Par Ma�mar FARAH [email protected] Je ne sais pas pourquoi, mais � chaque fois que j'aborde cette route rectiligne qui va vers Guelma, au milieu des champs qui furent jadis le domaine des betteraves et du vignoble, le souvenir de feu Hassani Abdelaziz s'impose � moi comme ce tableau omnipr�sent des monts de l'Edough qui d�roulent leurs lignes molles � notre droite. Peut-�tre parce que Abdelaziz �tait de cette charmante ville. Peut-�tre aussi parce que cette route me rappelle le Grand Prix cycliste de la ville d'Annaba qui se d�roulait chaque ann�e au printemps et qui �tait la seconde plus grande �preuve mondiale du cyclisme amateur. La cr�me de ce sport populaire par excellence venait � Annaba pour pr�parer la grande Course de la Paix. Face � une redoutable concurrence, les Alg�riens faisaient bonne figure et arrivaient m�me � rafler des �tapes, pour le plus grand bonheur des spectateurs qui sortaient en masse pour applaudir le joyeux cort�ge. C'�tait une interminable caravane, radieuse et color�e, qui serpentait au milieu des pr�s barbouill�s du vert lumineux d'un printemps renaissant ; une longue colonne semant la joie dans les villages et les hameaux travers�s. Ce parcours sans grosses difficult�s alternait les routes rectilignes et les collines ne d�passant pas 700 m�tres (le col d'El Fjouj �tant le point culminant). L'�tape Annaba- Guelma et retour se situait � mi-chemin entre le plat ais� de Skikda ou d'El Kala et les grimp�es �reintantes de Sera�di ou de Mechrocha. Cyclistes et accompagnateurs l'abordaient avec un air d�bonnaire comme s'ils partaient pour un piquenique. C'est au cours d'une halte au niveau du col o� se disputait une arriv�e interm�diaire, r�compens�e par une coupe offerte par les autorit�s locales, que l'on me pr�senta Abdelaziz. Moustaches bien taill�es et tempes grisonnantes, le sourire constamment sur les l�vres et toujours tir� � quatre �pingles, le journaliste d' El Moudjahid avait toujours l'air distingu�. Accompagn� d'un autre sp�cialiste de la petite reine, feu Mohammed Meghiref, il m'accueillit avec amabilit� et m'offrit � boire un caf� chaud pour lutter contre le froid vif de ce mois de mars, surtout que le col �tait ouvert aux quatre vents. Je faisais mes premi�res armes au sein de l'�quipe du quotidien r�gional An Nasr, aux c�t�s d'un autre seigneur, grand ma�tre du cyclisme, le regrett� Rahmani Aziz... Abdelaziz Hassani deviendra mon grand ami � Alger, quand je rejoignis El Moudjahid� la suite de l'arabisation de notre canard r�gional. Durant pr�s de 20 ans, nous nous crois�mes quotidiennement dans les couloirs du journal et dans les nombreux caf�s et restaurants qui pullulaient � l'�poque du c�t� de la Grande-Poste, rue Ben M'hidi, rue Abane-Ramdane et les environs. Le destin a voulu qu'avec d'autres confr�res et amis, j'accompagne Abdelaziz Hassani � sa derni�re demeure, demeure, en empruntant cette m�me route captivante. C'�tait par une triste matin�e d'hiver, en venant de l'a�roport d'Annaba o� un avion de ligne venait de d�poser le cercueil dans un hangar froid et sombre. Et pendant que le long cort�ge montait vers le col d'El Fjouj, je ne pus r�primer les larmes qui submergeaient mon visage. Tous les vieux souvenirs revinrent � la surface : la grande gaiet�, unique dans le monde des sports, qui accompagnait les caravanes cyclistes, la fraternit�, la solidarit�, la course vers les t�l�phones (le fax n'�tait pas encore invent� et l'ordinateur n'existait que sous la forme des grandes machines de la taille d'un homme qui pondaient des cartes perfor�es) pour dicter les papiers aux st�nos des r�dactions centrales. Si �a ne tenait qu'� moi, j'aurais arr�t� le cort�ge fun�bre au niveau du col pour une minute d'hommage puis, dans le silence glacial � peine perturb� par les vents cavalcadant au-dessus des plaines, on aurait �cout� un morceau d'un vieux tube, la chanson �ternelle d'Henry Garrat : �Les mauvais gar�ons�. C'�tait l'un des airs que nous chantions ensemble � la �Fl�che d'or�, situ� � la rue Arago, sous la houlette de Boualem D'magh Baloun. Je suis s�r que �a aurait fait plaisir � Azzou, lui qui appr�ciait particuli�rement le premier morceau : �Nous les paum�s Nous ne sommes pas aim�s Des grands bourgeois Qui nagent dans la joie Il faut avoir Pour �tre � leur go�t Un grand faux col Et un chapeau mou �a n'fait pas chic une casquette �a donne un genre malhonn�te Et c'est pourquoi Quand un bourgeois nous voit Il dit en nous montrant du doigt C'est un mauvais gar�on Il a des fa�ons Pas tr�s catholiques On a peur de lui Quand on le rencontre la nuit C'est un m�chant p'tit gars Qui fait du d�g�t Sit�t qu'y s'explique�. Cette route me rappelle aussi les grands matches de l'ES Guelma et notamment les derbies contre le MO Constantine, le MSP Batna, l'Entente de S�tif ou l'USM Annaba. Face � cette derni�re �quipe dont la ville n'est distante que de 60 kilom�tres, un grand nombre de supporters b�nois se d�versait sur l'antique Calama. Qui en train, qui en voiture, qui en car ... Joie et fair-play dans les tribunes. Engagement et prouesses sur le terrain en tuff. C'�tait l'�poque des Doudou, Benslimane, Tadjet, Bouden, Sakhraoui, Boulfoul d'un c�t� et des S�ridi 2, Bambino, Essalhi, Hachouf, Belhaou�s, Maghmouli, de l'autre. Les yeux remplis de beaux gestes techniques, le c�ur charg� de tant d'�motions et les mains fatigu�es d'avoir tant ovationn� les h�ros du dimanche, nous reprenions le chemin du retour � bord du petit train pittoresque qui s'en allait cahin-caha � travers les paysages bucoliques de la campagne guelmoise. Ah ! Le train de Guelma ! C'�tait une tortue encore plus paresseuse que celle de la fable. Certains affirmaient qu'ils pouvaient descendre de ce train, cueillir les p�querettes et remonter comme si de rien n'�tait... La petite rame, compos�e de trois wagons, devait rallier Bouchegouf o� nous attendrons le train venant de T�bessa pour rejoindre Annaba en milieu de soir�e. A Bouchegouf, il y avait du monde � la buvette de la gare : supporters annabis et guelmois f�taient ensemble le grand derby. Perdant, gagnant ou match nul, les fans de l'�poque ne pensaient qu'� la f�te. C'�tait dans leur t�te. C'�tait dans leur c�ur. C'�tait plus important que le r�sultat affich� l�-bas, sur un tableau noir, d�j� invisible dans le cr�puscule d'hiver qui descendait sur Guelma et son stade. Qu'il �tait beau le football de nos vingt ans ! Qu'elle �tait belle l'Alg�rie des sixties et des seventies !