Par Reghis Rabah, consultant, �conomiste p�trolier. La premi�re sortie m�diatique se situe � la deuxi�me semaine de novembre 2012 � la publication de son rapport annuel sur les perspectives du march� de l'�nergie intitul� World Energy Outlook 2012. L�Agence internationale de l'�nergie (AIE) pr�voit notamment que la production de p�trole brut des Etats-Unis d�passera celle de l'Arabie saoudite vers 2020. Elle pronostique en outre que les Etats-Unis, qui importent aujourd'hui 20% de leurs besoins �nerg�tiques, deviendront presque autosuffisants d'ici � 2035. Cela gr�ce � l'extraction croissante de p�trole de schiste. Dans l�introduction de ce rapport annuel, la directrice ex�cutive de l�AIE, Maria Van Der Hoeven, a indiqu� que �l�Am�rique du Nord est � la pointe d�une transformation radicale dans la production de p�trole et de gaz qui affectera toutes les r�gions du monde et le potentiel existe aussi pour un changement similaire dans l�efficacit� �nerg�tique�. Selon elle, �les perspectives de 2012 montrent que d�ici 2035, l�on peut r�aliser des �conomies d��nergie �quivalant � pr�s de 1/5 de la demande mondiale de 2010�. Ces d�ductions qui n�ont surpris personne, s�appuient sur l��volution du mod�le �nerg�tique des Etats-Unis depuis pratiquement 1998. L�exploitation intensive du gaz et du p�trole de schiste dans certains Etats de la F�d�ration ont permis d�inonder le march� am�ricain et, partant, l�industrie am�ricaine a connu un regain spectaculaire dont les cons�quences directes ont �t� fortement ressenties dans la baisse du prix de l��nergie et la cr�ation de l�emploi enregistr�e au mois d�octobre 2012 � plus de 650 000. Le prix du gaz � la sortie du puits en dollars par millier de m3 est pass� de 6,39 en 2006 � 6,25 au d�but de la crise pour redescendre carr�ment � 2,54 dollars le millier de m3 en juin 2012. De nombreuses entreprises industrielles du monde ont commenc� � relocaliser en Am�rique pour profiter d�une �nergie � bas prix et donner un nouveau souffle � l��conomie am�ricaine tr�s endett�e. Ce sont l� des faits indiscutables qui donnent une certaine cr�dibilit� � l�analyse du bras �nerg�tique de l�OCDE dans sa premi�re partie du rapport mais l�extrapolation vers 2020 et 2035 a �t� extr�mement acc�l�r�e tout en prenant de nombreux raccourcis pour des raisons tactiques mais de bonne guerre. Tout le monde sait que depuis le d�part de Jean-Marie Bourdaire de la direction, cette agence a �t� un peu d�vi�e de la logique �conomique pour prendre une orientation sous forme d�un groupe de pression pour ne pas dire syndical afin de d�fendre les int�r�ts moraux et mat�riels de ses adh�rents. Pourquoi et comment ? Tout d�abord ce n�est pas l�efficacit� �nerg�tique qui a permis la mesure de ces performances am�ricaines mais le pompage d�une quantit� suppl�mentaire de gaz de schiste dont la dur�e selon de nombreuses expertises reste limit�e dans le temps et au prix de quel sacrifice ! Le prix du gaz, dont la corr�lation avec la production de gaz non-conventionnel semble a priori �vidente. Il faut cependant prendre garde � cette �vidence : en effet, la production de gaz non-conventionnel a bien �t� multipli�e par presque 3 depuis les ann�es 2000 mais elle est en partie compens�e par une baisse de la production de gaz conventionnel de telle sorte que la production totale n'a pas augment� de fa�on aussi spectaculaire qu'on pourrait le laisser penser mais � peine de l�ordre de 64%. Nonobstant la brusque chute de 2008 qui doit plus � la crise financi�re qu'� de nouvelles ressources, la tendance est assez nette : depuis 2009, les prix en sortie de puits baissent et on peut retenir qu�entre 2009 et 2012, le gaz a �t� en moyenne 30% moins cher qu'entre 2001 et 2007 mais tr�s �loign� des estimations de l�AIE. Si on revient au prix du gaz � la consommation et non � la production, on s'aper�oit que la baisse des cours constat�e depuis 2009 n'a pas profit� de la m�me fa�on � tout le monde. Cette baisse a �t� parfaitement r�percut�e sur la facture des industriels mais beaucoup moins bien sur celle des particuliers : les prix r�sidentiels ont m�me l�g�rement augment�. En ce qui concerne les cons�quences sur le prix de l��lectricit�, on sait qu�aux Etats-Unis le gaz est utilis� pour produire environ un quart de l'�lectricit�, � peu pr�s � �galit� avec le nucl�aire mais assez loin derri�re le charbon (42%). La baisse du prix du gaz a-t-elle eu des cons�quences sur les factures d'�lectricit� ? C�est difficile � dire. Il y a aux Etats-Unis des dizaines de producteurs d'�lectricit� et des syst�mes diff�rents d'un Etat � l'autre. Les prix varient souvent du simple au double entre deux Etats, entre le Wyoming et Hawa�, l'�cart est m�me de 1 � 5. Rien de surprenant donc � ce que des informations contradictoires circulent. Ce que l'on peut dire avec certitude en se basant sur des informations disponibles, mis � part un pic en 2008, le co�t du combustible est stable dans les centrales �lectriques am�ricaines. Par cons�quent, si le prix de l'�lectricit� a baiss� aux Etats-Unis, ce n'est pas gr�ce � une baisse du prix du combustible... Ce qui est d'ailleurs normal puisque le gaz reste assez minoritaire dans le mix am�ricain. Il faut signaler par ailleurs que la baisse des cours du gaz n�a pas entra�n� une baisse des autres sources d'�nergie. Bien qu'ils soient en concurrence directe pour la production d��lectricit�, la baisse du gaz n'a pas emp�ch� le charbon de conna�tre une hausse continue depuis 2001. Il co�te aujourd'hui 70% plus cher qu'il y a 10 ans. De m�me, bien que les hydrocarbures issus du gaz puissent en partie se substituer � ceux du p�trole, les prix du carburant ont �t� multipli�s par 4 en 10 ans. Donc on voit tr�s bien que lorsqu�on raisonne sur le long terme � partir de plusieurs ann�es en arri�re, on constate que la tendance du bouquet �nerg�tique am�ricain qui sert de r�f�rence � l�analyse de l�AIE ne va pas notablement �voluer comme le laisse entendre la pr�sidente de cette agence. Les Etats-Unis resteront l�enfant g�t� de l�OCDE qui refuse de changer ses habitudes pour vivre au-dessus de ses moyens en s�endettant. Il refuse de limiter le gaz � effet de serre qui pollue la plan�te et la r�chauffe. Il est �nergivore et reste soumis � une inflation des besoins ; plus on lui donne, plus il en demande. A partir de 1980, ils n�ont cess� d�importer plus de 1/5e de leurs besoins en �nergie, aujourd�hui, il n�y a rien qui montre ou qui laisse pr�sager qu�ils vont changer cette allure. Quelles sont donc les motivations de l�AIE ? Nous les verrons une fois expos� le deuxi�me rapport de cette agence. La 2e sortie de cette organisation est toute r�cente � troisi�me semaine de d�cembre 2012 � et qui alerte sur le retour certain des centrales � charbon. Dans un long rapport, l'AIE se penche sur l'�volution du march� du charbon pour les cinq ans � venir. Conclusion : en 2017, la consommation de charbon devrait repr�senter 4,32 milliards de tonnes �quivalent p�trole, tout pr�s des 4,4 milliards de l'or noir. �La part du charbon dans le bouquet �nerg�tique mondial continue de progresser chaque ann�e, et si aucun changement n'est fait aux politiques actuelles, le charbon rattrapera le p�trole d'ici une d�cennie�, avertit la patronne de l'organisation bas�e � Paris, Maria van der Hoeven. Mais que pr�conise-t-elle ? En l'absence d'un prix �lev� du carbone qui p�naliserait les �nergies polluantes, �seule une concurrence f�roce d'un gaz � bas prix permet effectivement de r�duire la demande de charbon�. Ce rapport s�appuie sur le fait que l�exploitation et le d�veloppement du gaz de schiste, notamment aux Etats-Unis et en Australie, a quelque peu modifi� leur mix �nerg�tique. Cons�quences : l�exc�dent de charbon d�gag� a int�ress� certains pays en difficult� �nerg�tique comme l�Inde, la Chine et quelques pays europ�ens fortement touch�s par la crise �conomique. Ceci a fait chuter momentan�ment la tonne de 150 dollars � pr�s de 80 dollars. Or, profitant de ce boom, le g�ant asiatique, qui inaugure les centrales �lectriques � charbon � tour de bras, a repr�sent� en 2011, 46,2% de la consommation mondiale. Le cap des 50% devrait �tre franchi d�s 2014, ce qui signifie que la Chine consommera � ce moment-l� davantage de charbon que tous les autres pays r�unis. Alors, on peut se demander ce que pourrait faire l�AIE en dehors de sa circonscription. Ensuite, le charbon qui effectivement commence � int�grer le bouquet �nerg�tique de certains pays europ�ens membre de l�AIE fait grimper la facture d��lectricit� des m�nages et cela n�arrange pas les affaires des politiques. Dans une table ronde organis�e le 25 d�cembre dernier par TV5, des experts ont encore constat� que cette ann�e plus encore que la pr�c�dente, le co�t des �nergies et la mauvaise qualit� thermique des logements, combin�s � la crise �conomique, am�neraient de plus en plus de Fran�ais � ressentir durement le froid. On estime, en effet, qu�aujourd�hui, un m�nage sur deux n�a plus les moyens de bien se chauffer, que quatre millions d�entre eux, soit plus de 8 millions de personnes, auraient du mal � payer leurs notes d��nergie. Et plus grave encore : pr�s de 600 000 foyers auraient vu cette ann�e leur gaz ou leur �lectricit� coup� par leur fournisseur pour cause d�impay�s. Mais comment expliquer une telle situation ? Se chauffer serait-il devenu un luxe ? Si la pr�carit� �nerg�tique n�est pas un probl�me nouveau en France, le ph�nom�ne gagnerait du terrain de fa�on spectaculaire au fil des ans compte tenu de l�augmentation du co�t de l��nergie ces derni�res ann�es. �Le gaz a augment� de 70% depuis 2004, l'�lectricit� de 30% depuis 2005, et le fioul a doubl� depuis 2008�, avance ainsi Thierry Saniez, d�l�gu� g�n�ral de l'Association consommateurs logements cadre de vie (CLCV), alors que de nouvelles hausses sont annonc�es pour 2013. En effet, le 1er janvier prochain, le prix de l��lectricit� devrait conna�tre une nouvelle augmentation de 2,5%, et celui du gaz de 2,4%. Cette situation semble se g�n�raliser � l�Espagne, l�Autriche, la Belgique et � l�Italie. Maintenant sur le plan purement scientifique, il faut signaler d�embl�e que ce n�est pas � l�US Department of Energy de d�finir les crit�res d�appr�ciation des diff�rentes sources d��nergie mais aux chercheurs et universitaires d��laborer des indicateurs universellement reconnus et qui les mettent � la disposition de ce d�partement pour les �valuer, tirer les conclusions n�cessaires pour mettre en �uvre leur strat�gie �nerg�tique. Jusqu�� pr�sent, pour comparer l�efficacit� des diff�rentes ressources d��nergie, on utilise le taux de retour �nerg�tique (TRE) qui est le rapport entre l��nergie utilisable � celle d�pens�e. A l�instar du retour d�investissement, plus ce taux est �lev�, plus l�objet qui figure au num�rateur est rentable. Aussi paradoxal que cela puisse para�tre, les progr�s techniques n�ont pas r�ussi � redresser cet indice qui n�a pas cess� de d�cliner depuis le d�but du si�cle dernier. En effet, il est pass� de 100/1 puis 80/1 pour descendre actuellement autour de 9,33% c'est-�-dire en moyenne dans le monde, on obtient 9,33 unit�s d��nergie en en d�pensant seulement une. Ceci s�explique par le fait que la prospection se fait dans des zones de plus en plus difficiles qui n�cessitent beaucoup plus d��nergie pour leur exploitation. Ce taux classe les hydrocarbures conventionnels aussi bien le p�trole (tre=8/1) que le gaz (tre=5/1) comme les plus rentables. Viennent ensuite, l��nergie solaire thermique (tre=4,2/1), photovolta�que (tre=10/1), le schiste (tre= 13,3/1), le charbon (30/1) et enfin l�uranium (100/1). En mati�re de co�t de revient, un kilowattheure des autres �nergies alternatives au gaz et dites d�avenir reste tr�s �lev�. Aux Etats-Unis, selon les donn�es publi�es par l�AIE, le co�t de l��nergie solaire est 225 fois plus cher que celui de l��nergie p�troli�re. Selon la m�me source, les co�ts de ces �nergies rapport�s au baril de p�trole sont class�s comme suit (du plus cher au moins cher) : p�trole, 2. Charbon, 3. Hydro, 4. Nucl�aire, 5. G�othermie, 6. Biomasse/biofuel, 7. Eolienne, 8. Les co�ts passent ainsi de 0.28 $ pour le p�trole � 63 $ pour le solaire en passant par 1,79 $ pour le nucl�aire. Il faut ajouter � cela que m�me aux Etats-Unis, le gaz de schiste qui sert de r�f�rence � l�analyse de l�AIE ne semble pas avoir un avenir si l�on se r�f�re aux d�boires de certaines familles en Pennsylvanie et d�autres Etats o� on exploite ce type de ressource. Deux Etats ont interdit la fracturation hydraulique et d�autres comme les Etats de New York et du New Jersey ont impos� un moratoire sur le sujet. Donc en conclusion, plus on avance dans les analyses prospectives en tenant compte des situations pr�visibles, plus on se rend compte que la demande du p�trole va continuer � augmenter et le gaz reste l��nergie la moins co�teuse et la plus propre du XXIe si�cle. Le gaz naturel repr�sente pr�s d�1/4 de la production de l��lectricit� en Europe. Moins de la moiti� de ce gaz naturel utilis� provient des pays de l�Europe elle-m�me : Norv�ge, Pays-Bas et Royaume- Uni. Tandis que le reste est import� principalement par ordre d�importance de la Russie, l�Alg�rie rejointe ces derni�res ann�es par le Qatar. L�Europe va de plus en plus d�pendre de ses importations pour les d�cennies � venir car la production domestique diminue rapidement alors que la demande ne cesse de cro�tre. De nombreux pays qui l�alimentent, notamment l�Alg�rie et la Russie, leurs exportations financent leur d�veloppement �conomique. Ces pays recherchent donc un �change �quitable qui leur permet de financer ce d�veloppement et surtout de faire face aux investissements des infrastructures pour pr�parer ce gaz � l�exportation. Pour eux, la liaison du prix du gaz avec celui du p�trole dans des contrats long terme les assure et les conforte dans leur strat�gie. Ils ont donc bien compris que tout ce tralala est une mani�re indirecte de faire pression sur eux pour abandonner les contrats long terme, d�connecter les prix du gaz de celui du p�trole pour rejoindre le march� spot dont l�offre verra les prix du gaz diminuer drastiquement. Question : est-ce bien la solution pour la s�curit� d�approvisionnement de l�Europe ?