Par Ali Akika, cinéaste La France de Hollande semble avoir tiré des leçons des aventures militaires de son prédécesseur. Autant Sarkozy avait endossé en Libye l'habit d'un Bush imbu de sa puissance autant Hollande se la joue plus modeste. Cette différence d'attitude s'explique par leur idéologie politique, leur personnalité, leur éducation et bien d'autres choses. Mais il est plus intéressant de cerner les impératifs qui ont amené Hollande à adopter une autre attitude que Sarkozy. Ce dernier a laissé un tel passif derrière lui, notamment en Libye, que son successeur se devait d'effacer cette image encombrante pour sauvegarder les intérêts de la France, un pays qui est loin de faire une rupture avec la Françafrique. Comment allait-il s'y prendre pour avoir l'appui de l'opinion nationale et internationale et affronter l'ennemi sans grand dégât pour lui et son pays ? Cette contribution a pour objet de cerner les éléments cachés de sa stratégie. Je me baserai uniquement sur les faits concrets, puisque le réel a déjà «parlé» sur le terrain. Je me bornerai à explorer le facteur mis sur la place publique ; c'est-à-dire l'information ou plus précisément la partie qui est en vérité de la désinformation. Ces deux précisions sont importantes car on a tendance à tomber dans les travers des spéculations hasardeuses, ce qui est le comble quand on veut informer honnêtement les lecteurs. Comment et par qui a été exécutée cette désinformation ? Mais avant, quelques mots sur cette technique de la désinformation qui a le même âge que la guerre. Elle est une branche des services d'espionnage, un métier dangereux où l'agent perdant son identité a intérêt à avoir des yeux de lynx, l'ouïe d'une souris et l'esprit d'analyse d'un ordinateur pour cacher le vrai et vendre le faux. Aujourd'hui, en dépit de la formidable extension des réseaux de communication, la désinformation est loin d'être reléguée dans un musée, elle est devenue bien au contraire une arme très recherchée, beaucoup moins dangereuse et très bon marché. Son efficacité est telle que les diplomates et même les hommes d'Etat ne répugnent pas à se salir les mains comme les espions, ces soldats de l'ombre. Tout un chacun a en tête le discours du secrétaire d'Etat américain Colin Powell, cartes et croquis à l'appui, devant le Conseil de sécurité de l'ONU en train de mentir comme un arracheur de dents à propos de l'existence d'armes de destruction massive en Irak. Ce que la machine diplomatique et médiatique servie et manipulée par la CIA n'avait pas réussi à convaincre le monde, un discours sur la base d'une construction intellectuelle avec des matériaux mensongers, mais prononcé dans une enceinte internationale, a atteint son objectif en «légalisant» une agression contre un pays. Un mensonge qui devient «vérité», comment est-ce possible ? Pour Vladimir Volkoff, un écrivain de romans d'espionnage d'une grande qualité littéraire, cela est possible car la désinformation élaborée par les analystes des services d'espionnage ressemble à des romans. La littérature, on le sait, a la faculté de faire «fondre» la fiction dans le réel. Fermons la parenthèse. L'agent de la désinformation sur le Mali a utilisé l'arène médiatique pour tromper son monde. Son statut et la qualité des informations que lui fournissent les services de l'Etat donnaient du poids à sa parole. Le 31 janvier 2013, j'avais écrit ici même que les «barbus» semblaient s'être fait piéger par la France. Depuis, des fuites parues dans différents journaux français semblent le confirmer. Il apparaît d'après ces fuites que le gouvernement français avait mis en place une machine d'intoxication en direction de tous les acteurs amis et ennemis jouant un rôle au Mali. Pour réussir l'enfumage de tous ces acteurs, celui qui est monté en première ligne n'est autre que le président de la République française. Dans sa conférence de presse du 13 décembre 2012 il lança en direction des bandes armées islamistes un leurre pour les «mettre en confiance» et les attirer sur le terrain que son armée avait choisi. Il les «rassura» en disant que les forces françaises ne viendraient qu'en appui aérien aux troupes africaines en leur fournissant de la logistique et du renseignement. La réalité fut tout autre puisque tout le travail sur le terrain a été fait par l'armée française. Le deuxième leurre était destiné à l'ONU et plus généralement à l'opinion internationale pour que les islamistes mordent mieux à l'hameçon. Le président français ne cessa de dire que la France interviendrait uniquement dans le cadre strict des résolutions du Conseil de sécurité. Celles-ci, numéros 2071 et 2085 (12-10-2012 et 20-12-2012), disent explicitement que l'intervention est l'affaire des troupes africaines de la Cédéao avec l'appui de forces internationales. On sait maintenant que les déclarations du président de la France relevaient de la simple rhétorique. La guerre a été déclenchée en dehors des délais fixés par l'ONU et sans la présence de troupes africaines. Les troupes maliennes elles-mêmes étaient cantonnées dans des tâches de contrôle et de surveillance des axes de communications. Ajoutons que les fameuses troupes de la Cédéao ne foulèrent le sol malien que deux semaines plus tard. On est en droit aujourd'hui, sur la base des déclarations du président français et de son ministre de la Défense, de déduire que la France n'avait nullement l'intention de respecter les délais et de réunir les moyens exigés par l'ONU. Ses raisons sont multiples et sont de nature militaire, diplomatique et politique. - Militaire, les généraux français voulaient certainement éviter de combattre en été et voulaient attirer les intégristes loin de leurs bases pour les décimer facilement par l'arme contre laquelle cet ennemi-là ne peut rien : l'aviation. - La diplomatie française redoutait que les délais exigés par l'ONU soient trop longs et que les moyens financiers et l'équipement des forces de la Cédéao ne soient pas au rendez-vous. Elle préféra mettre tout le monde devant le fait accompli pour forcer les alliés à mettre la main au portefeuille. - Sur le terrain politique et stratégique, la France, ayant de gros intérêts, semblait vouloir mettre tout son poids pour empêcher d'autres puissances de lui mettre des bâtons dans les roues ou tout simplement lui ravir sa place dans cette région du monde. Dans la première phase de la guerre, ces leurres ont atteint leur objectif : attirer les bandes armées intégristes sur un champ de bataille favorable pour les affaiblir, libérer les villes et les faire reculer dans leurs caches. Quant à l'ONU, elle n'a pas émis de protestations contre le non-respect des délais qu'elle a fixés. Son secrétaire général Ban Ki-moon a manifesté tout au plus quelques inquiétudes quant à la tournure des combats et le sort des populations civiles. Ces gains engrangés par les troupes françaises dans un premier temps n'assurent pas pour autant la victoire. Car une guerre se gagne rarement en une seule bataille. Elle nécessite du temps, des moyens, le soutien du pays, la désinformation n'étant qu'un élément tactique mais pas un facteur décisif. Cette vérité est corroborée par les quelques renseignements disponibles à côté de messages contradictoires de l'état-major français, communiqués criant victoire et journalistes «interdits» sur le terrain au contact du feu de la guerre. Cette rétention des informations a-t-elle été prévue dans le cadre de la désinformation ou bien a-t-elle été imposée par la réalité des combats? De toute manière, l'avenir paraît incertain et comporte beaucoup d'inconnues On pensait que le «travail» serait fini en quelques semaines et que la suite serait du ressort des troupes africaines. Ces prévisions semblent être une vue de l'esprit et des surprises ne sont pas à écarter dans plusieurs domaines : 1- le soutien des alliés de la France se résume en un appui verbal et en quelques avions de transport de troupes et de matériel ; 2- à l'ONU, la France risque de rencontrer quelques difficultés à faire l'unanimité autour d'une résolution comportant tous ses desiderata : couverture de son intervention sous l'égide de l'organisation internationale et les charges financières qu'elle implique. Ce sera une occasion pour des pays de faire remarquer à la France la trop grande liberté qu'elle prend avec les résolutions du Conseil de sécurité. Remarquons que c'est la deuxième fois que la France a une interprétation élastique d'une résolution de l'ONU. La première fois c'était en Libye avec la complicité de l'OTAN. Aujourd'hui, l'Occident s'en mord les doigts car il paie cher sa désinvolte interprétation de la résolution sur la Libye. Ses propositions condamnant la Syrie sont systématiquement rejetées. L'Occident, mû par son indécrottable arrogance, pense que l'ONU est une cour de récréation d'une école et non un forum où de grandes puissances siègent pour défendre leurs intérêts et ceux de leurs alliés ; 3- après l'ONU, la France devra compter avec le gouvernement malien (certes faible mais qui peut s'appuyer sur les Américains, j'y reviendrai plus loin) qui ne manifeste pas un enthousiasme débordant pour une couverture onusienne des troupes étrangères sur son territoire. Car le Mali voit d'un mauvais œil le jeu de la France au nord de son territoire où ses soldats sont «interdits» pour éviter des heurts avec les Touareg. Il soupçonne la France de vouloir introduire les Touareg dans le jeu politique pour assurer une stabilité politique au pays. On voit que la France a du boulot à abattre pour concilier le petit monde de l'armée malienne qui se livre à des batailles rangées en plein Bamako, pour faire dialoguer des ethnies qui se regardent en chiens de faïence et une classe politique qui s'est décrédibilisée en faisant du bizness avec les narcotrafiquants et en liant des liens complices parce que juteux avec la nébuleuse de tous les barbus du Sahel, détenteurs d'otages. Craintes de l'ONU, réticences maliennes, déclarations contradictoires de ministres français sur la présence des troupes françaises, buts de guerre imprécis ou cachés, autant de facteurs qui risquent de couvrir de nuages le ciel malien. Au milieu de ces buts de guerre, il y a un facteur qui risque de dérégler le cours des choses, ce sont les otages. Ces derniers semblent être un objectif important pour des raisons aussi bien de politique intérieure que pour faire oublier les critiques pour paiement de rançons (une habitude de la France). A voir la précipitation des troupes françaises vers les bastions des intégristes au nord du Mali, on en déduit que la libération des otages est une priorité. Mais une telle opération présente un danger car un éventuel échec qui se traduirait par la mort de ces otages-civils serait un fiasco politiquement parlant. Mais il y un deuxième danger encore plus grand en raison de la proximité de l'Algérie. Un éventuel franchissement (dans le feu de la mitraille et le chaos d'une bataille) de la frontière algérienne par les belligérants leur fera forcément rencontrer l'armée algérienne. Et là, tous les dérapages sont possibles. Tout l'arsenal diplomatique des deux pays ne sera pas de trop pour démêler les fils d'une pareille crise en dépit des éclaircies politiques à la suite de la visite de F. Hollande en Algérie en décembre 2012. D'aucuns n'osent imaginer l'effet désastreux dans l'opinion algérienne... le peuple algérien voyant 173 ans après l'an 1830 des soldats français foulant le sol algérien. Face à un tel événement, aucune manipulation de l'information exécutée par l'agent le plus expert de la désinformation ne pourra calmer la colère des Algériens. Parmi les autres surprises possibles de cette guerre, il ne faut pas sous-estimer les coups d'une guérilla le dos au mur menant une guerre d'usure dans des régions hostiles et livrées à elles-mêmes en l'absence de forces africaines solides et bien coordonnées. Les intégristes qui, sans menacer dorénavant l'Etat malien, peuvent faire mal à l'armée française protectrice de cet Etat, une protection qui a un coût financier insupportable dans une période de chômage et de précarité pour la population française. Les derniers événements à Gao et à Kidal viennent confirmer que les intégristes n'ont pas encore dit leur dernier mot. Et enfin, l'ultime surprise pourrait venir des Etats-Unis qui félicitent la France pour son opération tout en fixant toujours l'horizon malien où ils ont investi dans la formation de l'armée dont un officier portant le nom de Sanogo n'est autre que le putschiste qui renversa ATT (Amadou Tounami Touré). Leur position sur le Mali, exigence d'élections démocratiques, réticence à faire couvrir par l'ONU l'intervention française, indiquent qu'ils veulent s'appuyer un jour ou l'autre sur le capitaine Sanogo pour mettre un grain de sable dans la machine française. N'oublions pas que les Américains sont à la recherche d'un siège en Afrique de leur Africom exilé pour l'instant en Europe. F. Hollande a peut-être été un bon agent de la désinformation au début de l'aventure malienne. Mais être chef de guerre pour mener à bien une telle mission requiert de sa part et de son pays d'autres atouts et d'autres moyens face à tous les oiseaux prédateurs qui étendent leurs ailes au-dessus du désert. Les risques potentiels cités plus haut peuvent réserver à Hollande du désenchantement, lui qui avait poétiquement annoncé durant sa campagne présidentielle qu'il voulait réenchanter la France déprimée par et sous le règne de Sarkozy.