C'est connu, les islamistes de tous bords sont forts pour leur activisme sur le front social en ciblant les couches défavorisées pour enclencher de rapides dividendes politiques, et ce, sans être dans l'obligation de dévoiler le moindre engagement de leur part dans le volet économique. Ils évitent par ailleurs de prendre ainsi des risques politiques tout en dressant une partie de la population contre les régimes en place. Ultérieurement, la frange des jeunes touchée par cet activisme se met en situation de redevable envers ses bienfaiteurs et devient la source de recrutement de troupes pour les moments de l'action de rue, y compris l'action violente. Les catastrophes naturelles sont des moments appropriés pour eux. Les islamistes algériens ont fait, par exemple, du tremblement de terre du 29 octobre 1989, survenu dans la région de Tipasa à l'ouest d'Alger, un grand moment pour marquer de leur empreinte l'action envers les sinistrés. La crédulité d'une partie des citoyens et le recul de l'Etat leur ont facilité le travail. Leur présence sur le terrain est devenue ensuite un argument électoral pour l'ex-FIS. Qu'en était-il en 2003 ? Leur présence, toute relative au demeurant, sur le terrain le lendemain du 21 mai a suscité une réaction d'alerte d'une partie de la presse nationale. De leur côté, les médias étrangers, occidentaux surtout, ont occulté les autres aspects du drame qui a touché la population des trois wilayas du centre du pays et l'élan d'une solidarité sans faille qu'a témoignée le reste du pays pour ne diriger leur regard scrutateur que sur le travail des islamistes sur le terrain. Selon cette presse, l'Etat était complètement absent auprès des rescapés et les islamistes avaient le terrain libre pour agir. Ce qui était faux. Par ailleurs, nous avions noté que les citoyens qui venaient des autres wilayas du pays pour apporter secours et compassion aux sinistrés tenaient, à chaque fois qu'il leur était possible, à dire qu'ils ne représentaient aucun courant politique. La majorité d'entre eux mettait sur leurs véhicules l'emblème national pour marquer leurs distances avec ces courants. Pour notre part, nous nous contenterons de relater un fait que nous avons vécu à Thénia, dans la wilaya Boumerdès, trois jours après le drame pour synthétiser la réaction des sinistrés par rapport à la tentative des islamistes de récupérer leur malheur. Voici les faits. Une correspondante d'une agence britannique d'information, qui était venue en Algérie pour enquêter sur justement ce que faisaient les islamistes algériens en direction des sinistrés, avait suivi un convoi de deux camions chargés de secours. Ces camions avaient pris le départ à partir d'une mosquée d'El Harrach, connue pour être une institution religieuse sous contrôle des salafistes et les partisans d'El Hidjra oua Tekfir. Alors que les convoyeurs des deux chargements, des salafistes, s'affairaient à décharger les secours, la Britannique commençait à poser des questions sur l'organisation des secours. Avec un collègue, nous l'avions briefée sur la situation au niveau de la wilaya. Quand elle s'est tournée vers les citoyens pour les interroger, le premier qui était écrivain public à la poste de Thénia, toujours vivant d'ailleurs, quelque peu excédé par la question, se tourna vers les islamistes et asséna à notre consœur : «Ecoutez, c'est des Algériens, ils ont le devoir et le droit d'aider leurs semblables en cas de malheur. Mais en politique, sachez madame qu'un adage bien de chez nous dit ceci : "chacun sait où enterrer sa mère".» C'est un peu l'état d'esprit qui régnait après le 21 mai au sein des populations de Boumerdès.