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HEND SADI AU SOIR D�ALG�RIE :
�Taha Hussein a compris La colline oubli�e de Mouloud Mammeri mieux que les intellectuels organiques du nationalisme alg�rien�
Publié dans Le Soir d'Algérie le 18 - 04 - 2011


Entretien r�alis� par Arezki Metref
La parution de La colline oubli�e de Mouloud Mammeri en 1952 avait suscit� un vrai proc�s des intellectuels nationalistes contre l'auteur. Le proc�s portait �videmment moins sur la qualit� litt�raire de l'�uvre de jeunesse de Mammeri, qui demeure l'une des plus belles de la litt�rature maghr�bine, que sur le contenu berb�riste que le roman �tait cens� v�hiculer. L'id�ologie berb�riste �tait entendue par les procureurs comme une atteinte au nationalisme.
Si les questions pos�es par la controverse se sont prolong�es jusqu'� aujourd'hui, le proc�s, lui, devrait �tre rouvert. En effet, comme dans les affaires de justice mal jug�es, il y a de nouvelles pi�ces qui �clairent le dossier. Un article important consacr� par Taha Hussein, le grand dramaturge �gyptien, au roman de Mammeri en 1956, d�nich� par Hend Sadi, vient tout chambouler. L'auteur �gyptien ne voit pas du tout dans le roman de Mammeri un contenu qui sert le colonialisme � l'instar des intellectuels nationalistes pour qui le fait de s'�carter de la ligne du parti est en soi une trahison. Tout au contraire, Hussein reconna�t dans les accents de Mammeri la v�rit� anticolonialiste qui y est nich�e. De plus, il parle, lui, du roman et non pas des soubassements id�ologiques r�els ou suppos�s par lesquels les contempteurs de Mammeri ont abord� le proc�s. Hend Sadi est professeur de math�matiques. Ce n'est pas sa premi�re incursion dans le domaine litt�raire et plus largement culturel mais avec cette analyse, il apporte un �l�ment d�cisif au d�bat. A l'invitation du comit� des �tudiants du d�partement amazigh, il animera une conf�rence � l'auditorium de Hasnaoua, � l'universit� de Tizi- Ouzou, demain � 14h. Titre : �La controverse nationaliste sur La colline oubli�e : un d�bat d'actualit�.�
Le Soir d�Alg�rie : Racontez-nous les p�rip�ties de ce texte de Taha Hussein sur La colline oubli�e de Mouloud Mammeri et surtout comment il a pu arriver entre vos mains ?
Hend Sadi : Effectivement, cet article a emprunt� un itin�raire bien singulier. D�abord par la date � laquelle il m�est parvenu : je l�ai re�u il y a plus de vingt ans. Et aussi par son exp�diteur : Amazigh libyen que j�ai connu au d�but des ann�es soixante-dix � l�Acad�mie berb�re ! Il s�appelait Sa�d Mahroug, il est aujourd�hui d�c�d�. Comme Sa�d ne parlait pas fran�ais et que je ne parle pas l�arabe, nous �changions en tamazight. La premi�re fois que je l�avais rencontr�, je l�avais pris pour un berb�rophone alg�rien aux confins de la Kabylie et de l�Aur�s en raison de son accent� C�est donc Sa�d qui m�a envoy� depuis la Libye une photocopie de ce texte sur laquelle il avait not� : �Ayen yura Taha Hussein ghef tewrirt yettwatun n Da Lmulud.�(Ce qu�a �crit Taha Hussein sur La colline oubli�e de Dda Lmulud). �tant incapable de lire le texte arabe, j�avais demand� � une �tudiante syrienne, qui pr�parait une th�se de doctorat de math�matiques � l�universit� Pierre-et-Marie- Curie et dont le p�re avait �t� ministre de la Culture du gouvernement syrien, de me le traduire. Elle m�avait dit alors que Taha Hussein s�interrogeait sur l�orthographe du nom de Mammeri pour savoir si c��tait M�ammeri ou bien Mammeri et que la suite de l�article traitait des croyances populaires. J�ai fait d�autres tentatives de traductions qui n�ont pas �t� plus fructueuses et c�est seulement longtemps apr�s que j�ai compris que l�article de 14 feuillets �tait enti�rement consacr� � La colline oubli�e. Sa�d Mahroug avait raison, c��tait bien une critique de La colline oubli�e! J�ai donc de nouveau entrepris de le faire traduire. Cela a pris beaucoup de temps. Car, apr�s la premi�re traduction qui a servi de socle au travail qui a suivi, il a fallu revenir sur la version fran�aise pour r�gler de nombreux d�tails et j�ai d� solliciter une vingtaine de coll�gues et amis universitaires pour parvenir � une version qui, je crois, est aujourd�hui publiable. L�article �crit par Taha Hussein en 1956 apporte un �clairage capital sur tout ce qui a �t� dit et �crit sur La colline oubli�e. Et Dieu sait qu�il s�en �crit � et il s��crit encore � bien des choses ! Mais jusqu�� pr�sent, l�article de Taha Hussein a �t� absent de toutes les �tudes consacr�es � la pol�mique suscit�e par La colline oubli�e et ce n�est que le 30 mars dernier � l�Universit� de Paris 8 que j�ai pr�sent� cet article au s�minaire de litt�rature de Mme Zineb Ali-Benali.
Contrairement aux nationalistes alg�riens dont Lacheraf, Sahli, Taleb Ibrahimi qui ont fustig� Mammeri pour manque de nationalisme dans son roman, Taha Hussein, lui, le consid�re comme un roman anticolonialiste. Pourquoi, selon vous, le point de vue de Taha Hussein est-il si diff�rent de celui des Alg�riens ?
Sur le proc�s fait � Mammeri � la parution de La colline oubli�e, il est inutile de revenir dans le d�tail car cela a d�j� �t� �tudi� et sur ce sujet vous avez vous-m�me fait une synth�se publi�e par la revue Autrement en 1994 et Aziz Khati vient de soutenir une th�se de litt�rature � l�Universit� de Paris o� cette question a �t� analys�e. Rappelons simplement que la critique fran�aise a �t� unanime � du courant communiste au courant colonial � pour saluer la d�couverte d�un grand �talent berb�re� lors de la sortie, en 1952, de La colline oubli�e chez Plon. Cela a suffi � faire de Mammeri un �crivain suspect aux yeux de ces �nationalistes� qui venaient de sortir de la crise berb�riste de 1949 dans laquelle nombre d�entre eux avaient �t� personnellement impliqu�s. Ce qu�il faut en retenir, c�est que cette critique �nationaliste� a entach� l�image du roman et, au-del�, celle de l��crivain Mammeri et au-del� celle des �crivains kabyles comme Mouloud Feraoun. Souvenez-vous de ce que s�est autoris� � �crire sur Mammeri, Kamel Belkacem dans son billet �Les donneurs de le�ons� paru le 20 mars 1980 dans El-Moudjahid, pr�s de vingt ans apr�s l�ind�pendance ! Au d�but des ann�es cinquante, ces intellectuels organiques du nationalisme dominant �laboraient un discours sur l�identit� nationale telle qu�impos�e par la direction du parti : un discours o� la dimension berb�re �tait bannie. Toute la production du Jeune Musulman, organe qui a d�clench� et port� les attaques contre La colline oubli�e vise � justifier l�exclusion du berb�re de l�Alg�rie pour ne retenir que l�arabo-islamisme comme fondement identitaire du pays. Aux premi�res lignes de ce front se sont port�s les Kabyles Amar Ouzegane et, surtout, Mohamed-Cherif Sahli, auteur d�un article au titre �loquent : �La colline du reniement�. S�appuyant sur deux articles de la presse coloniale favorables au roman, ignorant tous les autres articles (une vingtaine) et le roman lui-m�me, Sahli sommait Mammeri de� renier ! Lacheraf, plus nuanc� dans la forme, vient apporter son appui � ces attaques et, sur le fond, il ne fait pas autre chose que th�oriser l�arabisation des Berb�res dans la future Alg�rie ind�pendante. La qualit�, la v�rit� m�me du livre de Mammeri �tait insupportables pour ces intellectuels organiques, d�o� la violence de leurs r�actions qui, il faut le dire, ne manquent ni de talent ni de pertinence si l�on adopte leur position politique. Taha Hussein, lui, n��tait pas enferm� dans ces enjeux. Visiblement non inform� de cette pol�mique, il a lu ce que Mammeri a �crit. Tout simplement. Sans passer par la critique quelle qu�elle soit, celle de la presse colonialiste ou non, pas plus que celle des militants �nationalistes� ou non. Pour �crire sa critique, Taha Hussein a lu le roman �crit par Mouloud Mammeri. Ce que n�a pas fait Sahli qui assume sa position dans sa critique ! Dans ce roman consacr� � la vie en Kabylie durant la Seconde Guerre mondiale, Taha Hussein rel�ve que l�arm�e fran�aise a mobilis� des jeunes gens d�Afrique du Nord pour une guerre qui n��tait pas la leur. Il lit aussi que le syst�me colonial inique qui avait soumis cette population �tait repr�sent� par des chefs locaux d�test�s de cette population. Mais pour �tre plus clair, je pr�f�re vous donner une citation qui vous donnera une id�e plus pr�cise de la perception de Taha Hussein parlant de la vie de la population telle que d�crite dans le roman : �Vivant presque en autarcie, seules certaines n�cessit�s de l�existence lui rappellent qu�elle est soumise � un pouvoir lointain et mixte : un gouvernement qui regroupe des Fran�ais qui dirigent et g�rent les affaires et leurs relais autochtones aupr�s de leurs administr�s, des relais hautains et corrompus. [�] Certes, ils [les Kabyles] craignent autant les saints que leurs chefs, mais s�ils adorent les premiers, ils ha�ssent les seconds.� �crivant en 1956, soit deux ann�es apr�s le d�clenchement de la guerre, contrairement aux critiques �nationalistes � parues en 1952 et 1953, Taha Hussein ne trouve pas le roman d�cal� par rapport au cours des �v�nements qui ont suivi. Il consid�re la p�riode �voqu�e dans le livre comme la phase de maturation, d�attente de �l��v�nement � lib�rateur qu�a �t� 1954.
Le grand auteur �gyptien pose sur le roman de Mammeri un regard de critique strictement litt�raire. Il parle de l��uvre d�un point de vue de l�esth�tique litt�raire sans chercher � d�nicher ce qui va trahir l�id�ologie v�hicul�e par l�auteur. Que dit-il de l��uvre elle-m�me ?
Oui, Taha Hussein consid�re La colline oubli�e d�abord comme un roman, un roman qu�il consid�re comme une �uvre exceptionnelle. S�il n��lude pas le contexte politique du r�cit, comme on vient de le voir, il ne r�duit pas le roman � cette dimension. Et ce que dit, � plusieurs reprises, Taha Hussein dans son texte, c�est qu�il s�agit d�une �uvre majeure. Ce n�est pas rien venant de celui qu�on a appel� le �doyen des lettres arabes� et qui, de surcro�t, est parfait francophone ; rappelons qu�il a soutenu une th�se � la Sorbonne en 1919 sur la philosophie d�Ibn Khaldoun sous la direction du grand sociologue �mile Durkheim et qu�il a consacr� une partie de son activit� � la critique litt�raire en particulier de la litt�rature fran�aise. C�est donc en lecteur averti qu�il s�exprime lorsqu�il �crit que �ce livre est si remarquable qu�il peut �tre consid�r� comme un des meilleurs parmi ceux publi�s ces derni�res ann�es en litt�rature fran�aise, bien que je ne sache pas s�il lui a �t� d�cern� un des divers prix qui r�compensent en France des livres qui n�atteignent pas une telle beaut酻 Et il a manifestement aim� le livre et consacre, dans sa critique, de longs d�veloppements � l�amour v�cu par les jeunes de Ta�sast. Et contrairement � Lacheraf qui d�nie au livre toute valeur documentaire, Taha Hussein y trouve aussi une ��tude sociologique fine� de la Kabylie de cette �poque.
Ce texte de Taha Hussein donne au moins cette le�on de litt�rature en ce qu�il transcende les consid�rations et les proc�s id�ologiques pour s�attacher au contenu litt�raire. Y a-t-il d�autres le�ons ?
Longtemps, on a voulu voir dans cette �uvre, un roman sans port�e universelle enferm� dans le local, dans un �berb�risme �triqu�. La lecture qu�en fait Taha Hussein est la preuve de l�exact contraire. Les �motions franchissent les montagnes kabyles et d�passent largement les fronti�res alg�riennes pour toucher profond�ment un homme de lettres qui a v�cu et grandi dans la vall�e du Nil. La critique fran�aise avait, en son temps, �galement salu� le talent de l�auteur du roman rejoignant sur ce point Taha Hussein. Et si Taha Hussein fait l��loge de La colline oubli�e, ce n�est s�rement pas par �berb�risme�. Certes, il n�est pas allergique au mot berb�re comme l��taient les contempteurs �nationalistes � de Mammeri, mais il ne prend nulle part la d�fense de la culture berb�re, il regrette m�me que le roman ne f�t pas �crit en arabe. Sa critique se termine par cette phrase : �Ma fascination pour ce livre est si grande que je n�ai pas la moindre r�serve � formuler, si ce n�est celle de n�avoir pas �t� �crit en arabe, alors qu�il est fait pour �tre �crit dans cette langue. Mais, de cette carence, l'�crivain ne saurait �tre tenu pour responsable, la faute, comme pour bien d�autres tares, fort nombreuses, incombe au colonialisme.� Ce qui n�emp�che pas Taha Hussein de saluer le roman comme une �uvre majeure. J�esp�re que cet article contribuera � redonner � La colline oubli�e sa place qui n�aurait jamais d� cesser d��tre la sienne, celle d��uvre majeure de la litt�rature alg�rienne. Ce n�est pas Mammeri qui a mal �crit mais ses inquisiteurs qui ont mal lu !


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