Par Boualem A�ssaoui, producteur-r�alisateur D�j� � l�a�roport d�embarquement dans une grande ville r�gionale d�un pays europ�en, il avait remarqu� que le comptoir d�enregistrement d�Air Alg�rie n��tait plus confin� dans un angle mort o� il fut dissimul� durant ces longues derni�res ann�es aux yeux des passagers des compagnies du Nord, comme un corps �tranger porteur d�une maladie honteuse. Les h�tesses �taient jeunes, belles, souriantes, ex�cutant leurs t�ches avec assurance, courtoisie et rapidit�, renvoyant au rayon des archives l�image de ces employ�es aux silhouettes entass�es, aux coiffures approximatives exag�r�ment maquill�es, m�chant grossi�rement d�interminables chewing-gums, conversant bruyamment entre elles et ignorant du regard le passager dont le billet de transport est pourtant la source principale de leurs salaires. Dans la salle d�embarquement r�serv�e aux vols d�Air Alg�rie, mitoyenne avec les grandes destinations mondiales, finies les mines tristes qui offraient nagu�re beaucoup plus l�image d�un cort�ge fun�bre que celle de voyageurs heureux de retourner dans leur pays. Finis aussi les sacs en fibre de plastique portant la marque d�une cha�ne de magasins parisiens tr�s populaires en milieu �migr� et dont la seule vue indiquait qu�il s�agissait bien d�un vol en partance pour Alger ; finis les bagages volumineux qui encombraient les files d�attente, les couloirs et les coffres des cabines des avions qui pouvaient d�s lors flotter en l�air dans des conditions confortables ; les soutes � bagages ayant enfin retrouv� toute leur vocation. L�avion �tait arriv� � l�heure d�Alger, et durant les pr�paratifs du retour, l��quipage tr�s discret, dans un uniforme flambant neuf qui inspire le respect et la fiert�, ne se pr�cipitait plus aux free shops pour revenir quelques instants plus tard les bras charg�s de sachets sous le regard moqueur des passagers aux yeux desquels il perdait un peu de l��l�gance de son statut en faisant ses courses de fa�on aussi ostentatoire. Durant le vol, les passagers se surpassaient en courtoisie entre eux et envers le personnel de cabine dont le profil r�pondait sans h�sitation aucune au casting le plus strict des plus grandes compagnies a�riennes et qui accomplissait ses t�ches avec un professionnalisme et une s�r�nit� remarquables. Le commandant de bord, une femme, intervenait au micro pour souhaiter un bon app�tit � ses passagers � l�heure du service repas, et donner de temps � autre quelques informations techniques sur le vol et les zones travers�es. L�atterrissage � l�a�roport international d�Alger fut impeccable, ponctu� par des applaudissements en cabine, les formalit�s de police simplifi�es, sans carte de d�barquement pour les nationaux, les instruments de contr�le �lectroniques � distance dispensant les agents de la police des fronti�res, tr�s courtois, des exercices d��criture et de r��criture au stylo � bille d�antan auxquels ils �taient astreints auparavant, l�arriv�e des bagages sur le tapis imm�diate et le contr�le douanier tr�s fluide et tr�s physionomiste et, sauf signalement pr�alable, les passagers empruntaient, la d�marche assur�e, le passage �rien � d�clarer�. Le hall de l�a�roport offrait l�ambiance d�une v�ritable a�rogare internationale o� se croisaient des gens de diverses nationalit�s parmi lesquels des groupes de touristes de tout �ge et des hommes d�affaires attendus visiblement par leurs partenaires nationaux. Aucune trace des badauds qui arpentaient les lieux il y a quelques ann�es, le port n�glig�, ni des chauffeurs de taxi clandestins qui op�raient au grand jour, ni des cambistes ambulants qui offraient leurs services, avec insolence, aux abords imm�diats des guichets des banques. A l�air libre, il ressentait une sensation de bien-�tre et tout �tait ordonn� pour donner du sens � son sentiment. Il n�eut pas de peine � prendre un taxi d�une propret� impeccable dont le chauffeur en tenue r�glementaire lui ouvrit la porte, apr�s avoir rang� soigneusement ses bagages dans le coffre arri�re du v�hicule. A l�int�rieur du taxi �quip� d�un GPS, une �tiquette bien en vue renseignait les clients que le conducteur parlait trois langues �trang�res, le fran�ais, l�anglais et le chinois. L�autoroute qui menait � la capitale avait bien chang� depuis son lointain voyage. Des palmiers, les pieds dans des tapis de fleurs, dessinaient une magnifique perspective, les bordures de la route �taient nettes, la signalisation parfaite et de grands panneaux au design recherch� vantaient les richesses touristiques du pays et incitaient les touristes � visiter La Casbah d�Alger qui �talait au loin, avec la fiert� d un rocher qui a su r�sister � toutes les �preuves du temps, son immense manteau blanc. La baie d�Alger accueillait dans ses bras de majestueux bateaux de croisi�re dont les passagers aux tenues estivales, debout sur les ponts, faisaient de grands signes de la main � une ville belle et rebelle, � l�hospitalit� l�gendaire, et tout au long de l�autoroute c�t� mer, on apercevait une all�e pi�tonne ombrag�e avec des aires de jeux pour les enfants, des bancs publics pour les personnes �g�es et des pistes sp�cialement am�nag�es pour les passionn�s du sport de tout �ge. A la rue Didouche- Mourad, l�une des plus belles art�res de la capitale, il croise avec plaisir de nombreux jeunes gens et jeunes filles, certains bras dessus, bras dessous, pudiques et fiers de leur jeunesse et de leurs instants de bonheur. L�universit� avait apparemment retrouv� sa vocation contestataire et des cort�ges d��tudiants encadr�s par un service d�ordre parfaitement organis� faisaient les cent pas � l�int�rieur de l�enceinte universitaire, portant d�immenses pancartes sur lesquelles on pouvait lire : �Sans travail, avec nos dipl�mes, on ne ferait pas de meilleurs citoyens�, puis plus loin, �Le savoir au pouvoir !� Tout un programme� C�est un signe de bonne sant�, se dit-il, car une universit� sans voix, sans bouillonnement intellectuel, devrait inqui�ter davantage gouvernants et soci�t�. Aux terrasses des caf�s, des couples sont attabl�s, de jeunes femmes sirotent une boisson rafra�chissante au milieu d��clats de rire qui n��veillent aucun regard indiscret, le cercle des �tudiants �tait de nouveau ouvert et le gar�on qui officiait d�une table � une autre, portant tablier blanc, les cheveux gomin�s, claquant du talon et faisant tourner le plateau autour de sa main rappelait jusqu�aux moindres tics le personnage de �Maurice� du temps des folles ann�es de la vie estudiantine au lendemain de l�ind�pendance, il y a de cela cinquante ans. La �brasserie des facult�s � dont le service proposait autrefois les meilleurs crus d�Alg�rie et qui dut, durant une longue p�riode, se couvrir d�une baie vitr�e et de rideaux en dentelle pour se prot�ger des regards hostiles, voire inquisiteurs, avait heureusement �t� son voile et renou� avec son charme d�antan. La caf�t�ria �immortalis�e� dans La Bataille d�Alger, o� il aimait prendre son caf� matinal fuyant le rituel sans saveur du restaurant universitaire, avait rouvert ses portes. Tout lui rappelait en mieux les premi�res ann�es de l�ind�pendance, et tr�s vite, il comprit que la jeunesse d�aujourd�hui qui ne pouvait �tre accus�e de faire dans la nostalgie avait fini par comprendre apr�s de douloureuses �preuves, que le rapport � l�identit� et � la spiritualit� pouvait se construire dans la libert� et la tol�rance et cohabiter avec un mode de vie qui sied � une grande cit� m�diterran�enne aux richesses touristiques immenses. Tout au long de cette mythique art�re principale d�Alger qui porte le nom d�un h�ros de la lutte de Lib�ration nationale, des bacs � fleurs donnaient de la couleur et des parfums � la ville dont les trottoirs, avait-il remarqu�, �taient enfin recouverts de grandes dalles en granit au grand bonheur des passants qui marchaient maintenant la t�te haute, assur�s et rassur�s d�sormais contre de f�cheux �accidents de parcours �. D�apr�s ses souvenirs, les trottoirs de toutes les villes et villages d�Alg�rie qui ont aliment� d�innombrables anecdotes ont permis la construction non pas d�espaces pi�tons propres et durables mais de fortunes toujours recommenc�es, les mat�riaux utilis�s peu fiables et ne r�sistant pas apparemment � est-ce de l�incomp�tence ou est-ce d�lib�r� � � la dur�e d�un seul mandat des �lus locaux. Sur le front de mer, l�un des plus c�l�bres de la c�te m�diterran�enne, l� aussi, des compositions florales suspendues � des lampadaires en ferronnerie d�art ajoutaient � la beaut� de la baie d�Alger, et les touristes d�j� � pied d��uvre, appareils photos et cam�ras aux poings, rivalisaient en prises de vues pour alimenter leurs banques de souvenirs. Des rondes mixtes de policiers, bien portants, uniformes sur mesure et la d�marche mesur�e, certains mont�s � cheval, assuraient par leur seule pr�sence dissuasive la qui�tude des passants qui traversaient les voies dans une grande discipline aux endroits r�glementaires largement et tr�s visiblement indiqu�s. Le taxi le d�posa � l�h�tel Aurassi qui domine la ville de son imposante architecture. Ambiance d�un h�tel international magnifiquement restaur�, o� les touristes, reconnaissables � leur allure d�tendue, croisent des hommes d�affaires qui rejoignent, le pas alerte, la salle de n�gociations. Il eut � peine le temps d�appr�cier la qualit� de l�accueil que le voici dans sa chambre, scrutant � travers le rideau la baie d�Alger merveilleusement illumin�e. Une soir�e toute enti�re consacr�e aux souvenirs�En se regardant dans un miroir de sa chambre avant de s�endormir, il se demanda pourquoi il �tait en train de consigner tout ce qu�il voyait autour de lui depuis le d�but de son voyage. Il se rappela soudain qu�il eut un �trou noir� � l�instant m�me o� il se proposait d��crire, c�est sa passion, une lettre �� l�ind�pendance sous forme de fiction, dans un genre litt�raire et artistique dans lequel il aime � s�exercer, pour demander des nouvelles du pays. Et le voil� maintenant transpos� dans la r�alit�, observant au moindre d�tail ce qui a chang� dans la ville. En fait, il avait en temps r�el les r�ponses aux questions qu�il souhaitait poser, sans avoir � �crire une lettre et sans attendre de nouvelles. Mais �tait-il vraiment dans la r�alit� ? Lettre� � l�ind�pendance. Quelle id�e d�intituler ainsi son courrier ! Peut-�tre a-t-il �t� inspir� par cette anecdote que lui avait rapport�e un ami africain et qui mettait en sc�ne un paysan venu des profondeurs de la brousse pour �couter le discours que son pr�sident de la R�publique pronon�ait dans un village voisin et qui, d��u et �puis� par des promesses qui n�avaient pas chang� d�un iota sa vie quotidienne, apostropha l�auguste orateur, en ces termes : Monsieur le Pr�sident, l�ind�pendance� quand est-ce que �a s�arr�te ? L�histoire ne dit pas quel sort fut r�serv� � �l�impertinent � paysan qui associait, comme de nombreux citoyens des pays nouvellement ind�pendants, gouvernance et ind�pendance. Bien s�r, se dit-il, comme nulle part ailleurs, l�ind�pendance de l�Alg�rie avait un prix et qu�elle ne pouvait �s�arr�ter� que si ses enfants l�chaient prise et tournaient le dos, dans un monde de plus en plus arrogant, � leur h�ritage. C�est parce qu�elle avait un grand prix que �l�ind�pendance � avait le droit d�interpeller, � l�image de ce paysan africain plein de bon sens, �la gouvernance� du moment, et � d�faut de voir tous ses espoirs se r�aliser, nourrir les r�ves les plus fous, et bien plus, prendre ses d�sirs pour la r�alit�. Le lendemain de son retour au pays apr�s tant d�ann�es d�absence et une perte de m�moire qui commen�ait � s�estomper, il reprit, � pied cette fois-ci, le chemin du centre-ville en empruntant pour la premi�re fois le m�tro nouvellement mis en service. Dans le hall du m�tro, de jeunes musiciens, guitare en mains, jouaient quelques airs de cha�bi, donnant ainsi un cachet typiquement alg�rois aux lieux, puis rejoignant la rame, il contempla avec plaisir sur les parois, de grandes fresques repr�sentant les sites alg�riens class�s au patrimoine mondial. A l�int�rieur des voitures du m�tro, la majeure partie des passagers en tenue de ville �tait plong�e dans la lecture de journaux, de revues ou de livres ; les jeunes offrant � l�occasion leurs si�ges en signe de respect � des personnes �g�es. De la station de la place des Martyrs o� il descendit, il rejoignit tr�s vite, le c�ur serr�, La Casbah, les images qu�il gardait � l�esprit lui faisant craindre le pire, c'est-�-dire une d�gradation avanc�e de cette cit� historique. D�s qu�il posa pied � Zoudj Ayoune, il fut �merveill� par la transformation des espaces. La Casbah avait enfin retrouv� son cachet d�antan, avec des ruelles commer�antes d�di�es � des corporations de m�tiers traditionnels o� le fabriquant d�instruments de musique c�toyait le miroitier et le brocanteur tandis que les boutiques des herboristes emplissaient l�atmosph�re de senteurs enivrantes. A la sortie du Palais de Dar Khedaoudj El Amia, qui n��tait plus le si�ge du Mus�e des arts et traditions populaires transf�r�, lui dit-on, au Bastion 23, il rencontra un cort�ge de femmes habill�es en ha�k blanc qui c�l�braient, sous les youyous de l�assistance, la Journ�e du patrimoine. La Casbah, forteresse historique qui veille sur la baie, h�ro�ne de la bataille d�Alger durant la guerre de Lib�ration nationale, �tait devenue un mus�e � ciel ouvert dont les visiteurs venus du monde entier parcouraient les ruelles, s�arr�tant un instant devant l�endroit marqu� d�une plaque comm�morative o� Ali La Pointe et ses compagnons, pr�f�rant le sacrifice supr�me � la reddition, p�rirent ensevelis sous les bombes d�une arm�e coloniale aux g�n�raux assassins. Peu d�habitants sont rest�s � La Casbah, la majeure partie ayant �t� relog�e dans une cit� situ�e � l�est d�Alger, proche de la mer, construite exactement sur le mod�le architectural de La Casbah historique, mais disposant de tout le confort moderne. En quittant La Casbah, ses pas le conduisirent tout naturellement vers la mosqu�e Ketchaoua d�o� sortaient en rangs ordonn�s des fid�les tout habill�s de blanc. La pri�re � la mosqu�e dans des tenues propres, �clatantes de blancheur, donnait selon lui � l�acte de soumission � Dieu la beaut� qui sied � la puret� de l��me, et il �tait heureux de constater que les �bayas aux couleurs sombres �taient bien rares, et que les ports n�glig�s avaient fini par dispara�tre. Plus loin, au square Port Sa�d, apr�s avoir travers� la rue Bab Azzoun et ses �choppes qui ont fourni nombre de trousseaux aux jeunes mari�es d�Alger et d�ailleurs, il eut la surprise de voir des artistes peintres, probablement des jeunes de l�Ecole des beaux-arts, dresser le portrait de passants ou reproduire des �uvres d�art c�l�bres, � c�t� d��tals de marchands de souvenirs qui donnaient affectueusement une derni�re caresse aux objets avant de s�en s�parer au profit de clients ravis de leur belle acquisition. Chemin faisant, en allant vers le centre- ville, il eut la surprise de voir un cort�ge officiel s�arr�ter au feu rouge, et il ne put s�emp�cher de se rappeler �le bon vieux temps� o� m�me de retour � son domicile apr�s ses heures de travail, une personnalit� officielle avait �le droit� d�actionner le gyrophare de son v�hicule et de doubler, parfois dangereusement, une longue file de voitures dont les conducteurs avaient �appris� heureusement, par l�effet de ce fameux r�flexe de Pavlov, � serrer � droite, sans qu�on leur r�p�te trois fois l�injonction. A la place Emir-Abdelkader, dont la st�le a �t� d�plac�e sur le c�t� droit pour lib�rer la belle perspective de la rue Ben M�hidi qui pouvait serpenter ainsi jusqu�� la Grande-Poste dont on distinguait au loin les lignes n�o-mauresques, il s�attarda un moment devant un �difice portant le nom �Fondation du FLN� et il comprit aussit�t que ce qui �tait souhait� depuis fort longtemps, y compris par des historiques du FLN et nombre de moudjahidine, avait fini par se r�aliser. Le FLN �tait rendu � l�histoire et ceux qui s�en sont r�clam�s durant de longues d�cennies avaient cr��, lui dit-on, un nouveau parti sous le sigle �El Djebha� (le Front) sans que personne n�ait trouv� � redire ; la formule arrangeant en d�finitive tout le monde. L�histoire ne dit pas si le mouvement des redresseurs survenu un moment dans la longue vie du FLN avait eu le temps d�atteindre sa cible. Il trouva le temps de visiter, plus loin, � proximit� du centre-ville, le march� couvert de la ville enti�rement refait apr�s avoir enlaidi durant de longues ann�es le visage de la capitale et o� les boutiques, notamment les �tals des fruits et l�gumes, les poissonniers affichaient les prix d�achat et de vente des produits qu�ils proposaient � la vente � la grande satisfaction des clients qui se souvenaient � peine du temps o� les marchands dictaient leurs prix en l�absence de tout contr�le de l�Etat qui avait d�sert� tous les espaces commerciaux au motif de respecter� la libert� des prix ! De retour � l�h�tel, il prit soin de noter dans son journal tout ce qu�il avait observ� durant la journ�e puis actionna une t�l�commande pour voir le journal t�l�vis�. Il eut l�embarras du choix et m�me quelques surprises en passant d�une cha�ne alg�rienne � une autre, publique ou priv�e. Le Premier ministre alg�rien, une femme, �tait invit�e sur le plateau de la premi�re cha�ne publique pour parler des droits de l�homme, le nouveau pr�sident de la R�publique maghr�bine sahraouie, dont la lutte pour le droit � l�autod�termination avait fini par triompher et qui avait sign� depuis une union �conomique et culturelle avec le Maroc ainsi qu�un trait� d�amiti� et de coop�ration avec l�Alg�rie, s�entretenait avec le pr�sident de la R�publique alg�rienne en marge d�une rencontre internationale. De l�entretien accord� par le pr�sident sahraoui � des journalistes espagnols, il crut comprendre que ce pays nouvellement ind�pendant avait donn� son accord pour l�ouverture sur son sol d�une repr�sentation du �mouvement de lib�ration de Ceuta et Melilla� et que son gouvernement apportait tout son soutien au peuple marocain pour le recouvrement de son int�grit� territoriale. Des reportages diffus�s, il s�int�ressa un long moment � l�inauguration du �Mus�e de la colonisation� �rig� � Sidi Fredj � l�endroit m�me du d�barquement des troupes fran�aises d�occupation, et dont l�exposition permanente retrace avec force d�tails et preuves, les crimes de la colonisation fran�aise en Alg�rie qui m�rite bien un �grand proc�s�, qu�une �uvre cin�matographique pourrait donner un jour � voir aux g�n�rations futures� d�cid�ment, se dit-il, quelque chose avait vraiment chang� dans la demeure alg�rienne. Des d�put�s jeunes, en d�bat dans leurs permanences avec leurs �lecteurs, des ministres mis en difficult� � l�Assembl�e alg�rienne en direct sur une cha�ne parlementaire, un ministre qui annonce sa d�mission suite � un scandale d�couvert par la Commission de lutte contre la corruption dans son d�partement minist�riel, d�anciens officiers de la lutte de Lib�ration nationale qui d�dicacent leurs �M�moires� et qui parlent sans tabou de certains dossiers entour�s de myst�res jusqu�� peu, des puissances europ�ennes qui viennent demander de l�aide financi�re � Alger pour contenir la crise qui menace leur stabilit� sociale, une agriculture exc�dentaire fortement exportatrice, un tourisme qui vend ses atouts � prix d�or, une industrie des brevets d�invention en plein essor qui contracte avec les plus grandes marques mondiales, un trait� d�amiti� et de coop�ration avec la France qui avait fini par reconna�tre ses crimes coloniaux en Alg�rie, d�autres accords de grande envergure avec les Etats- Unis d�Am�rique, la Chine, la Russie et tant d�autres nations� Toujours face � la t�l�vision, dans sa chambre d�h�tel, il se fixa un instant sur un documentaire consacr� � l�architecture en Alg�rie dont la r�glementation exigeait que les toitures des maisons individuelles dans les villes et les campagnes de tuiles rondes, et qu�aucune construction inachev�e ne serait tol�r�e au-del� du d�lai imparti au permis de construire. Il s�imagina aussit�t, dans un avion, c�t� hublot en phase d�atterrissage � l�a�roport d�Alger, admirant le beau panorama qui s�offrait � ses yeux sans les terrasses b�tonn�es et les poteaux surmont�s de barres de fer qui enlaidissaient jadis Alger vue du ciel. Dans un autre reportage sur une cha�ne priv�e nouvellement cr��e par un grand quotidien national ind�pendant de langue fran�aise, il s�aper�ut que la Maison de la presse n��tait plus le si�ge collectif des journaux priv�s mais un mus�e o� �tait racont�e l�histoire de la presse alg�rienne depuis ses origines jusqu�aux ann�es de la d�cennie noire qui a d�cim� nombre de journalistes h�ros de la plume contre l�intol�rance, et pour le salut de la R�publique. On y trouvait aussi des librairies, des boutiques de produits multim�dias, des caf�s-litt�raires et un club des anciens journalistes o� se m�laient v�t�rans et jeunes talents. Il s�endormit sur ces images� Le lendemain soir, il d�cida d�aller fl�ner au centre-ville. Il fut admirablement surpris par une animation nocturne digne des grandes capitales m�diterran�ennes. Familles, jeunes gens, filles et gar�ons occupaient les terrasses des restaurants, des caf�s et des salons de th�, d�gustaient des glaces ou se promenaient dans les grandes art�res de la capitale et dans ses quartiers historiques, dans une s�curit� et une s�r�nit� parfaites. Il se dit que les habitudes propres au mois de Ramadhan avaient fini par d�border heureusement au-del� de ce mois de privations diurnes et de jouissances nocturnes, et que la ville n��tait plus en habits de deuil une fois le soleil couch�. Au port d�livr� enfin des barricades qui le s�paraient injustement de la ville, des bateaux navettes prenaient la direction des villes c�ti�res comme Tamentfoust ou Tipasa, et on pouvait distinguer sur les ponts des terrasses illumin�es o� des passagers avaient pris place pour se restaurer ou se rafra�chir avant de rejoindre leurs destinations, ou tout simplement pour une excursion maritime nocturne. Les salles de cin�ma, de th��tre et de concerts lib�raient en diff�rents points de la ville des vagues de spectateurs qui commentaient, chemin faisant, le dernier film de Mohamed Lakhdar Hamina dont le rayonnement culturel a d�pass� depuis longtemps les fronti�res du pays, la reprise par M�hamed Benguettaf de la c�l�bre pi�ce Blis Laouer Kayen Menou ? adaptation libre d�Ivan Ivanovitch a-t-il exist�, ou fredonnaient avec plus au moins de bonheur le dernier titre de la nouvelle �toile de la chanson andalouse alg�rienne. Il aper�ut des voitures de nettoyage bien silencieuses conduites par des jeunes constitu�s en coop�ratives sous le nom �Alger la blanche�, bien visible sur leurs blousons, qui passaient � grande eau les trottoirs, apr�s que d�autres camions portant le m�me sigle eurent vid� tr�s proprement les bacs � ordures remis imm�diatement � leur place sans aucune nuisance sonore. Comme toutes les capitales du monde, Alger avait enfin un maire, de lign�e citadine, a-t-il appris, qui veillait jusqu�au moindre d�tail � la propret� de la ville et � la qualit� de vie de ses habitants. Qu�il est loin le temps o� Alger �tait class�e parmi les premi�res villes les plus invivables de la plan�te ! Il d�ambula jusqu�au petit matin dans la ville, d�un quartier � un autre, avec comme seuls compagnons ses souvenirs� Une voix humaine � la tonalit� merveilleuse appelait � la premi�re pri�re du matin, l�utilisation des hauts parleurs ayant �t� interdite sauf pour la pri�re du vendredi et des jours de f�tes religieuses suivant d�ailleurs des conditions tr�s strictes pour le respect de la foi, de l��me et du citoyen, l�Islam ne s�accommodant point de nuisances quelles qu�elles soient. A demi-endormi dans sa chambre d�h�tel qu�il venait de rejoindre apr�s une longue travers�e de la ville, il fut brusquement r�veill� par une sonnerie. Il se frotta les yeux et compris tr�s vite qu�il �tait en fait chez lui. En ouvrant la porte, il se trouva nez � nez avec le facteur qui lui tendit une enveloppe recommand�e sur laquelle �tait inscrit son nom suivi d�une adresse� 50, avenue de l�Ind�pendance. Tout �tait brouillon dans sa t�te� Il s�assit sur un divan, ouvrit lentement l�enveloppe et avant de lire la lettre, deux questions envahirent soudain son esprit. Et si cette lettre �tait bien celle qu�il venait d��crire dans son r�ve ? Et si tout ce qu�il avait consign� dans la fiction de son imagination devenait, cinquante ans apr�s l�ind�pendance, une bienheureuse r�alit� ?