Le dernier num�ro de la revue Actualit�s et culture berb�res, publi�e par l�Association de culture berb�re (ACB) de Paris c�l�bre � sa mani�re le 50e anniversaire de l'ind�pendance de l'Alg�rie. Une approche pertinente puisqu'elle fait co�ncider l'�v�nement avec celui de la parution, il y a soixante ans, du roman de Mouloud Mammeri, La Colline oubli�e. �L'affaire La colline oubli�e� comme le titre le num�ro, a donn� lieu en 2012 � un colloque organis� par l'ACB. Anim� par l'�crivain-universitaire Nourredine Sa�di, l'�v�nement a rassembl� de prestigieux intervenants : Sadek Hadjeres, Fanny Colonna, Kenneth Brown, Hend Sadi, Nabil Far�s, Ben Mohamed, Abdelmadjid Kaouah et Boussad Berrichi. Cette �vocation de la pol�mique, �plut�t la cabale�, suscit�e par la parution de cet ouvrage, sur fond de cinquantenaire de l'ind�pendance, n'est pas une pure co�ncidence, puisqu'elle renvoie � l'histoire du mouvement national. Cette histoire � laquelle nous convient les participants, et qui r�sonne aujourd'hui encore dans les d�bats sur l'identit� nationale, et �tout sp�cialement � travers l'amazighit�, la place de la langue fran�aise en Alg�rie et m�me celle de la d�finition de la Nation�, comme le souligne Arezki Metref dans son �ditorial. L'universitaire-chercheur Boussad Berrichi esquisse une �tude postcoloniale sur la r�ception de l'�uvre. Apr�s un d�tour par la jeunesse de Mammeri, illustr� par moult t�moignages et extraits d'interviews de l'auteur, il nous plonge au c�ur de la pol�mique de 53 donnant la parole tant�t � ses d�tracteurs, tant�t � ses laudateurs. A noter, la d�claration de Mostefa Lacheraf interview� en f�vrier 1999 par Boussad Berrichi, reconnaissant, dans un mea culpa tout � son honneur, avoir accus� � tort de r�gionalisme ou manque de nationalisme l'auteur de La Colline oubli�e. De m�me Hend Sadi, dans une �tude aussi minutieuse que rigoureuse, bas�e sur l'analyse des motivations qui ont conduit certains intellectuels nationalistes acquis � �l'arabo-islamisme � � pourfendre le roman de Mammeri, notamment dans Le Jeune Musulman, l�organe de presse de l'Association des Oul�mas d'Alg�rie, d�monte la critique dont il restitue le contexte historique. S'appuyant sur l'ex�g�se des d�clarations de ses contempteurs � Amar Ouzegane, Mohamed Cherif Sahli, Mostefa Lacheraf �, il d�montre comment �la dimension berb�re de l'�uvre est au c�ur de leurs attaques�. En contre-point, une place est faite � l'�loge de l'�crivain �gyptien Taha Hussein louant la dimension sociologique de L a Colline oubli�e. Un regard externe aux luttes id�ologiques mieux � m�me de saisir l'aspect anticolonialiste de l'�uvre que celui de bien des Alg�riens. Sadek Hadjeres revient, lui aussi, sur ce contexte historique dont il fut un acteur engag�. Il restitue avec force la dynamique politique et intellectuelle passionn�e des ann�es 1950, et t�moigne de l�accueil favorable de l'ouvrage, hormis quelques critiques portant sur une pseudo-ti�deur militante, dans les rangs du PCA dont la revue Progr�s salua la parution : �Enfin des livres qui parlent de l'Alg�rie �crits par des Alg�riens pour des Alg�riens.� Une lecture courageuse dans le contexte ravageur de surench�re combattante de l'�poque. T�moignage sur le vif de Ben Mohamed truff� d'informations, et qui rappelle qu'il eut d'autres cabales, d'autres proc�s d'intention contre Mouloud Mammeri, notamment propos de son ouvrage, Le Banquet publi� en 1973. R�gionalisme, anti-nationalisme encore... Mais qui se souvient que Mammeri fut l'auteur du rapport sur la question alg�rienne lu � l'ONU en 1956-1957 par M'Hamed Yazid ? Ben Mohamed dans cet authentique hommage souligne, anecdotes � l'appui, combien Dda Lmulud �tait adul� par son peuple. Fanny Colonna qui travailla sous sa direction au Crape (Centre de recherche anthropologique, pr�historique et ethnographique) dans les ann�es 1970, en dresse un portrait tr�s inspir� au plus pr�s d'une �uvre �aux amours impossibles�, �aux h�ros bris�s �, r�serv�e, dit-elle, �aux esprits p�n�trants �. Un portrait au plus pr�s du ma�tre, du po�te mais aussi de l'homme, �cette force vuln�rable� qui fut �pour beaucoup de jeunes gens, au grand dam de certains, un mod�le inesp�r� de grandeur�. Avec son esth�tique faite de m�taphores et d'associations singuli�res, Nabile Far�s, virtuose du langage et de ses paradoxes, traduit la force du verbe de Mammeri. �Cette force qui fait passer l'�uvre de g�n�rations en g�n�rations, de temps en temps...� Nabile Far�s explore les lieux symboliques �g�ographiques et s�mantiques� qui nous ouvrent � la dimension po�tique de l'�uvre. Quand l'anthropologue am�ricain Kenneth Brown qui est alors un jeune �tudiant orientaliste, d�barque � Alger en 1963, il n'a de connaissance de l'Alg�rie qu'� travers l'ouvrage de Mammeri, Le Sommeil du juste. Et cet imp�ratif besoin de l'approcher. C'est de cette rencontre et des suivantes dont il fait �tat ici, et des paroles qui r�sultent de leurs ultimes �changes : �Les islamistes sont comme les colonialistes fran�ais, ils disent que l'Alg�rie alg�rienne n'existe pas. (...) L'Alg�rie existe bien : je suis alg�rien, d'origine berb�re, arabis�, �duqu� en fran�ais, musulman et agnostique. C'est �a l'Alg�rie !� Enfin, le journaliste et po�te Abdelmadjid Kaouah, sous la forme d'une brillante chronique qui se veut �modeste�, nous livre une r�flexion foisonnante jalonn�e d'�tapes-cl� dans la fondation de la litt�rature alg�rienne de langue fran�aise dont La Colline oubli�e marque la naissance. Il s'attache � en d�gager la filiation par une �tude fouill�e du champ po�tique. Il ouvre le d�bat en montrant comment aujourd'hui encore le couperet de l'excommunication peut frapper des �uvres sous pr�texte d'anti-nationalisme. Riches bibliographies, reproduction de documents d'�poque, la synergie des travaux ici rassembl�s concourt � l'avanc�e de la connaissance de ce qui constitue aujourd'hui l'Alg�rie, son histoire, son identit�. Une publication d'exception, � lire, � diffuser, � conserver. Marie-Jo�lle Rupp L' affaire La colline oubli�e, Actualit�s et culture berb�res, n�72-73, automne-hiver 2012.