Par Farouk Zahi Vendredi 22 février 2013. C'est justement en ce jour hivernal et timidement ensoleillé que le paisible cimetière des Ouled Hamida, balayé par une brise glaciale, recevait la dépouille mortelle de Bachir Meftah, l'homérique poète de Bou Saâda. Nombreux étaient ses proches, ses amis, ses collègues, ses admirateurs qui ont tenu à lui témoigner le respect qu'ils lui vouaient. La perte est incommensurable, certes, mais cette forte assistance conforte, si besoin est, la justesse de cette sentence du prophète (QSSSL) : «L'encre des savants est plus sacrée que le sang des martyrs.» Né le 7 décembre 1950 à deux pas de la mythique mosquée des Ouled Hamida, dont cheikh Mohamed Lograda, dit hadj Zerrouk, en a fait une irréversible mosquée libre dans le giron des oulémas, ce fils d'artisan tailleur a baigné dans la spiritualité d'une autarcie traditionaliste s'arcboutant à préserver son authenticité identitaire. Il fera ses classes coraniques sous la baguette de cheikh Belkacem Chemissa, que Dieu lui prête vie. Il apprenait dès son jeune âge le Saint Coran qu'il récitait en dirigeant parfois les prières communautaires. Brillant élève, il fit ses classes élémentaires et moyennes à Lucien Chalon, célébrissime groupe scolaire colonial. Après un brillant parcours scolaire, ce fils du pauvre, tout comme Feraoun, opte pour une formation d'instituteur qu'il débute à l'Institut de technologie de l'éducation de Médéa et qu'il parachève à l'Ecole normale de Bouzarèah. A partir de ce guet, qu'est la fonction éducative, il pouvait observer les soubresauts d'une société en pleine régénérescence post-coloniale. Il luttait contre l'analphabétisme autant graphique que culturel. C'est ainsi qu'il donnait gratuitement des cours de soutien de mathématiques, où il excellait d'ailleurs, aux jeunes venus de loin et inscrits à l'Institut islamique qui drainait beaucoup d'élèves dont certains y trouvaient leur ultime planche de salut. Cheikh Meftah ne donnait pas tout à l'esprit, il cultivait aussi le corps ; tour à tour, il est footballeur, haltérophile et enfin handballeur. Presque professionnel, il fut approché dans cette dernière discipline par l'Olympique de Médéa (OM) qui voulait s'attacher ses services. Ce bouillonnant personnage, au calme olympien, couvait une ardente incandescence de l'âme qu'il savait contenir par la pratique du yoga. Même ses aînés ne pouvaient le désigner que par le titre de cheikh Meftah. Professeur de lettres, il est sollicité par la défunte Amicale des Algériens en France pour enseigner la langue arabe aux enfants d'émigrés. C'est outremer, qu'il développera au contact des Maisons de la jeunesse et de la culture (MJC) cette expertise dans l'animation théâtrale qu'il déroulera plus tard à des troupes en herbe. Féru de poésie arabe et française du XIXe et XXe siècles, il versifiera allégrement dans les deux langues. Dans la première se sera, Nabdh essouar et dans la seconde, Sentiments versifiés publiés lors de son séjour parisien. Membre de l'Union des écrivains algériens et de l'Union nationale des arts culturels (Unac), il achèvera en 2002 sa carrière flamboyante d'éducateur en qualité de directeur de collège. Poète avéré, il est aussi traducteur d'œuvres universelles ; on lui doit, à ce titre, La Mort du loup d'Alfred de Vigny, Le Lac d'Alphonse de Lamartine ou encore Tu seras un homme, mon fils de l'Anglais Rudyard Kipling. L'œuvre la plus accomplie aura été «ses» fables de la Fontaine les plus populaires. Publié par Casbah éditions, le recueil dont les stocks à la vente sont épuisés serait en voie d'être réédité. Le défunt a confié ses deux dernières œuvres à paraître, à la maison d'éditions Dar El Khalil. Membre fondateur de l'association Aïssa Bisker pour la promotion de la culture de l'enfant, il en fit son gîte culturel depuis sa création en 2006. Bibliothécaire averti, il gérait le fonds documentaire de l'établissement avec cet amour du livre que l'on ne retrouve que chez l'érudit. Il enseignait concomitamment aux enfants qui fréquentaient le centre l'art lyrique et l'expression théâtrale. Il a pu monter L'avare d'El Djahidh et Les femmes savantes de Molière dans la langue respective de leurs auteurs. Ces représentations, organisées lors de la Journée universelle de l'enfance, firent oublier aux différents auditoires adultes qu'il ne s'agissait en fait que d'enfants issus de toutes les couches sociales de la cité. Ces petits bourgeons écloront un jour prochain, pour se rappeler de ce pédagogue hors pair. Ils ne verront plus cette silhouette féline et alerte ; d'ailleurs, la maladie qui a eu raison de lui l'a fait disparaître aux regards depuis la fin de l'année écoulée. Le chantre du Hodna, comme l'a si bien nommé une épitaphe journalistique, repose présentement sur le belvédère où il pourra à loisir scruter les immensités steppiques, écouter le bruissement de l'eau dans la séguiaet le chuchotement du vent dans le feuillage de la palmeraie qu'il a tant aimée. Heureux, il côtoiera dans son silence éternel Nacer Eddine Dinet, Edouard Verschafelt que la cité a islamisés, cheikh Hadj Zerrouk ou encore, Salah Chouikh dit Ghandi, mentors du mouvement national, enterrés pas très loin de sa nouvelle demeure.