Amateurs de bande dessin�e, retenez bien son nom. Nawel Louerrad fait une entr�e remarqu�e dans le monde du 9e art, un espace traditionnellement masculin, en y apportant un bol de fra�cheur fort vivifiant. Son premier album, elle vient de le signer comme auteur complet chez Dalimen et il r�v�le (d�j�) une jeune dessinatrice r�solument originale et atypique. Les v�pres alg�riennes, un titre plut�t singulier pour une BD, sonne comme un appel � ouvrir des yeux curieux sur les territoires qu�elle explore et qu�elle nous invite � d�couvrir. Peu banale non plus est la couverture de l�ouvrage : une belle couleur feuilles mortes agr�mente un dessin aux formes stylis�es, tr�s d�pouill�. Et quelle �trange posture que celle des deux personnages ! Attitude ambigu� accentu�e par des yeux de poss�d�s... Le genre de couverture qui accroche le lecteur, qui lui parle. En quatri�me de couverture, le lecteur d�couvre un autre personnage esquissant une jolie figure de danse classique. Par cette �l�gante signature, Nawel Louerrad invite le lecteur � un ballet plein de promesses. Les toutes premi�res planches de l�album confirment qu�il s�agit bien d�un voyage tridimensionnel dans l�univers cr�� par la b�d�iste. Quelque chose d'inhabituel dans la BD alg�rienne. Pas de doute, Nawel Louerrad a �cart� la facilit� au profit d�un exercice de style difficile, certes, mais qui porte sa griffe, son �criture � elle. L�expressionnisme dont elle s�inspire ajoute force et pertinence � son propos, � son dessin sans concession. Loin d��tre une bizarrerie n�e de l�imagination d�une dessinatrice excentrique, cette �uvre tr�s personnelle et intimiste se distingue au contraire par sa coh�rence, son unit� et sa pertinence. A mesure de la lecture, on se rend compte que l�ouvrage est construit avec rigueur, que chaque planche est bien architectur�e. Nawel Louerrad ne s�encombre pas de fioritures, texte et images �tant vraiment �lagu�s. A commencer par le traitement graphique : le trait est presque r�duit � l�essentiel. Le style baroque m�tiss� de manga donne punch et relief � cette esth�tique nouvelle. Originale aussi est la forme de narration utilis�e, celle-ci mettant en valeur le psych�d�lisme du dessin. R�sultat, des planches a�r�es o� la lumi�re dispute � l�ombre le moindre coin, le plus petit espace. Il le fallait, car le monde que dessine Nawel Louerrad est plut�t sombre et t�n�breux. Une sorte de road movie urbain, en version noir et blanc pour mieux contraster les plans et s�quences. La spontan�it� du trait ? S�rement parce que Nawel Louerrad dessine directement � l�encre. En tout cas, elle donne libre cours � la fantaisie, � la sensibilit� et � l�expression vagabonde. En t�moignent les personnages complexes qui peuplent Les v�pres alg�riennes. Ils sont � la fois �tranges et �nigmatiques, comme d�barqu�s d�une autre plan�te, et si l�ger, presque �vanescents. Par son architecture obs�dante, la ville figure elle aussi un personnage vivant et non plus un simple d�cor. Les v�pres ..., c�est cet univers fantasmatique, ces territoires obscurs baignant dans une atmosph�re un peu kafka�enne, ces personnages myst�rieux. Des �tres comme fig�s, parfois sans visage, froids et sans expression... Nosferatu et le monde des revenants ne sont pas loin ! Mais chacun d�eux repr�sente un symbole, v�hicule un message, est porteur de sens. Des figures de style. Derri�re tous ces masques, c�est en r�alit� une histoire qui surgit, comme ces histoires qu�on raconte aux enfants le soir d'Halloween. La bande dessin�e de Nawel Louerrad se veut une r�flexion m�taphorique sur la m�moire, l�identit� et l�histoire de l�Alg�rie depuis l�ind�pendance. L�gitime questionnement d�une g�n�ration qui n�a pas connu la guerre ni les premi�res d�cennies d�apr�s l�ind�pendance, mais a par contre v�cu la d�cennie noire. Les v�pres alg�riennes est donc une interpr�tation all�gorique de questions qui pr�occupent la jeunesse. Et comme la m�moire est un voyage individuel et subjectif, Nawel Louerrad a os� s�aventurer dans des territoires obscurs pour mieux s�approprier l�histoire (qui est, elle, collective). Un voyage au bout de la nuit pour que demain la libert� pr�c�de l�aurore. Gr�ce notamment � la po�sie qui insuffle du rythme � sa BD et qui �claire les moindres angles morts et zones d�ombre. L�image forte et tr�s po�tique de l�antenne parabolique � la fin de l�ouvrage (la derni�re planche) signe la note finale de la symphonie. Et l�, on se dit que Nawel Louerrad a ex�cut� son num�ro en virtuose du piano. On applaudit ce premier album qui est un coup de ma�tre ! Un conseil pour les b�d�istes : le voyage serait encore plus agr�able s�il �tait accompagn� d�un fond musical (du blues, du jazz, de l��lectro-rock ou de l�op�ra moderne, c�est au choix). Hocine Tamou Nawel Louerrad, Les v�pres alg�riennes, �ditions Dalimen, Alger 2012, 52 pages.