Décidément, le Conseil français du culte musulman, CFCM, ce gadget ô combien utile pour certains et combien futile pour beaucoup d'autres, ne cessera de faire parler de lui, et ses turbulences de faire noircir du papier. Dimanche 30 juin, Dalil Boubekeur, le recteur de la Grande Mosquée de Paris, après moult pérégrinations, a été élu président par «la très grande majorité des membres du conseil d'administration», dixit Abdallah Zekri, membre de ce conseil et président de l'Observatoire de l'islamophobie. Est-ce à dire que les problèmes qui ont jalonné cette élection ont été surmontés ? Est-ce à dire aussi que les 3,5 millions de musulmans en France approuvent cette élection et y voient enfin une meilleure défense de leurs intérêts ? Au fond, le CFCM a-t-il réellement été créé pour cela et les nombreuses turbulences qu'il a connues ne trouvent-elles pas leur origine dans le flou artistique qui a accompagné cette création et dans la personnalité de ses dirigeants ? Le retour de Dalil Boubekeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris, à la tête du CFCM est effectif depuis dimanche, suite au vote du conseil d'administration. Cette élection fait suite à un véritable coup de théâtre qui avait vu, la semaine dernière, les membres de la Grande Mosquée de Paris claquer la porte d'une réunion du CFCM. Pour comprendre ce coup d'éclat, il faut savoir que Dalil Boubekeur, qui ne se présentait pas à la présidence du CFCM, y présenta la candidature d'un membre de son staff, l'avocat Chems-Eddine Hafiz. Il n'en fallait pas plus pour mettre le feu aux poudres. Le Rassemblement des musulmans de France, RMF, proche du Maroc ; le Comité de coordination des musulmans turcs de France, CCMTF, et la Fédération française des associations islamiques d'Afrique, Comores et Antilles, FFAIACA, se sont prononcés contre la candidature de Me Hafiz, reprochant à ce dernier d'être l'avocat du Polisario en France. Dalil Boubekeur a dû, alors, se présenter lui-même et obtenir le suffrage des votants pour la présidence du CFCM, succédant ainsi au Franco-marocain Mohamed Moussaoui. Si le recteur de la Grande Mosquée de Paris a gagné cette manche, il n'a cependant pas gagné toute la partie. L'élection des nouveaux membres du conseil d'administration a vu la Grande Mosquée de Paris se faire très largement devancer par les fédérations pro-marocaines avec 25 sièges contre seulement 8 sièges pour la Mosquée de Paris, réputée proche de l'Algérie. Mais au fond, ces résultats trouvent leurs racines dans des situations beaucoup plus profondes qu'il n'apparaît. Dalil Boubekeur a déjà effectué deux mandats de 2003 à 2008 à la tête de cette institution créée par Nicolas Sarkozy en 2003 pour être l'organe représentatif des 3,5 millions de musulmans de France. Ces derniers ne se sont jamais reconnus dans cette institution dont ils n'entendent parler qu'à l'occasion d'élections ou lorsque des événements très importants obligent ses représentants à sortir de leur tanière et ceci est valable pour les deux mandats successifs de Dalil Boubekeur comme du pro-marocain Mohamed Moussaoui. La représentativité des musulmans auprès des autorités françaises n'a pas été réellement assurée, en tout cas dans son aspect dynamique, alors que ces dernières années dans l'Hexagone, l'Islam et les musulmans ont été les boucs émissaires de nombre de politiques français et la société française, traversée par des courants antimusulmans comme l'Islam a été souvent la cible d'agressions multiples. Cette situation nouvelle, au lieu d'amener les représentants officiels de cette religion à expliquer ce qu'elle est réellement, se sont terrés dans leurs confortables bureaux, laissant libre cours à tous les excès et attaques et observant en spectateurs les jeunes des banlieues embrasser un nouvel Islam, celui qui a mené beaucoup d'entre eux dans les prisons, parce que le véritable Islam, ils n'ont eu l'occasion de le connaître nulle part. Quant à Dalil Boubekeur, si d'aucuns affirment qu'il a la bénédiction de l'Algérie, parce que la Grande Mosquée est, en très grande partie, financée par l'Algérie, les autorités de cette dernière ont eu pourtant à vérifier sur place que la majeure partie des fidèles de la Grande Mosquée de Paris ont déserté ce lieu du culte. Les raisons ? Dalil Boubekeur et son staff sont des «incompétents», disent beaucoup, et de surcroît, il a osé apporter son soutien à l'ancien ministre Brice Hortefeux, auteur de déclaration raciste sur les Arabes. Pour d'autres, le recteur de la Grande Mosquée n'est qu'une marionnette de la droite française. De la gauche aussi, ont affirmé certains qui font référence au très récent ralliement de Dahmane Aberrahmane, ancien conseiller de Sarkozy et actuel conseiller de Dalil Boubekeur, à Anne Hidalgo, la candidate socialiste pour la mairie de Paris. Tous ces reproches et bien d'autres encore, plus virulents, ont été faits publiquement et en masse aux autorités algériennes, en l'occurrence à Abdelhalim Benattallah lorsqu'il était en charge de la communauté algérienne à l'étranger, qui en avait entendu des vertes et des pas mûres et dont nous avions rendu compte, en son temps, sur le Soir d'Algérie. Nos autorités ont fait la sourde oreille et semblent continuer à soutenir le recteur. Ne faut-il pas voir dans ce soutien, une pression des autorités françaises pour qui le retour de Dalil Boubekeur, adepte d'un «Islam intégré» dans la société française, autrement dit caché et le plus discret possible, pourrait prémunir les islamistes. Rien n'est moins sûr, tellement le champ du culte musulman laissé en friche est miné. En tout cas, pour les fidèles concernés par la chose, «ce n'est certainement pas celui qui, après les bombardements de Ghaza de janvier 2009, s'est non seulement abstenu de condamner les auteurs israéliens mais, plus encore, s'est fendu dans une interview accordée à un guide – magazine israélien) : «Je le (Israël) vois et l'admire comme un pays en pleine expansion et qui a d'énormes possibilités grâce à l'intelligence de sa population, surtout quand on voit comment le pays a mis en valeur ses terres, en comparaison aux terres de ses pays voisins... Israël est l'expression même de l'homme livré à la nature.» Quant aux Palestiniens livrés aux occupants, il n'a pas pipé mot. C'est pourquoi, s'il existe réellement un problème de leadership entre les deux pays, l'Algérie et le Maroc, il en existe aussi un, de taille, chez nous : c'est celui du soutien à la personnalité la moins crédible et la plus honnie par la communauté. Pour toutes ces raisons, il n'est pas évident que ce machin créé par Sarkozy parvienne à l'adhésion du plus grand nombre de fidèles. Khedidja Baba-Ahmed