Ils ont décidé de ne plus attendre, ni festivals ni éditeurs, ni journaux. Pour donner à voir leur talent d'illustrateur, d'animateur et d'auteur de BD, ils ont opté pour internet. Des Algériens de Jijel, Paris, Alger ou d'ailleurs, on les retrouve tous chez le même diffuseur virtuel. Et c'est gratuit. En Algérie, comme dans beaucoup de pays arabes où internet est devenu le seul passeport viable, les forums de rencontre et les réseaux sociaux sont certainement les “pays” virtuels les plus visités, toutefois, le dessin est en train de changer la géographie du web. Le site internet, au sens classique du terme, toujours un peu compliqué à mettre en place, est abandonné au profit du meilleur support graphique du web, le blog. Pour les illustrations et les croquis, la forme du blog avec son défilement vertical sied presque naturellement au genre, mais pour la bande dessinée, cela peut sembler moins évident, et pourtant. La BD sur la toile, apparue à la fin des années 1980 aux Etats-Unis, a très vite trouvé son format et l'a gardé jusqu'à nos jours. Paru en 1995, le web comics, Argon Zark, de Charley Parker, le plus ancien blog BD, toujours en ligne, avait dès le début publié des planches où la lecture se fait sur un strip vertical. En 2010, Rym Mokhtari, une des plus récentes blogueuses BD algériennes, suit les pas de Charley Parker. “Aya y'en a marre! N'dirou l'courage!”, C'est la première phrase qu'on peut lire sur le blog de Rym (rymantys.canalblog.com), illustratrice et auteure de BD fictionnelles, après de multiples tentatives d'ouverture de blog et des errances dans des forums (modératrice dans dzart.com, forum de graphistes algériens, et accrotv.com, forum tourné manga), elle essaye encore, “aujourd'hui, je poste mes vieux travaux et je réalise que j'ai une décennie de dessins stockés sur mon PC…”, et n'hésite plus à faire des promesses aux internautes : “À partir de demain, je posterai plus régulièrement, promis.” Son blog, très riche en liens vers d'autres blogueurs algériens, existe depuis quelques mois et lui a déjà permis d'être remarquée pour un important travail d'illustration. Avec son petit personnage à lunettes, Ahmad sévit sur la blogosphère depuis un moment (ahmadabad.blogspot.com), pour cette architecte qui rode entre Djelfa, Paris et Alger, la BD qu'elle poste gratuitement sur son blog, est sa première passion devant l‘architecture. Dans un genre plus autobiographique, et c'est assez rare, voire inédit de la part d'un dessinateur de BD algérien, alors que le genre explose dans le reste du monde occidental, il y a Samir Toudji, dit Togui (toguiland.canalblog.com), il fait lui-même les présentations : “Togui, 28 ans, Algérien (pas la peine de préciser que je vis à Réghaïa ou bien il le faut ?), vis toujours chez papa et maman (oui, oui, lui aussi, il a free, il a tout compris u__u), et ma grande passion c'est la BD et l'illustration !” Le ton est donné, les planches entre autodérision et parodie d'univers manga et jeux vidéo sont hilarantes. Puis, y a la catégorie qui blogue pour une autre passion. Pour Idir (klash16art.blogspot.com), c'est l'univers hip hop ; le graffiti prend une autre dimension à l'écran. Dontkillmyvinyl.blogspot.com préfère parler de sa passion pour les disques vinyle, son blog est une profusion d'illustration très stylisées. Youcefkoudil.over-blog.com est plus intéressé par la modélisation 3D. Impressionnant. Il y a aussi les inattendus, des univers qu'on ne croise jamais dans l'édition classique, particulièrement algérienne, encore plus classique. Adlène Chader (furiousfish.blogspot.com) en fait partie. Sa musique préférée, c'est le punk hardcore des années 1990, inspiré de Robert Crumb. Ses planches et illustrations, très réussies esthétiquement, racontent l'Algérie autrement. Passé le premier choc, on ne peut qu'apprécier l'originalité, l'audace et l'humour au nième degré. Nawel Louerrad (nawel-louerrad.blogspot.com), est dans un monde philosophique contemplatif, chaque planche est une mise en abîme de notre psyché. Dans Alger deliruim, elle s'aventure à faire la “monographie des postures d'un fou”…algérien. Amine Cheriti de Jijel (onomatos.canalblog.com) dissèque, dans un style manga revisité, les traumatismes des années sombres, de ceux qui ont 30 ans aujourd'hui en Algérie. Même l'ancienne génération a su se renouveler, du moins pour certains. On savait Slim très technoïde, on retrouve aussi Red-One Assari, le plus jeune et certainement un des plus talentueux de la bande à M'kidech, est aussi sur le web (creabook.com/red-one). Ses dessins et BD, d'une incroyable maîtrise et beauté, inédits pour la plupart à cause d'histoires d'éditions et d'éditeurs, survivent sur internet depuis des années. Ce n‘est que pour cette nouvelle édition du festival de la BD d‘Alger, pour la première fois, qu'ils seront immortalisés dans un ouvrage imprimé. Forcément, un beau livre. Parce qu'il ne faut pas l'oublier aussi, ces blogueurs rêvent tous ou presque d'avoir leurs œuvres sur du papier, et c'est le moins qu'on puisse leur rendre.