Ce duel s'annonce tendu en raison des projets diamétralement opposés de deux hommes, un islamiste conservateur et un symbole de l'ancien régime issu de l'appareil militaire. Farouk Soltane, le président de la commission électorale, avait annoncé officiellement dans l'après-midi que le second tour, les 16 et 17 juin, opposerait Morsi et Chafiq, confirmant les résultats préliminaires du premier tour de la semaine dernière donnés par la confrérie islamiste et dans la presse. Mohammed Morsi a obtenu 24,7% des voix et Ahmad Chafiq 23,6%. Il en fallait pas plus pour mettre le feu au Caire sur la poudrière depuis le lancement du processus électoral présidentiel. Des heurts ont opposé un partout et dans la place symbolique de la révolution du Nil, la place Tahrir, les partisans des deux finalistes qui se sont affrontés violemment, scandant le slogan fétiche des opinions arabes. “Par notre âme et notre sang, nous nous sacrifierons pour toi”, Chafiq pour le candidat de l'armée et Morsi pour le poulain des Frères musulmans. Le quartier général du dernier Premier ministre de Hosni Moubarak a été attaqué lundi au Caire, quelques heures après la confirmation officielle qu'il affronterait au second tour son rival des Frères musulmans. Ses partisans ont accusé les adversaires politiques de leur candidat, les Frères musulmans et des mouvements de jeune pro-démocratie. Le pugilat s'est poursuivi dans la soirée sur le site emblématique de la révolte contre Hosni Moubarak début 2011. Si Mohammed Morsi a bénéficié du soutien du puissant réseau militant de la confrérie des Frères musulmans fondée il y a soixante ans par Hassan Al-Banna, qui vaut aux Frères musulmans de détenir déjà près de la moitié des sièges de députés dans le plus peuplé des pays arabes, Ahmad Chafiq, ancien chef d'état-major de l'armée de l'air, est lui accusé par ses adversaires islamistes et les jeunes activistes du printemps du Caire d'être l'homme des militaires qui dirigent le pays depuis la chute de Hosni Moubarak. L'ex-général poursuit sa campagne sur le thème du retour à la stabilité, cher à de nombreux Egyptiens après 15 mois d'une transition tumultueuse et émaillée de violences meurtrières. Les deux finalistes tentent de rassembler les soutiens, en appelant leurs rivaux malheureux à se rallier à eux et en multipliant ces jours les promesses de préserver les acquis de la révolution. Le Conseil suprême des forces armées (CSFA) du maréchal Hussein Tantaoui ayant promis de rendre le pouvoir aux civils avant la fin juin, une fois le nouveau président élu, les deux finalistes dans la course pour l'Egypte post-Moubarak ont assuré qu'ils gouverneraient au nom de tous les Egyptiens, dans l'espoir d'élargir leur base électorale, notamment auprès des jeunes. Mais le duel armée-Frères musulmans a provoqué le désarroi chez les pro-démocraties laïcs, réduits à envisager de voter islamiste pour éviter un retour du régime honni contre lequel ils s'étaient mobilisés ! L'issue du vote reste cependant imprécis quel que soit son vainqueur. Les pouvoirs du prochain chef de l'Etat, qui sera élu pour quatre ans, sont encore imprécis. L'Egypte ne dispose pas encore d'une nouvelle Constitution pour remplacer celle en vigueur sous Hosni Moubarak, suspendue après sa démission et la commission chargée de la rédiger peine à s'organiser, sa majorité islamiste étant contestée par l'armée et la société civile. La justice égyptienne doit par ailleurs se prononcer le 11 juin sur une loi interdisant aux piliers de l'ère Moubarak de se présenter aux élections, a rapporté le journal Al-Akhbar, ce qui pourrait avoir des conséquences pour Ahmad Chafiq. Reste la question fondamentale : une fois le nouveau président installé, le général Tantaoui, qui dirige le CFSA, rendra-t-il toutes les clés du pays ? Ça sera un tournant majeur dans un pays où tous les présidents, de Nasser à Hosni Moubarak, furent officiers et où l'armée joue un rôle de premier plan. D. B