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Quand les faussaires récupèrent le crime colonial (I) La vue tronquée d'une journaliste française sur la «Caravane Camus» et l'«Alerte aux consciences»
Elle commence donc, tout naturellement, par l'«Alerte aux consciences anticolonialistes», texte qui s'est opposé au projet de cette «Caravane Camus» censée venir nous expliquer un auteur que nous étions incapables de comprendre par nous-mêmes. Elle rapporte son entretien avec deux signataires de ce texte, identifiés comme tiers-mondistes : «L'air est si doux ce printemps à Alger, la terrasse de l'hôtel Saint-Georges embaume la fleur d'oranger et toutes les guerres semblent finies.» Elle continue : «Le soleil a sombré mais on devine encore la masse du mausolée des Martyrs qui domine les scintillements de la baie.» Cela rend plus indues les craintes de ses interviewés dont l'un scrute «le crépuscule comme s'il y rampait des spahis ou des parachutistes». Et cela rend encore plus incongrue la notion d'«Alerte» inaugurale de son texte qui retentit comme un tocsin. Il faut quand même apporter une nuance : une pluie fine et collante et un temps maussade ont envoyé directo Martine Gozlan et ses invités dans un coin isolé de l'immense bar où s'ennuyaient trois jeunes à l'autre bout de l'immense salle. Qui connaît les lieux serait également surpris que Martine Gozlan ait pu voir de la terrasse, malgré les frondaisons, la baie d'Alger ou deviner la masse écrasante du monument aux Martyrs. Mais pourquoi s'en tiendrait-elle à ces règles futiles qui commandent à la profession de s'en tenir aux faits et à l'exactitude de la relation, y compris aux stars de la corporation ? Et se poser cette question des règles qui encombrent les programmes des écoles de journalisme reviendrait à s'interdire toute compréhension politique de ces arrangements avec la réalité. Car ces petits arrangements avec les décors s'accompagnent de beaucoup d'arrangements avec les propos tenus. Mais ils donnent tant de latitude pour construire du sens ! Et de fabriquer une image. Gozlan y mettra de l'énergie mais n'innovera pas beaucoup dans le procédé. Le mal, c'est le symptôme ? Pour planter son chevalet, elle saute vingt ans et évoque un souvenir. Avec ou sans arrangements ? Nul ne le saura. Mais le sens y est. «Le Dr Laadi Flici, naguère ardent patriote pendant la guerre d'indépendance et embastillé par l'armée française à la prison Barberousse, se heurtait depuis des années au dogme du FLN. Cet homme doux, qui soignait les oubliés de la Casbah, me racontait ‘‘Camus l'Algérien'', ‘‘à mi-distance de la misère et du soleil''. On partageait la réverbération d'une existence algérienne antérieure sur cette même terrasse du Saint-Georges où les compatriotes du Dr Flici crient aujourd'hui au complot néocolonial. Il ne pourra pas leur répliquer. Un commando intégriste l'a égorgé le 17 mars 1993.» Que vient faire un souvenir personnel de Martine Gozlan dans ce dossier, sinon très vite suggérer la comparaison : l'«Alerte» et les tueurs, même combat. C'est travaillé à la hache mais… Laadi Flici ne peut malheureusement pas répondre à ce texte comme il en aurait eu le droit indiscutable. Il ne peut donc pas répondre non plus à Gozlan sur la caravane. Car Gozlan fait ici un glissement. Camus est une chose, la caravane en est une autre. Mais de Flici, il nous reste comme certitude ses textes consacrés à la révolte des Righa contre les expropriations et les séquestres et ils sont indubitablement anticolonialistes. Les deux tiers-mondistes lui avaient pourtant déclaré qu'en aucun cas «la caravane n'aurait posé problème pour eux si ses concepteurs avaient simplement projeté de faire le pèlerinage sur les lieux de vie et les itinéraires de Camus, écrivain français né en Algérie, sans nous ressortir tous ces discours sur le terrorisme de l'ALN, l'identité nationale, etc.». Ecrivain français né en Algérie comme ces milliers de Français qui reviennent régulièrement et sans problème en pèlerinage. Chaque Algérien demeure en droit d'aimer ou non Camus, de le magnifier ou de le critiquer mais le Club Camus Méditerranée et ses animateurs ou inspirateurs n'ont aucun droit de venir décider pour nous comment nous devons comprendre cet auteur et encore moins de décider de notre identité nationale. Ils n'ont aucun droit fussent-ils soutenus par un haut fonctionnaire de l'Etat algérien et par le maire d'une grande ville d'Algérie. Puisqu'elle oppose à l'«Alerte» le Centre culturel algérien à Paris, c'est le directeur, le fonctionnaire de cet Etat-FLN qu'elle déteste, pas l'écrivain, qui avait le droit et le pouvoir de parrainer le lancement de la caravane. Mais si vous n'avez pas bien compris la parabole Laadi Flici, Gozlan vous donnera un coup de pouce. «Le régime, pressé de faire diversion sur la crise sociale, a réactivé celle de la guerre France-Algérie. Il a laissé… déposer… un projet de loi visant à ‘‘criminaliser la colonisation''. Pourtant, la rue s'en fiche, pressée de revivre après les années d'horreur – car le terrorisme est vaincu – et de survivre entre la hogra, l'injustice, la course aux dinars (le salaire moyen est de 150 euros) et le rêve désespéré de l'exil.» «Alors que le terrorisme est vaincu !» : s'ils ne sont pas tout à fait les agents du pouvoir, les signataires de l'«Alerte» font du moins son jeu. Cela lui permet dans la foulée d'en dire un peu plus : au lieu de vous occuper de Camus, regardez votre désastre ! Dans lequel le CCF, simple projection française en Algérie fait déjà office de salut. «En plein coeur de la ville et de ses tourments, garçons et filles guettent l'ouverture du Printemps des poètes, flirtent discrètement… Ici, il y a des guitares, des sourires, des voiles qu'on largue. Et surtout le dispositif ‘‘Campus France'': il permet d'espérer… un avis… favorable à l'obtention d'un visa étudiant. Plus de 10 000 candidats en trois mois ! Les files sont plus importantes qu'au consulat, des bus spéciaux arrivent de Béjaïa, en Kabylie. Quand on a 20 ans dans l'Algérie de la galère, la France, c'est la grande évasion.» C'est toujours travaillé à la hache ? Mais qui en tiendrait rigueur à une star du journalisme ? C'est à cette espérance ouverte par la France que s'opposent «les tiers-mondistes qui préfèrent le Venezuela, la Libye et l'Iran». Les mots sont lâchés. Derrière la question de la caravane se profile donc un choix entre deux modèles. C'est Gozlan qui le dit. Celui de la France et celui d'Hugo Chavez. (Suivra)