[email protected] J'avoue que j'ai eu peur durant toutes ces dernières années, non pas de l'avenir aussi voilé que nos faces, mais du présent, j'ai connu une peur quotidienne, une peur de proximité, suralimentée par ce que je vois et entends autour de moi. Contraints de ne plus croire en des jours meilleurs ici-bas, et sous les effets du «Tchernobyl» wahhabite, mes compatriotes, et néanmoins coreligionnaires, ne se désespéraient pas, ils me désespéraient. Ma peur redoublait lorsque je les écoutais discourir sur le bien et le mal, surtout sur le mal dont nous serions les plus farouches adversaires. Entre deux prières à la mosquée voisine ou de proximité, ils se rassemblaient par petits groupes pour parler de l'Au-delà, des futures félicités, puisque le bonheur sur terre n'est qu'illusion et que même cette illusion n'est pas accessible pour tous. Je me disais en mon for intérieur, une posture idéale en période de suspicion, que mes semblables étaient en train de muter. Ils étaient en train de se transformer en êtres parfaits, n'ayant à la bouche que Dieu, louanges au Divin et à son voisinage, des êtres poussant la perfection jusqu'à son paroxysme. Nous étions humains, excessivement humains parfois, et voilà que nous étions en train de nous transformer en modèles de bonté, d'amour, et de pureté. C'est aller bien au-delà des la mission assignée à l'homme sur terre, depuis que Caïn a tué son frère Abel, c'est s'imaginer qu'il peut nous pousser des ailes, alors que l'homme a mis des siècles pour inventer une autre façon de voler. Et c'est ce qui fait peur, ce qui ferait peur à n'importe quel être humain, doué de raison et de sentiments. Heureusement que cette peur a quand même des occasions de s'atténuer, voire de s'estomper à la lecture des rubriques de faits divers des journaux(1). Je respire enfin : sorti des pages de politique et d'initiation à la vertu, je redécouvre des êtres humains plus ressemblants, tels qu'ils sont, même si on pense qu'ils pourraient et devraient faire mieux. La rubrique des faits divers, c'est la vitrine de la vie réelle, celle qui tourne le dos aux faux prophètes comme Karadhaoui(2) et Arifi. C'est dans la rubrique des faits divers que l'on apprend ce que recouvre cette pudique expression de «maux sociaux», utilisée pour dire tout ce qu'on s'obstine à nier : l'évidence. La pédophilie ? Ce n'est pas parce que l'Islam la condamne qu'elle n'existe pas, surtout dans certains pays musulmans. L'homosexualité ? Tout comme la pédophilie, elle nous interpelle dans les colonnes de nos journaux, et ce n'est pas en se gaussant des mariages gays en Occident que l'on empêchera les nôtres de s'y adonner, au vu ou au su de tout le monde. Le mérite des Occidentaux est de reconnaître ces faits de société, alors que nous nous obstinons à les exorciser, par dénégations répétées, dans l'espoir de les voir disparaître. D'ailleurs, même ceux des imams qui sont à l'avant-garde de ce négationnisme de société sont parfois surpris en flagrant délit(3). Humains, enfin humains ! Pourquoi les gens qui sont en quête de perfection, d'absolu, ceux qui aspirent à être «l'ombre» de Dieu sur terre me font peur ? Ce qui les conduit aux pires excès, aux meurtres et souvent aux crimes contre l'humanité. Dans ce cas, à trop vouloir être au-dessus des humains, on se met au-dessous de la condition humaine, en se laissant aller à ses plus bas instincts. La plus récente des horreurs a eu lieu dimanche dernier, dans un village du gouvernorat de Gizeh, au sud du Caire, Abou-Mouslim, le très mal nommé. Des centaines de personnes, voire des milliers, selon les médias égyptiens, ont attaqué la maison d'une grande figure du chiisme en Egypte, Hassan Chehata, l'ont incendiée et ont trucidé quatre de ses occupants, dont le propriétaire. Non contents de ce forfait, les émules «musulmans» de Lynch ont versé dans l'épouvantable, en traînant les corps des suppliciés dans les rues du village et en se laissant filmer, comme s'il s'agissait d'un acte héroïque. Depuis plusieurs mois, Hassan Chehata était l'objet d'une campagne menée par les islamistes égyptiens contre les chiites, avec en toile de fond, la guerre en Syrie. Une semaine avant ces tragiques incidents, des salafistes avaient publiquement interpellé le Président Morsi, lui demandant de nettoyer l'Egypte de la «vermine chiite». C'était lors d'un grand meeting dans un des stades du Caire, qui clôturait les trois jours de haine antichiite, organisés par le syndicat wahhabite de Karadhaoui, avec un appel au djihad. Ce sont apparemment les habitants de ce village d'exterminateurs qui ont été les premiers à répondre aux appels au meurtre, lancés par les «imams du mal», à partir du Caire et relayés par Al-Jazeera. Les chiites irakiens, l'Iran, le Hezbollah ont condamné le crime, et pour cause, mais les meurtriers eux-mêmes n'ont exprimé ni remords ni regrets, bien au contraire. Du côté des autres pays arabes sunnites, on attend une vengeance chiite pour pousser des cris d'indignation. Triste humanité qui rêve de paradis et de cohabitation avec les anges, tout en ne se signalant que par des agissements qui mettent Satan en état d'intense jubilation. A. H. (1) Certains journaux arabophones consacrent d'ailleurs plus de place que les autres aux manifestations de ces «maux sociaux», notamment ce qu'ils appellent les «déviations sexuelles». Est-ce pour expérimenter une thérapie sociale ou pour mieux vendre ? (2) Je commence à le plaindre, ce bougre : après avoir servi pendant des décennies les plans de la dynastie et s'être servi au passage bien sûr, voilà que le dernier intronisé le menace de le renvoyer chez lui, en Egypte. Si ce n'est pas un plan pour le mettre en orbite au-dessus d'Al-Azhar, c'est simplement de l'ingratitude. (3) J'ai lu qu'un ancien imam âgé de 40 ans a été filmé dans une relation «attentatoire à la pudeur» avec un jeune de vingt ans. L'imam de son quartier a évidemment condamné, mais en précisant que le mis en cause était un «imam retraité». Ce qui veut dire qu'être imam n'est pas un sacerdoce, mais une banale fonction administrative. Et qu'une fois à la retraite...