�cha est �difiant, et les immenses b�tisses � plusieurs niveaux, qui remplacent maintenant les taudis en bois r�cup�r�s des caisses d'emballage des �quipements import�s, corroborent la r�ussite �conomique de cette frange de la population. Pour ceux-l�, Hassi Messaoud s'av�re l'eldorado. Et c'est tant mieux. Ce sont les vicissitudes de la vie telles que le ch�mage, la pauvret�, pour la majorit� et l'aventure, pour quelques-uns, qui ont attir� des citoyens de tous sexes et de toutes origines � Hassi Messaoud. Pour la plupart des travailleurs, Hassi Messaoud ne sera qu'une parenth�se, qu'ils refermeront sans h�siter, d�s que l'opportunit� d'un travail stable avec un salaire d�cent se pr�sentera dans leur r�gion. Pour les prol�taires du Nord (bien qu'ils soient bard�s de dipl�mes pour certains), Hassi Messaoud est loin d'�tre l'eldorado noir r�v�. La promiscuit�, la pr�carit� de l'emploi, l'ins�curit�, l�isolement, ou encore heureusement le mariage, sont des facteurs les incitant � retourner chez eux � la premi�re occasion qui se pr�sentera. Est-ce que la future (?) nouvelle ville de Hassi Messaoud, pouvant abriter 80 000 habitants qui devrait �tre construite dans 8 ans, dans un site situ� � 80 km de l'actuel Hassi Messaoud, changera les conditions de vie de ces mis�reux migrants dans leur propre pays ? C'est certainement la pri�re votive qu'ils doivent formuler en invoquant le saint local au puits de Bir Messaoud, for� de ses propres mains en 1917, par un chamelier chaambi qui l�guera pour seul tr�sor un toponyme � la r�putation bien �tablie. Notes : * La nature, d�cid�ment, n'est pas �go�ste. Sinon comment expliquer que l'homme du XXe si�cle remette � jour sous forme d'hydrocarbures, les poissons et dinosaures amphibies qui peuplaient l'actuel Sahara et les gigantesques accumulations de mati�res organiques d�pos�es depuis l��re secondaire. ** Hassi et bir signifient puits : l'un ou l'autre sont usit�s en fonction de leur profondeur de l'excavation. En ce lieu pr�cis, � quelques kilom�tres du centre-ville, recouvert d'un demi-d�me, ce puits, tari depuis, est devenu quasiment sacr�, un lieu de visites et de d�votion de la part de personnes souhaitant obtenir ses faveurs pour exaucer un v�u. Les cierges br�l�s et les mains enduites de henn� appos�s sur les murs chaul�s en sont les t�moins concrets. *** Il faut relativiser ce ratio �tonnant. Ceci s'explique, selon moi, par la conjugaison de deux facteurs : le turn over extr�mement important du personnel f�minin, g�n�ralement sous-qualifi�, recrut� en CDD, par les soci�t�s de sous-traitance, notamment de catering et de gestion h�teli�re, ainsi que probablement par la non-d�claration de certaines cat�gories masculines qui activeraient d'une fa�on informelle. **** 136, 200, 400, 1 800, etc. d�signent certains quartiers � Hassi Messaoud. Toutes les villes d'Alg�rie n'�chappent pas � ces d�nominations num�ro-cafardeuses qui vous impr�gnent de m�lancolie et favorisent la d�prime rien qu'� leur �nonc�.