Par Ma�mar Farah La premi�re fois que j�avais vu Aziz Rahmani, c��tait lors du grand prix cycliste de la ville d�Annaba (�dition 1970), �preuve internationale prestigieuse qui rassemblait jusqu�� 20 �quipes nationales d�Europe et d�Afrique du Nord. Intervenant avant la grande course de la paix � le summum de la saison amateur �, ce prix �tait une occasion r�v�e pour huiler la m�canique et tester les rouages de tous les teams. Les plus grands champions du cyclisme amateur y venaient avec plaisir parce que le plateau offrait tous les profils : grimp�e en pente continue lors de l��tape de S�ra�di, cols de Mechroha et A�n Seynour vers Souk-Ahras, celui d�El Fjouj au milieu d�un parcours tranquille vers Guelma, randonn�e paisible dans les plaines d�El Kala ou de Skikda et course contre-la-montre sur le parcours de la Grenouill�re. Aziz entra en coup de vent dans le bureau d� An Nasr sis cours de la R�volution o� je venais d��tre recrut�. Pour faire des �conomies, la direction du journal testait la formule du chauffeur- photographe et c�est donc feu Selmi qui conduisait le v�hicule tout en serrant son appareil photo qui ne le quittait jamais. Aziz se pr�senta et me pr�senta son coll�gue de la centrale. C��taient des �envoy�s sp�ciaux�, terme qui me subjuguait dans ce m�tier o� je faisais mes premiers pas. Ils venaient pour la grande course qui donnait des airs de f�te � toute la ville ! Aziz �tait un journaliste sportif reconnu. Mais c�est dans le cyclisme qu�il excellait. Que ce soit pour le Grand Prix ou pour le Tour d�Alg�rie, il �tait toujours partant. La petite reine �tait une passion pour lui. Il aimait son c�t� bon enfant, color� Cette longue caravane de fourgons aux couleurs des sponsors qui suivait de pr�s les pelotons �parpill�s au milieu des pr�s ou sur les pentes encore enneig�es, avait quelque chose de magique. C��tait du sport, mais aussi une sympathique kermesse qui brillait dans les yeux d�Aziz. Il avait toujours le mot pour rire et faisait des blagues amicales � Selmi qui s�irritait parfois de l�insistance de son coll�gue. Mais, tr�s vite, un baiser sur le front du reporter-photographe ou une accolade chaleureuse arrangeait les choses. Je n�osais pas le demander mais Aziz a d� saisir dans mon expression un d�sir ardent d�accompagner cette cohorte joyeuse vers les arriv�es palpitantes, quand le peloton de t�te s�emballe soudainement dans des sprints qui sont un pur moment d�art. Les cyclistes ressemblaient alors aux jockeys des courses de paris, riv�s sur leurs montures qu�ils poussaient aux limites du possible. Aziz ne ratait jamais ces moments qui partagent les concurrents, quand, dans un effort ultime, le sprinteur franchit la ligne d�arriv�e, les bras lev�s en signe de triomphe et le visage heureux malgr� les traits tiss�s par la fatigue. Parfois, le vainqueur avait une demi-roue d�avance. D�autrefois, seule la photofinish pouvait trancher. Aziz gribouillait quelques notes sur un minuscule calepin et repartait aussit�t vers l�agence situ�e de l�autre c�t� du cours de la R�volution. Selmi �tait d�j� � la gare pour d�poser les pellicules dans le train de 17 heures. Nous avions des enveloppes rouges sp�ciales appel�es �Hors sac� pour mettre nos articles et nos photos. Ces enveloppes ne prenaient pas le chemin des sacs postaux qui seront distribu�s le lendemain matin et �taient remises par le chef de train � un employ� du journal, � Constantine. Ce qui m�avait frapp� le plus chez Aziz et que je ne verrai qu�une autre fois dans ma vie professionnelle, chez Bela�d Ahmed, notre grand r�dacteur en chef disparu, �tait sa mani�re d�envoyer ses articles. A l��poque, nous utilisions le t�l�phone et nous devions dicter les papiers � des st�nodactylos, des secr�taires d�un genre particulier : elles ma�trisaient la st�nographie, �criture abr�g�e pour gagner du temps avant de taper tranquillement l�article complet. Aziz ne r�digeait pas son papier ! Il le dictait sans l�avoir �crit. De temps � autre, il baissait ses lunettes � comme le font tous les myopes � pour lire le nom d�un col, un horaire de passage, les temps ou les noms des gagnants. Et aussit�t, il reprenait la dict�e. A c�t�, moi je suais pour construire mes petites phrases sur les potins du Grand Prix. Parfois, la corbeille se remplissait de feuilles de papier � peine ratur�es. Je regardais alors le ma�tre dicter sans s�arr�ter, sans donner l�impression de trop r�fl�chir, marquant nettement les arr�ts au niveau des virgules et des points. Et au fond de moi-m�me, je me disais que j�allais lire le lendemain un papier d�cousu et plein d�errements grammaticaux. Je pensais alors que l�on ne pouvait pas dicter un article sans l�avoir �crit. Mais, en d�couvrant la page sportive avec les grands titres qu�il concoctait si bien, j��tais nettement surpris par la coh�rence du texte, sa po�sie, les infos pr�cises qu�il contenait et les analyses pertinentes qu�il offrait aux lecteurs. Aziz ne suivait pas toute la course. Je d�couvrais alors que le journaliste charg� de la couverture d�un peloton n�avait pas � rester coll�, minute par minute, � la caravane. Ses infos, il les r�coltait aupr�s du commissaire de la course, le regrett� Soufi. Mais, dans les cols, les coins strat�giques, aux arriv�es des demi-�tapes et aux finish, il �tait toujours l� ! Aziz m�a fait aimer la petite reine : j�en suis devenu un passionn� et je crois pouvoir dire, aujourd�hui, que la course cycliste est la plus belle des �preuves sportives pour un journaliste : elle le fait sortir des enceintes ferm�es, sp�cialement construites pour le sport, pour l�emmener au milieu de la nature. Il y a alors une certaine harmonie qui s�installe entre cette nature presque sauvage (une course sur une autoroute ? Quelle horreur !) et l�effort humain dans sa version la plus pure. Il n�y a aucun moteur, seuls les mollets de l�athl�te donnent de la puissance � la machine. Quant aux badauds mass�s tout au long du parcours, ils conf�rent � la course son c�t� populaire et festif. Car, quand on va au stade, on paye son billet pour voir un spectacle. Les gens qui s�agglutinent dans un col capricieux ou une arriv�e disput�e n�ont rien pay�, ils sont � la campagne ou dans les rues des villes, c�est-�-dire dans leur milieu naturel et c�est le spectacle qui vient � eux. Car, le sport amenait aussi des orchestres, des danses, des cr�pes � l��il, pr�par�es par une bombe oranaise dans le camion de la Sempac et le bon caf� gratuit dans le fourgon de Nizi�re. Il y avait les casquettes, les tee-shirts, les stylos, les porte-clefs� J�ai longtemps gard� en m�moire ce moment merveilleux o� je d�couvrais, en m�me temps qu�un journaliste chevronn�, bon vivant, int�gre, une passion qui deviendra la mienne. Lors de cette �dition 1970, il me pr�sentera les deux envoy�s sp�ciaux d� El Moudjahid qui deviendront aussi de tr�s bons amis (feux Abdelaziz Hassani et Mohamed Meghiref), les rares journalistes qui pouvaient se targuer de conna�tre la petite reine sur le bout des doigts. Pourtant, un jour, je retrouvais cette passion et cette ma�trise chez un jeune que nous venions de recruter � la rubrique sportive d�Horizons, au milieu des ann�es 1980, et qui fera l�une des plus brillantes couvertures du tour cycliste d�Alg�rie, patronn�e cette ann�e-l� par notre quotidien : El Kadi Ihs�ne. Aziz, sans le quotidien An Nasr, ne sera plus Aziz. Certes, il continuera de briller dans l�hebdo El Hadefcr�� par l��quipe qui ne nous a pas accompagn�s � Alger apr�s l�arabisation de notre journal. Mais, il avait besoin de rendre compte des �tapes au jour le jour, car une �chapp�e h�ro�que de 100 kilom�tres en solitaire �tait un exploit rare qu�il fallait d�cortiquer imm�diatement et s�il fallait attendre une semaine pour en parler, au milieu des autres arriv�es sans �clat, ce n��tait plus une couverture sportive pour Aziz. Dans le style vif et po�tique qui �tait le sien, il aimait relater l�actualit� du jour sans chichi, rendre ses lumi�res et ses hauts faits, mais aussi ses particularit�s anodines ; pour cela, il avait besoin de courir vers l�agence, y saisir le combin� du t�l�phone et dicter, dicter, sans s�arr�ter, avant de sentir cette grande et douce fatigue qui est un moment de bonheur inaccessible pour ceux qui n�ont jamais repos� un appareil t�l�phonique en sachant que les mots, tap�s par une secr�taire, vont devenir, plomb, carton, papier journal fra�chement sorti des rotatives qui hurlent au-dessus du Rummel... Les mordus du quotidien comme nous se sentent perdus dans l�hebdo. Ils n�ont pas la capacit� de synth�tiser ou d�analyser un �v�nement s�ils perdent le fil de� l�actualit�, s�ils doivent attendre le bouclage hebdomadaire. Le journalisme en hebdo, �a fait intellectuel. Nous, on �tait des bourlingueurs et ce c�t� magique du m�tier de quotidien, ouvert sur la vie de tous les jours, pr�s des gens, de leurs souffrances, de leurs espoirs, je l�ai appris chez les envoy�s sp�ciaux d� An Nasr, une pl�iade de talents qui, en 1962, a pris la rel�ve de l��quipe pied-noir qui publiait La D�p�che de Constantine. Quand ils venaient dans notre r�gion, j�aimais les accompagner pour d�couvrir ces sensations qu�aucun autre m�tier ne procure ! Ils s�appelaient Salim Mesbah, Rahmani Aziz ! Ils s�appellent Zoubir Souissi, Boubekeur Hamidechi, Mustapha Manceri ! Sans oublier le chef d�orchestre, �El Gat�, feu Benslama ! Repose en paix, Aziz ! Tu as �t� aux cimes de l�art journalistique et tu as donn� ta vie professionnelle � la petite reine. Tu l�as embellie de ta plume g�n�reuse. Tu l�as port�e haut dans ton c�ur et tu as fait partager cette passion � des milliers de gens. Ton petit fr�re du Majestic, qui alimentait ta page avec des potins pas toujours r�ussis, a savour� ces moments de grande intensit� sportive, mais aussi les �-c�t�s, quand autour d�une table fraternelle, nous oublions la comp�tition pour parler � la mer. Ta joie de vivre, tu l�as communiqu�e m�me aux poissons et je suis s�r que ce matin, rougets, merlans, dorades et loups sont bien tristes au fond de cet oc�an chagrin� de ne plus entendre tes �clats de rire� Il est un titre de ta cr�ation qui me revient alors que je suis seul � ma table devant les vagues tranquilles de cette journ�e ensoleill�e mais qui vire d�j� au gris : �Plate monotonie et monotone platitude�� C�est cela que je vois et je ressens maintenant� Et c�est avec une tristesse infinie que je te rechante une derri�re fois ce po�me que tu aimais tant entendre les soirs d��t�, quand la mer se couvrait d��cailles de lune : �Comme le chemin de rondes que font sans cesse les heures, Le voyage autour du monde d�un tournesol dans sa fleur, Tu fais tourner de ton nom tous les moulins de mon c�ur ; (�) Ce jour pr�s de la source, Dieu sait ce que tu m�as dit, Mais l��t� finit sa course, l�oiseau tomba de son nid Et voil� que sur le sable mon pas s�efface d�j� Et je suis seul � la table qui r�sonne sous mes doigts ; Comme un tambourin qui pleure sous les gouttes de la pluie, Comme les chansons qui meurent aussit�t qu�on les oublie ; Et les feuilles de l�automne rencontrent des ciels moins bleus Et ton absence leur donne la couleur de tes cheveux Une pierre que l'on jette, dans l'eau vive d'un ruisseau Et qui laisse derri�re elle, des millions de ronds dans l'eau...�