C'est dans sa maison de Cancale, où il vit en compagnie de son épouse Soizic, que nous avons rencontré René Vautier. L'engagement du «Chaoui de Bretagne» est resté intact, malgré le poids de l'âge et les coups de boutoir de la maladie. Le Soir d'Algérie : L'Algérie célèbre cette année 50 ans d'indépendance. Comment avez-vous vécu cet événement ? René Vautier : Des représentants de l'Etat algérien ont souhaité me rencontrer pour me remettre une décoration. Malheureusement, j'ai été gravement malade et la personne du consulat d'Algérie à Nantes a dû reporter sa venue. Mais il insiste pour venir à ma rencontre. Je ne sais pas si c'est une initiative qui a été décidée à Nantes ou à Alger. J'aurais bien voulu faire un saut à Alger, mais vous voyez dans quel état je suis. En fait, il y a une scène filmée par une télévision française que je voudrais bien montrer à mes amis algériens. C'était lors d'une cérémonie organisée en mon honneur par le Comité culturel de Bretagne. Au moment où on me remettait le collier de l'Hermine, qui est la plus haute distinction bretonne, une dame s'est levée dans l'assemblée et a crié : «C'est une honte, c'est un traître. Il a soutenu les Algériens.» Et les 300 personnes qui étaient dans la salle l'ont huée. On a voulu la mettre à la porte mais j'ai pris la parole pour demander de la laisser car c'est une élue du Front National. Elle a fait mine de sortir très dignement. Et en arrivant près de la porte, cette dame bien habillée a fait un bras d'honneur à toute l'assistance (Rires). Cette scène a été totalement filmée par cette équipe de télévision. Je voudrais bien la montrer à mes amis en Algérie. Pro-Algérien et anti-Front National, les deux étiquettes vous collent encore à la peau... Oui, absolument ! Je n'ai jamais caché que j'étais très fier de ce que j'avais fait avec les Algériens pendant la guerre d'Algérie et d'être resté après pour former des jeunes gens qui ont fait le cinéma algérien. Une fois rentré en Bretagne, ma région natale où je suis connu pour mon engagement dans la résistance durant la Seconde Guerre mondiale, j'ai créé une unité de production. Cette unité a eu plusieurs contacts avec les jeunes cinéastes algériens que j'avais formés. D'où, par la suite, la création de l'association France-Algérie puis l'institution du prix Vautier-Bouamari. Un jour j'ai rencontré le réalisateur Azzedine Meddour. En discutant, il m'a annoncé qu'il avait un cancer et qu'il pensait qu'il n'en avait plus pour très longtemps. Je lui ai dit que j'avais la même maladie et que je n'allais pas tarder aussi. Mais visiblement, je me maintiens car j'ai encore des choses à finir avec ma fille Moïra, qui est elle-même cinéaste. Je voudrais encore tenir quelques mois... Encore quelques années René... (Rires) Quels sont les projets que vous devez finir avec Moïra ? Nous devons finir un film qui raconte mes premiers tournages, à commencer par Afrique 50 qui m'avait valu d'être condamné à une année de prison par la justice française. Vous comptez également parler de vos péripéties lors du tournage du film l'Algérie en Flammes... Je garde d'excellents souvenirs de certains personnages. Lors du changement dans la hiérarchie, Boumediène est parvenu à les faire sortir de prison. J'en retiens trois. Le premier est devenu directeur de la Sûreté après l'indépendance de l'Algérie, c'est Ahmed Draya. Abdallah Belhouchet est devenu le premier général algérien et Mohamed-Chérif Messadia, le troisième, a longtemps occupé le poste de secrétaire général du Front de libération nationale. Tous les trois, avant de mourir, m'ont appelé. Ils m'ont appelé sur leur lit de mort. D'un autre côté, nous souhaitons rendre hommage à mon ami Mohamed Zinet qui est un personnage merveilleux. Je voudrais avoir l'autorisation des autorités algériennes pour projeter Les ajoncs et Les Trois Cousins, deux films qui ont été primés en Europe, ainsi que son œuvre, Tahya Ya Didou. Que pensez-vous du cinéma algérien d'aujourd'hui ? Je sais qu'il y a des gens qui tournent en Algérie. Il y a des jeunes qui ont beaucoup de talent. J'ai récemment reçu un film d'un réalisateur algérien qui vit en France. L'histoire se déroule en Algérie, les acteurs parlent arabe, en fait ils parlent algérois (Rires). Mais bon, c'est une production française. Est-ce qu'il faut encore des réalisateurs engagés politiquement ? Oui, il en faut. Autant en Algérie qu'en France. Il faut qu'il y ait des gens qui montrent les choses comme elles sont. Pour nombre de personnes, René Vautier est le dieu du cinéma militant. Je suis fier car ma fille Moïra se bat très bien elle aussi. Elle a notamment réussi à présenter Avoir 20 ans dans les Aurès dans des universités américaines, un pays où j'ai longtemps été interdit d'entrée pour cause de communisme. Moïra est la digne héritière de René Vautier... Oui, elle est la digne héritière...